À CONTRE-COURANT, PRESQUE EN RÉACTION, CASTERMAN SE RELANCE DANS LA PRESSE BD EN PRIVILÉGIANT LE RÉCIT COURT ET LA FICTION. RENCONTRE AVEC BENOÎT MOUCHART, AU CARNET D’ADRESSES À LA HAUTEUR DE SES AMBITIONS, ET PRÉPUBLICATION EN EXCLU D’UN RÉCIT SIGNÉ FRANÇOIS RAVARD…

Depuis qu’il a pris en 2013 la direction éditoriale de la vénérable maison Casterman, après dix ans de direction artistique du festival d’Angoulême, Benoît Mouchart « y pensait. La revue (À suivre) est un mythe, la maison s’y est réessayée un temps avec Bang!, des projets, il y en a eu. Mais je savais en tout cas que ressusciter (À suivre), c’était non: un mensuel, avec des feuilletons, au long cours, ce n’est plus raisonnable. Le public, la presse BD, ne sont plus habitués à ce genre de formats. Mais depuis mon arrivée, des gens comme Tardi, Bilal, Schuiten, qui sont restés, me montraient des idées tenant sur quelques pages, pas plus, réalisables entre deux albums. Et puis il y a un an, j’étais avec Art Spiegelman, à New York. Les gens s’étonnaient qu’il publie des pages de gags dans un quotidien, lui, l’incarnation du roman graphique, de la « graphic novel ». Ça l’a interpellé, il s’est donc mis à faire des « one page graphic novels »! On a parlé de la possibilité de refaire une revue, mais uniquement basée sur des récits courts, et de fiction. Il m’a dit OK. J’en ai parlé à Otomo. Il m’a dit OK. C’était parti. Et depuis, je n’ai eu aucun refus. »

Près de 20 ans après le dernier numéro de (À suivre), la revue belge qui a donné le la de toute la bande dessinée adulte de 1978 à 1997, Casterman lance donc Pandora. Soit, pour cet impressionnant numéro 1 sobrement sous-titré « bande dessinée et fiction », 264 pages d’histoires complètes et inédites au casting juste somptueux, presque trop: de Vivès à Spiegelman, de Menu à Otomo, de Blutch à Brecht Evens, tous les cadors, français, belges et internationaux sont là. Et ceux qui n’y sont pas (Rochette, Schuiten, Bilal) seront dans le deuxième! Lequel sortira dans six mois, sans préjuger de la suite et dans un réseau qui privilégiera les librairies aux kiosques. Un pari risqué si pas fou -Casterman en tire 15 000 exemplaires, Benoît Mouchart espère en vendre au moins 4 000- mais d’ores et déjà une formidable réussite formelle et esthétique, et une énorme déclaration d’amour à cet art unique en soi qu’est la bande dessinée.

Nouvelles graphiques

« Tout le monde me dit que le projet est gonflé, explique le brillant et même pas quadragénaire Benoît Mouchart. La bande dessinée et le monde en général sont en mutation profonde et permanente, on parle ici plus souvent de surproduction et de paupérisation que de créativité et, c’est vrai, on assiste actuellement à une forte tendance de la BD du réel, qui peut aussi m’enthousiasmer, mais qui attire le lecteur par le sujet. C’est le sujet qui provoque l’intérêt. Or, pour continuer à être considéré comme un art, il faut de grandes oeuvres, encore et encore. La reconnaissance est fragile. Or, ce contexte, et la standardisation du format long, entraîne aussi à ne plus se poser de pures questions de formes, propres à la bande dessinée: la séquence, l’ellipse, le rythme. Le format court et la fiction obligent les auteurs à se remettre en question, à se recréer un espace de création. » Un nouvel espace de création qui impose donc à de grands auteurs -« mais pas seulement, dans le prochain il y aura un Belge, Jenolab, jamais publié »– la contrainte de la fiction courte, mais semble en revanche faire fi de toute autre ligne éditoriale, qu’elle soit dans le graphisme ou les genres abordés. Benoît Mouchart ne s’en inquiète pas, s’en amuse même: « Pilote, (À suivre), Métal Hurlant, Tintin… On a tous en tête quelque chose de très cohérent pour chacun d’eux, alors que pas du tout. Tous ont toujours contenu des choses très différentes, parfois très classiques, parfois très expérimentales. Et même si Casterman affirme un positionnement de qualité, je crois, avec Pandora, et que l’on est plus, j’espère, HBO que Fox News, l’enjeu reste d’élargir le public, de le faire venir à la bande dessinée. Une bande dessinée qui lui pose plein de questions et qui, par la fiction, évoque le vrai parfois mieux que le réel. C’est le rôle des artistes. »

PRÉSENTATION PUBLIQUE DE LA REVUE PANDORA LE MERCREDI 13/04 DÈS 18 H À LA LIBRAIRIE BRÜSEL FLAGEY, EN COMPAGNIE DE BENOÎT MOUCHART, GILLES DAL ET JOHAN DE MOOR. WWW.BRUSEL.COM

TEXTE Olivier Van Vaerenbergh

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