L’OURS D’OR DES FRÈRES TAVIANI COURONNE UN FESTIVAL DE BERLIN INTERROGEANT L’HUMAIN ET LE MONDE AVEC UNE URGENCE PLUS QUE JAMAIS PALPABLE.

Certes, aucun chef-d’£uvre de la trempe d’ Une séparation n’est venu illuminer la Berlinale 2012. Mais l’ensemble des films proposés au regard des très nombreux spectateurs (plus de 300 000 tickets vendus, le record est battu!) était d’une belle tenue. Les £uvres retenues pour la Compétition offrant au jury présidé par Mike Leigh l’opportunité de faire des choix significatifs. Il ne s’en est pas privé, consacrant d’un Ours d’or mérité de bien verts vétérans italiens, Paolo et Vittorio Taviani (respectivement 82 et 80 ans!), et récompensant par ailleurs, de manière non moins justifiée, la jeunesse avec la quasi totalité des autres prix accordés. Ceux d’interprétation sont en effet allés à la Congolaise Rachel Mwanza (12 ans) pour Rebelle et au Danois Mikkel Boe Folsgaard (27 ans) pour A Royal Affair, tandis que le Grand Prix du Jury revenait au Hongrois Bence Fliegauf (37 ans) pour Just The Wind, et un Ours d’argent spécial à la Suissesse (mais Belge d’adoption) Ursula Meier (40 ans) pour son Enfant d’en haut, sans oublier le prix Alfred Bauer attribué au Portugais Manuel Gomes (39 ans) pour Tabu. Un palmarès remarquable, pour un festival qui ne le fut pas moins, et qui sut refléter les crises (économique, sociale, politique, existentielle) qui menacent, tout en posant quelques questions essentielles sur les rapports entre l’art, le pouvoir et la liberté.

Captivités

Cesare deve morire, le film des Taviani, développe avec force cette thématique majeure. Les réalisateurs de Kaos et de Padre Padrone nous y emmènent dans une authentique prison romaine, Rebibbia, où des détenus d’un quartier de haute sécurité vont jouer -dans le cadre d’un programme culturel propre à l’établissement- une pièce de théâtre pour un public de parents et d’officiels. L’£uvre choisie est Jules César de Shakespeare, et les comédiens improvisés l’interpréteront dans leurs dialectes respectifs.

La caméra des frères observe la représentation (en couleur) et ses préparatifs (en noir et blanc), suivant les détenus en répétition mais aussi dans les rapports qu’ils entretiennent. Tout est scénarisé, même si le film prend la force d’un document, les interprètes du drame (tous des criminels endurcis) reprenant le chemin de leur cellule dès le spectacle achevé. Avec une intelligence exemplaire, et une maîtrise absolue du potentiel cinématographique, les Taviani font s’imbriquer le propos de la pièce de Shakespeare, sa réflexion sur le pouvoir et ses abus, sur la révolte et la trahison, la violence politique et les conflits de loyauté, avec ce que peuvent ressentir des hommes soumis au pouvoir carcéral, à l’enfermement. L’art, qui les saisit et les voit transcender leur quotidien, leur absence d’éducation, leur offrant toute sa puissance. Sa terrible puissance, car le bref contact avec ses beautés induira ensuite un manque. L’un d’entre eux lançant aux réalisateurs, en les quittant à la fin du tournage, qu’avant il se sentait juste enfermé, mais que désormais il se sentirait en prison…

L’absence de liberté, l’aspiration à cette dernière, auront été des thèmes quasi permanents de la Berlinale. Captives aussi, la jeune fille kidnappée encore enfant et longuement séquestrée dans une cave d’ A moi seule (formidable Agathe Bonitzer) ou la gamine africaine d’à peine 12 ans raflée par des miliciens qui en feront une enfant soldat dans Rebelle, sans compter les touristes et les travailleurs sociaux enlevés par des terroristes islamistes philippins dans Captive, avec Isabelle Huppert. Le corollaire évident de ces privations de liberté étant le désir fervent de révolte contre ceux et ce qui enferment. Singulièrement, ce sont 2 films d’époque, « en costumes » comme on dit, qui vinrent faire écho aux luttes on ne peut plus contemporaines contre la tyrannie. La cour de Versailles en 1789, tremblant aux nouvelles venues de l’extérieur après la prise de la Bastille par le peuple, et que met en scène Benoît Jacquot dans Les Adieux à la reine, ne pouvait qu’évoquer tous ces palais vaincus ou vacillants du monde arabe ou d’ailleurs. Xavier Beauvois, interprète de Louis XVI, profitant au passage de la conférence de presse du film pour pointer le doigt vers la Syrie… Et la cour de Christian VII, souverain du Danemark, visitée au tournant des années 1760 et 1770 par A Royal Affair, voit s’affronter l’ancien régime cruel et injuste, esclavagiste même, et les nouvelles idées des philosophes des Lumières appelant à la réforme, voire à la révolution, pour libérer l’humain. Le film de Nicolaj Arcel nous rappelant très utilement que la religion peut asservir autant que la tyrannie. Au moment où toute une partie du monde renverse la seconde pour se livrer aussi vite à la première, voilà qui donne à réfléchir…

L’état des choses

Dans la sélection officielle comme dans les sections parallèles, les rumeurs du monde, de ses crises et de ses oppressions, n’ont cessé d’alimenter les films. Que ce soit la survie difficile de jeunes en grande détresse économique ( L’Enfant d’en haut) ou les exactions subies par des familles gitanes ( Just The Wind), que ce soit la révolte des anti-systèmes ( Indignados) ou le sort des homosexuels dans des cultures où tradition machiste et/ou Islam radical conspirent à en faire des exclus, voire des morts en sursis ( Call Me Kuchu, Kuma, Children Of Srikandi, My Brother The Devil). Le majeur d’Ai Weiwei levé vers la Cité Interdite et la place Tian’anmen sur l’affiche choc du documentaire consacré à l’artiste et opposant chinois prenaient dans ce contexte une force symbolique.

Assigné à résidence à Pékin, Ai Weiwei fut le grand absent de la Berlinale, comme le cinéaste iranien Jafar Panahi, interdit de travail et privé de liberté, l’avait été l’an dernier… L’aspiration au changement, et à une expression libre, étaient décidément au c£ur d’un festival convoquant volontiers le passé, l’Histoire, à l’appui de ses élans. Comme par exemple dans le Barbara de Christian Petzold (Prix du meilleur réalisateur), évoquant l’Allemagne de l’Est sous le communisme, ou dans White Deer Plain de Wang Quan’an (Prix de la meilleure contribution artistique) où les habitants d’un village chinois vivent au rythme des troubles politiques et des répressions qu’ils engendrent entre les années 20 et l’invasion japonaise de 1937.

 » Il y a le feu dehors!« , clamait à qui voulait l’entendre Tony Gatlif, auteur d’un film sur le mouvement des « indignés ». La vision navrante, reprise par les écrans du festival en quasi direct, du plus ancien cinéma d’Athènes en train d’être incendié par les émeutiers voici quelques jours à peine, invitait à se demander de quels espoirs l’art en général, et le cinéma en particulier, pouvaient encore être porteurs. Deux films de la Compétition répondaient par la voix (la voie) de l’évasion poétique et formelle: le… Grec Meteora, et surtout le superbe et poignant Tabou de Miguel Gomes. La plupart adoptant une approche plus directe, réaliste, caméra portée à l’épaule dans un style où l’influence du cinéma des frères Dardenne se traduisait d’évidence.

Mais l’atmosphère était lourde, le pessimisme omniprésent ou presque, dans une Berlinale où l’espoir se conjuguait le plus souvent au féminin. Plutôt que des héros, le Festival de Berlin 2012 aura été celui des héroïnes, premières victimes des horreurs du monde et en même temps combattantes d’un futur acceptable, où donner la vie ne serait pas envoyer vers la mort. Victimes d’individus ( Rebelle, Captive, Just The Wind, A moi seule) ou d’un système ( Les Adieux à la reine, A Royal Affair, White Deer Plain), ces femmes auront incarné le meilleur d’un rendez-vous cinématographique plus que jamais marqué par les événements politiques et sociaux de son temps.

TEXTE LOUIS DANVERS, À BERLIN, ILLUSTRATIONS DRANGIAG

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