HUIT ANS APRÈS LA FEMME DE GILLES, FRÉDÉRIC FONTEYNE PONCTUE JOLIMENT SA TRILOGIE AUTOUR DES FEMMES ET DE L’AMOUR, CONVIANT LE TANGO EN PRISON, EN TOUTE LIBERTÉ.

Quatrième long métrage de Frédéric Fonteyne, Tango libre (lire la critique page 31) se sera fait attendre. Voilà huit ans, en effet, que l’on découvrait La femme de Gilles, son précédent opus, autant dire une éternité. Alors qu’on le retrouve, détendu, à la Mostra de Venise, d’où son film repartira avec le Prix spécial du jury Orizzonti, le réalisateur bruxellois n’hésite d’ailleurs pas à parler de « nouveau départ ». « Après La femme de Gilles , un film dont je suis fier, je suis passé par un questionnement qui est celui de tout cinéaste, à savoir comment peut-on faire du cinéma aujourd’hui en allant au bout de ce que l’on veut, avec une vraie liberté, une prise de risques? La réponse se trouve dans ce film-ci. » Et d’encore expliquer avoir laissé le temps au temps pour « repartir sur des fondamentaux et en revenir à ce que je suis ».

Un air de famille

On ne sera guère surpris, dans ces conditions, de trouver à Tango libre un vague air de famille avec Max et Bobo, le premier long métrage du réalisateur. Une question de ton, bien sûr. Et la présence de Jan Hammenecker, de retour dans son univers. A ses côtés, Sergi Lopez, inoubliable dans Une liaison pornographique. Et puis, encore, François Damiens et Anne Paulicevich, la compagne du cinéaste, et par ailleurs scénariste d’un film qui, au gré de sa drôle d’histoire, prend des allures de ménage à trois, puis à quatre (et même à cinq, si l’on considère l’enfant (Jérémie Chasseriaud) qui est au c£ur des échanges). « C’est un mélange de tous mes amours à moi, apprécie-t-il. Il y avait l’envie de les mettre tous ensemble, et puis, l’imaginaire est venu se greffer à ce que je vis avec ces gens. » En l’occurrence, il est question dans Tango libre d’un gardien de prison rencontrant à un cours de tango une jeune femme dont il va découvrir le lendemain qu’elle rend visite à deux détenus, son mari et son amant. Le début d’une histoire assumant son caractère incertain pour s’ériger en « portrait d’une femme libre qui accepte les contraintes pour mieux les dépasser », suivant le raccourci qu’en proposent les notes de production.

Partant, le film s’inscrit dans la continuation de Une liaison pornographique et La femme de Gilles, avec lesquels il compose désormais une trilogie autour de la mécanique des femmes et de l’amour. « Je ne m’en suis rendu compte qu’a posteriori, c’est une trilogie inconsciente, commente Frédéric Fonteyne, mais cela fait aussi partie de mon évolution par rapport à l’amour: dans Une liaison pornographique, j’ai parlé de passion amoureuse; dans La femme de Gilles, de quelque chose de beaucoup plus dur ou insupportable par rapport à ce qui peut se produire dans l’amour; et ici, ce n’est pas une passion amoureuse, cela parle vraiment d’amour. Je suis passé par ces différents stades, et voilà où j’en suis. Et bizarrement, c’est plus un film sur l’engagement: même si c’est une femme qui aime profondément un homme, qui en aime non moins profondément un autre, et qui est prête à tomber dans les bras d’un troisième, c’est quelqu’un qui s’engage. »

Le tango du bagne

Trilogie aidant, l’on reconsidère aussi la filmographie du réalisateur sous son angle essentiellement féminin – « Je pars de moi, mais ce qui m’intéresse, c’est aller voir l’autre, le féminin, la femme », approuve Fonteyne. Et si les femmes qu’il filme n’existeraient pas sans les hommes qui leur font face, le postulat inverse vaut également, suivant un processus de révélation réciproque. Dans ce contexte, le recours au tango n’est évidemment ni fortuit, ni simple coquetterie -même s’il engendre, au passage, une incroyable chorégraphie (avec notamment l’épatant Mariano Chicho Frumboli). Et Fonteyne de rappeler, à juste titre, « que le tango est justement une danse qui met face à face l’altérité de l’homme et de la femme », dimension en appelant une autre devant sa caméra: « L’immigration en Argentine était surtout masculine. Pour avoir une chance de danser avec une femme à un bal, les hommes étaient obligés de s’entraîner entre eux. Cela fait partie de l’histoire du tango, et c’est une image très forte à mes yeux. Tout de suite, s’y est mêlée l’idée métaphorique de la prison, et de se dire: « Tiens, si on faisait danser des hommes dans une prison?  » et, du coup, de mettre dans une prison quelque chose de l’ordre de l’impossible, y faire entrer un élément féminin à travers les hommes. »

Un mouvement dans lequel le film trouve une souveraine liberté, jusqu’à totalement lâcher la bride: le c£ur a ses raisons que la raison ignore, en effet. Oscillant entre comédie et drame, parmi d’autres formes, Tango libre apporte ainsi une réponse limpide à la question du « pourquoi le cinéma? » que se posait le cinéaste, et qu’il formule en ces termes: « Ce pour quoi on l’a toujours aimé: dans cette industrie très complexe, le cinéma arrive toujours par ceux qui parviennent à prendre des libertés en son sein. Bien que la situation soit de plus en plus impossible, on peut s’en sortir. » Il n’est pas défendu d’extrapoler…

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

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