Foutue première phrase. L’angoisse de la page blanche commence toujours par elle. On lui donne même un nom savant -l’incipit- pour souligner l’importance qu’elle revêt, et souvent le stress qu’elle génère chez celui qui doit la pondre. Le Belge Bernard Quiriny, lui, a choisi le combat frontal pour tenter de l’exorciser à jamais: la première phrase de la première nouvelle de son premier recueil prenait le problème à bras-le-corps:  » La première phrase: voilà l’ennemi. » C’est qu’il en parle si bien, de cette phrase qui a installé Proust – » Longtemps, je me suis couché de bonne heure« – et Camus – » Aujourd’hui, maman est morte« – au panthéon des grands auteurs. Qui d’autre que lui pouvait inaugurer cette série estivale, consacrée à ce climax littéraire,  » l’équivalent, selon lui, de la main que l’on tend lors d’un premier rendez-vous« .

Comment vous est venue cette idée? Aviez-vous conscience de l’écho qu’elle provoque?

L’idée était de construire un jeu de logique autour du mythe bien connu de l’angoisse de la page blanche, et de m’amuser de l’espèce de distance qu’il y a toujours entre le livre qu’on voudrait faire et celui qu’on fait: on mûrit un chef-d’£uvre dans sa tête, un truc absolument fabuleux, mais dès qu’on commence à le coucher sur le papier, paf! Il n’est plus comme on l’avait imaginé, infiniment moins bien. Que faire, alors? Deux écoles: les puristes, qui préfèrent ne rien écrire plutôt que de ne pas écrire comme dans leur rêve; et les pragmatiques, qui se disent qu’un livre imparfait mais réel vaut mieux qu’un livre génial mais inexistant. Dans la nouvelle, j’imagine un subterfuge absurde, à la Alphonse Allais: incapable d’écrire une première phrase parfaite, le personnage décide de commencer par la deuxième. Qui devient du coup la première, et ainsi de suite. Pour un premier livre, c’était une forme d’autodérision assez marrante.

Est-elle à ce point importante? Comme vous l’écrivez dans votre nouvelle,  » tout ce qui est écrit ensuite en découle« ?

En réalité non, j’exagère un peu. Mais enfin, si quelque chose ne va pas dans un livre, autant que ce ne soit pas la première phrase (ni le titre, d’ailleurs). Ceci posé, on peut sans doute trouver des beaux livres dotés de premières phrases ratées, et de superbes incipits dans des romans parfaitement nuls, ce qui empêche de transformer tout ça en loi scientifique.

La nouvelle s’achève sur l’angoisse de la dernière phrase… Laquelle partagez-vous le plus?

Bonne question. Dans l’ensemble, j’ai plutôt l’impression que dans une nouvelle (un roman, c’est une autre affaire), la première phrase compte, mais quand même moins que la dernière, qui doit claquer comme une porte. On ne peut pas se permettre de finir sur un soupir, il manquerait quelque chose. Vérifiez: dans une nouvelle, spécialement une nouvelle fantastique, la dernière phrase est en général artistement travaillée, et plus longue que la moyenne des autres.

Avez-vous, comme votre héros et des auteurs que vous citez, quelques « trucs » pour surmonter l’obstacle, si obstacle il y a?

Pas de truc, chacun gère le trac comme il peut, y compris en sombrant dans le « bartlebysme », comme disait Vila-Matas (la maladie des écrivains qui n’écrivent pas, ou plus). Mon conseil sera double et contradictoire, pour satisfaire tout le monde: 1. Mieux vaut renoncer à écrire un livre qui s’annonce mauvais; 2. Un livre vaut mieux que pas de livre.

PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER VAN VAERENBERGH

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