DANS TIREZ LA LANGUE, MADEMOISELLE,AXELLE ROPERT FAIT RIMER AMOUR ET MÉDECINE DANS UN PARIS REDÉCOUVERT.

Peu de genres sont aussi balisés que celui de la comédie sentimentale. En éviter les clichés relève du parcours du combattant… pour autant qu’on cherche à leur échapper. Axelle Ropert donne au genre une illustration pourtant piquante et personnelle dans l’étrangement et comiquement titré Tirez la langue, Mademoiselle (lire critique page 39). Deux médecins, frères et partageant la même clientèle, y tombent simultanément sous le charme de la mère d’une petite patiente. Se démarquer sans forcer le trait fut un des mots d’ordre d’Axelle Ropert au moment d’entreprendre son deuxième long métrage, après une Famille Wolberg qu’animait joliment François Damiens. « Je suis très cinéphile, très portée sur le cinéma américain classique, celui de Hawks et Preminger par exemple. C’est ce cinéma-là qui a nourri mon désir pour ce nouveau film. » A cette forme de déclaration d’amour au 7e art s’est ajouté pour la réalisatrice « le goût de lancer des paris, de faire des choses qui n’ont pas encore été faites« . Le premier défi fut de « filmer un quartier de Paris qu’on ne filme presque jamais: le quartier chinois (dans le XIIIe arrondissement, ndlr), un quartier… très moche, en le rendant très beau à l’écran« . Le deuxième fut de « redonner ses lettres de noblesse au métier de médecin au cinéma. On n’y voit pratiquement plus que des docteurs de province, en mode un peu vieillot. Les beaux rôles de médecins, généralement déjantés, on les trouve plutôt dans les séries télé aujourd’hui -comme dans Dr House, un personnage génial. » Ainsi est né le profil du « médecin parisien, absolument dévoué à son travail, romantique, et possédant en même temps une petite étrangeté« . Fuyant le psychologique (« Ce que je déteste le plus au cinéma!« ), Ropert s’est employée à « inscrire des émotions très intimes dans un espace, sans recourir aux méthodes contemporaines comme le style documentaire, la caméra à l’épaule, collant aux personnages. Mes personnages sont toujours cadrés dans des décors, connectés au monde comme nous le sommes tous. »

La vérité de l’instant

En l’occurrence, la réalisatrice habite le quartier chinois où se situe son film. Elle l’a sillonné longuement, avec sa chef-opératrice Céline Bozon, « pour trouver les couleurs, les angles, les perspectives, car tout devait être naturel, je n’allais pas jouer les Terrence Malick du XIIIe! » « Sublimer le réel le plus trivial en le filmant tel qu’il s’offre à un regard attentif, en captant une beauté qui ne se livre pas d’emblée« , tel fut le mot d’ordre. Pour l’interprétation, Axelle Ropert a très vite vu le désir de personnages se transformer en désir d’acteurs. « J’adore les acteurs et les actrices, c’est pour eux que je fais du cinéma, pour avoir le plaisir de les filmer!« , explique-t-elle. Pour repérer ses futurs interprètes potentiels, la réalisatrice se force à aller voir au minimum chaque semaine deux films français qu’elle n’aurait pas envie de voir sinon… Mais si dès l’écriture du scénario, elle se met à « rêvasser de tel ou tel dans tel rôle« , Ropert ne craint pas de tout chambouler à la dernière minute. Comme pour ces frères médecins imaginés quasi jumeaux au départ, et qui finalement sont « à l’opposé absolu: un petit et un grand, un blond et un brun, un exubérant et un timide, un qui vient de la Comédie Française (Laurent Stocker, ndlr) et un autre de la réalisation (Cédric Kahn, ndlr) » « Les acteurs ne sont jamais là par hasard, développe la cinéaste, ils ne sont pas des éléments parmi d’autres, ils sont premiers. Si mes acteurs ne sont pas bons, mon film est mort! Truffaut le savait bien: ses films sont superbes sauf quand ses interprètes étaient mauvais… » Avec Louise Bourgoin, Ropert a aussi fait le bon choix, proposant à la comédienne un rôle très différent de ses précédents. Bourgoin sait investir un personnage au présent, « dans la vérité de l’instant« . La réalisatrice avoue travailler « à l’école de la paresse, ou de la désinvolture: zéro lecture à table, zéro répétition, pas de seconde prise si la première est bonne. La joie de l’immédiateté. Moi je ne suis pas du tout dans cette mode de l’hystérie, du lâcher-prise, de la vérité documentaire de l’acteur. Ce qui me passionne, c’est le charme, c’est le style, c’est la précision. Et cela, on ne l’obtient que dans la fraîcheur des premières prises. »

« Il vaut mieux ne pas trop se connaître quand on veut inventer des choses!« , déclare celle qui entend rester « loin de ce narcissisme ambiant, si présent dans le cinéma français, et qui pousse tant d’artistes à s’auto-analyser, voire à se faire psychanalyser« . Ropert a donc choisi de « rester un mystère à soi-même« , tant elle est convaincue que « les choses s’éclairent toujours a posteriori« . C’est ainsi qu’elle comprend seulement aujourd’hui, « avec cinq ans de retard« , comment elle a pu avoir l’idée de son premier long métrage, La Famille Wolberg… « Si je l’avais su au moment de le faire, j’aurais été terrorisée! Mieux vaut faire les choses dans une certaine inconscience« . Axelle Ropert fait des films en se mettant dans la peau d’une « spectatrice frustrée« . « Je veux montrer des choses qui me manquent car je ne les vois pas dans les autres films! » La réussite de Tirez la langue, Mademoiselle,spectacle plein d’élégance, d’esprit et d’émotion, lui offre une place à part dans un cinéma français grand public trop souvent livré aujourd’hui à la facilité des formules et à la démagogie.

RENCONTRE Louis Danvers

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