PETITE VISITE À NOTRE COMPATRIOTE VINCENT LANNOO SUR LE CHANTIER DE TREPALIUM, LA PROCHAINE SÉRIE D’ANTICIPATION D’ARTE QU’IL MET EN SCÈNE ACTUELLEMENT.

Plan Vigipirate oblige, il faut montrer patte nette, ce jour-là, pour accéder à la BnF, la Bibliothèque nationale de France. C’est là, au 18e étage, que se tournent les scènes 556, 547 et 552 de Trepalium, série d’anticipation commanditée par Arte. Le casting a de l’allure. En costumes stricts, blasons et cache-chaussures, les expérimentés Charles Berling et Aurélien Recoing côtoient notamment Pierre Deladonchamps, César du Meilleur espoir masculin pour L’Inconnu du lac. Puis un ours arrive, le pas nonchalant, la voix sifflante: on fait difficilement plus relax que Vincent Lannoo. Relax, mais ferme quand, après les répétitions, la scène démarre réellement. « C’est un monde de rigueur, de tenue, et assez peu de sourires!« , crie le cinéaste belge à ses comédiens, affairés un peu plus loin dans un austère bureau aux murs de béton. Ce monde, c’est celui d’un futur proche dans lequel 80 % des citoyens, sans emploi, parqués dans ce qu’on appelle « La Zone », sont séparés des 20 % restants par un mur uniquement percé d’un check-point intransigeant. Mais des menaces terroristes finissent par faire plier le gouvernement, qui ouvre une brèche: un quota d' »emplois solidaires » va devoir être mis en place chez les actifs, notamment dans les bureaux d’Aquaville, où l’on tourne aujourd’hui… « Coupez!, tonne Lannoo. On était tous un petit peu en-dessous sur celle-ci, on la refait. » Et ainsi jusqu’au déjeuner, censé intervenir à 13 h 15. « C’est chiant ce 13 h 15. Ce serait 13 h 30, on y arrive », peste-t-il, toujours à la cool. C’est ça aussi un tournage, des équipes, des contraintes, des journalistes…

Liberté dans le cadre

Imaginé par le duo Sophie Hiet et Antarès Bassis, le scénario de Trepalium,satire sociale en six épisodes (6 x 52 minutes) dans laquelle trame romanesque et charge politique se superposent, a donc été confié à notre compatriote Vincent Lannoo. Notamment parce que « c’est quelqu’un qui fait du cinéma de genre et qui a l’habitude de travailler avec des petits budgets », comme l’explique la productrice Katia Raïs. Le dernier film de Lannoo, Les Ames de papier, avait défrayé la chronique. En cause: un casting dans lequel évoluait une certaine… Julie Gayet, aux côtés d’un Stéphane Guillon qui s’était fendu, sur le plateau du Grand Journal, d’une allusion sur la liaison présidentielle de sa partenaire à l’écran. Malaise, petit buzz. Quelques mois plus tard, Vincent Lannoo, qui ambitionnait lui-même de tourner un pamphlet politique sur le libéralisme, reçoit un coup de fil de Katia Raïs. « Elle m’a envoyé le premier épisode. C’était exactement ce que j’avais envie de faire à ce moment-là. J’avais envie de faire de la série. Le rêve totalement inespéré, c’était de pouvoir faire une série pour Arte. C’était formidable, c’était faire du HBO, mais en français. Et ça m’est tombé dessus. Il y a un mode d’expression dans la série de haut niveau dans lequel on peut continuer à faire du cinéma, là où dans le cinéma, ce n’est pas toujours aussi simple, parce que les distributeurs veulent de grosses machines, qui sont faites soit pour le grand public, soit pour Cannes« , confie Vincent Lannoo en pleine pause déjeuner, dans le glamour tout relatif de la cafétéria de la BnF.

Comme beaucoup de cinéastes avant lui, le réalisateur de Strass expérimente donc la fiction façon petite lucarne. C’est dans l’air du temps. La série offrirait, d’après quelques-uns des plus grands noms d’Hollywood, des poches de créativité et d’audace que le 7e art aurait laissées au placard depuis un moment déjà. Mythe? Réalité? Budgétisé à hauteur de 500 000 euros par épisode, Trepalium n’a pas le tiers du quart du chéquier d’un Game of Thrones. Mais cela suffit amplement à notre compatriote, lui qui, dans cet espace, est allé chercher sa liberté dans la mise en scène, dans le visuel en général -qu’il dit à la fois inspiré par l’esthétique des Fils de L’Homme et de Bienvenue à Gattaca– et dans le casting. « C’est un cadre, et moi personnellement, j’ai toujours adoré les cadres: Strass, je l’ai fait selon les codes du Dogme -un faux documentaire. Pour Trepalium, on a une chaîne qui est présente avec nous, mais qui me laisse une grande liberté, honnêtement plus que ce que j’ai pu avoir sur un de mes derniers longs métrages (il fait référenceaux Âmes de papier, ndlr). Je suis un réalisateur opportuniste, j’aime entendre les idées, puis je suis un filtre. Je travaille en équipe, je ne suis pas un peintre. La liberté, pour moi, c’est Sandra Bullock dans l’espace dans Gravity: il n’y a rien, tu es totalement libre, donc c’est pas terrible. Je trouve plus intéressant d’avoir un cadre. Croyez-moi, j’ai réellement eu la liberté d’apporter ma vision du futur, ma vision de ces deux mondes, ce monde d’actifs et cette ville autour. Et en plus, j’ai eu la liberté de m’éclater au niveau visuel, puis d’aller chercher des comédiens que j’aime, d’essayer de rassembler une famille. Je me suis occupé du casting. Et puis comme d’habitude, j’ai fait un gros effort sur mon salaire », s’esclaffe Vincent Lannoo. Rendez-vous fin 2015, début 2016, pour voir si cela en valait la peine…

TEXTE Guy Verstraeten

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