PENDANT TROIS JOURS À PARIS, LE FESTIVAL AMERICA A RASSEMBLÉ LE PLUS ROMANESQUE DES PAYS POUR UN ÉTAT DES LIEUX DES LETTRES US CONTEMPORAINES. QUE RESTE-T-IL DU RÊVE -LITTÉRAIRE- AMÉRICAIN?

 » On a tous des littératures qui font de nous les lecteurs que nous sommes. Faulkner, Hemingway, Dos Passos, Richard Ford, Jim Harrison… C’est la littérature américaine qui m’a fait éditeur. » Patron de la librairie Millepages, éditeur de la collection Terres d’Amérique chez Albin Michel, Francis Geffard aime faire vivre la littérature US bien au-delà de ses traductions. Il est l’homme derrière le festival America. Un renversant projet: en trois jours de conférences, de débats et de rencontres, dresser l’état des lieux d’une littérature en entier.  » L’idée du festival m’est venue comme une sorte de rêve: faire émerger par le dialogue avec des écrivains et des artistes un autre visage de l’Amérique. » Pour sa sixième édition, la plus belle de l’aveu de son organisateur depuis sa création en 2002, le festival aura donc rassemblé 35 000 personnes venues écouter le gotha des lettres made in USA, avec cette année une ouverture exceptionnelle à l’Amérique latine. Des stars -Toni Morrison, Russell Banks, Nicole Krauss, Louise Erdrich, Luis Sepulveda- y signaient des piles de livres comme d’autres des autographes tandis que de nouvelles voix couraient les conférences pour se faire un nom. Une affluence qui, dans les rues tranquilles de Vincennes, donnait carrément le vertige, d’autant que les écrivains s’y mouvaient avec une générosité et une humilité sidérantes.  » Les Américains ne sacralisent pas la littérature, reprend Francis Geffard. Aux Etats-Unis, dire que vous êtes écrivain n’impressionne personne. La littérature y a cette capacité à toucher l’ensemble de la société. Vous avez des tas d’écrivains qui sont charpentiers ou camionneurs, ce qui est beaucoup moins vrai en France où les écrivains appartiennent peu ou prou au même niveau socio-professionnel… » La société américaine, ses grands écarts, ses contradictions, ses mirages, il en a été beaucoup question durant les trois jours du grand rassemblement.  » Il y a désormais plus d’Américains sur Facebook que d’Américains qui ont un passeport« , la remarque fuse au détour d’un débat, et elle dit bien l’identité américaine bousculée, qui se prend plus qu’elle ne se donne et qui, puisqu’elle ne cesse de se dérober sous ses tentatives de définition, excite forcément la fiction. Gary Shteyngart, auteur américain originaire d’ex-URSS, donnait à ce propos une forme de sketch à l’ironie proprement hilarante:  » Nous les immigrants, on doit faire tout le boulot, conduire les taxis, faire le ménage, faire naître les bébés, et faire les bébés tout court d’ailleurs, parce que c’est une chose qui n’intéresse plus du tout les Américains natifs, ces connards de riches préfèrent désormais passer leur vie sur Twitter… Et en plus de ça, nous les écrivains immigrés, on passe son temps à publier des bouquins qui expliquent aux Américains ce que c’est d’être américain.. . » Le paradoxe est là, l’écrivain américain tient de moins en moins sa position, tout en incarnant toujours plus les promesses engagées dès la création d’une Amérique sous la flamme de la perpétuelle réinvention.  » C’est vrai que la littérature US ne traduit pas beaucoup de littérature étrangère, explique Francis Geffard, mais elle intègre comme aucune autre des voix venues d’ailleurs. Depuis dix ans, on assiste à une véritable redéfinition des thèmes, à un nouveau souffle donné par des auteurs qui trouvent leurs origines partout sur le globe et qui choisissent la langue anglaise pour exprimer des choses nées sous d’autres cieux. C’est exactement pour cela que selon moi, la littérature américaine est l’une des seules au monde à avoir un vrai projet universaliste… « Une ambition toute entière engouffrée dans la puissance identitaire d’Obama – » Sa figure incarne la mixité, une nouvelle norme. Une partie de lui est ailleurs, et donc, quelque part, la marginalité est devenue la norme« , disait ainsi Teju Cole, nouvelle voix et auteur à la rentrée du sublime Open City ( lire pages suivantes).

Le goût des histoires

 » J’ai toujours trouvé dans la littérature américaine une consistance, une force résolument moderne. Et surtout le goût des histoires, quelque chose de particulier lié aux personnes, aux récits, aux destins« , renchérit Francis Geffard. Le destin américain, la première fiction, fondatrice, qui innerve toutes les autres. Un mythe de l’exception -résumé en ces termes par Salvatore Scibona:  » L’essence du rêve américain, c’est l’argent et la mobilité des classes, la possibilité d’ascension. C’est cette image d’un gosse battu par son père alcoolo et qui devient Bill Clinton« – de plus en plus difficile à tenir à la face du monde, et dont les écrivains s’emparent pour mieux l’effriter entre leurs pages – » arrêtons de penser le rêve américain, et commençons à penser le rêve de chacun« , dira Percival Everett, auteur d’une £uvre à large spectre social. A quelques jours des élections, les auteurs auront amplement pointé l’absence criante d’une véritable voix de gauche – » Les problèmes aux USA sont d’une telle magnitude que tout changement profond doit venir d’en bas. Il est grand temps que le pendule revienne enfin à gauche« , dira Philipp Meyer, auteur du choc Un arrière-goût de rouille. Plus tard, ailleurs, Russell Banks, écrivain de cette autre Amérique des marginaux, des rêveurs alcooliques, des inadaptés, empoignait sa définition ultra lucide et vibrante de l’écriture.  » La tâche de l’écrivain, c’est de lutter contre la célébrité, contre les phénomènes de mode, contre l’éphémère de la littérature même. C’est se concentrer sur des détails infimes pour tenter d’atteindre une vérité de plus grande échelle. La politique d’Obama sera-t-elle à considérer dans les quatre prochaines années? Incontestablement. Sera-t-elle d’une quelconque importance dans une perspective historique? Franchement, je ne crois pas… « Affaire à suivre, donc. l

TEXTE YSALINE PARISIS À PARIS

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