BRUNO DUMONT A TROUVÉ CAMILLE EN JULIETTE, CLAUDEL EN BINOCHE, DANS L’ÉPURE D’UN ART DEVENANT VÉRITÉ.

Nous sommes à Berlin. Il est à peine 9 h. Très tôt pour la plupart des acteurs et réalisateurs participant au Festival du Film, qui ne prévoient jamais aucune interview avant 10 h. Bruno Dumont entame déjà les siennes. Voici deux jours, son admirable Camille Claudel 1915 a saisi la Berlinale. Laquelle programmait, juste avant, le Closed Curtain de Jafar Panahi, cinéaste empêché, enfermé, comme fut empêchée, enfermée, la sculptrice incarnée par Juliette Binoche dans le film de Dumont… Le thème de la séparation forcée de l’artiste et du monde résonnant doublement, non sans susciter la réflexion du cinéaste français. « Il y a une continuité dans la condition de l’artiste, commente-t-il. Le temps n’y change pas grand-chose, car le poète est souvent un transgresseur, il dérange, alors on lui met des clôtures, on l’assigne à résidence comme Panahi, comme beaucoup d’autres avant lui…  »

Transposition

Ce qui fait parler le plus, Dumont en est conscient (« Et comment!« ), c’est évidemment la présence dans son film de Juliette Binoche, première star et même première actrice connue à intégrer l’univers d’un auteur ayant toujours privilégié le travail avec des interprètes non-professionnels. « Dès le départ, le projet c’était elle, explique le réalisateur. Tout est né de la proposition que je lui ai faite de tenir le rôle de Camille Claudel. J’ai bien sûr pesé les choses, les enjeux, je devais réfléchir à ce que j’allais mettre en branle… Le fait que ce soit une star de cinéma, une actrice connue, c’est sur le papier exactement le contraire de ce que je fais! Mais cependant… C’était la première fois aussi que j’entreprenais un travail de biographie. Je me devais de rendre l’expression au plus près possible de la vérité de ce qu’on peut savoir de Paul et Camille Claudel. Camille était, au moment de son internement, quelqu’un de très connu. Ce n’est pas une anonyme qui fut enfermée, mais une artiste à la grande renommée. La renommée de Juliette Binoche, le fait que les spectateurs la connaissent, n’était donc aucunement une gêne. Sinon c’eût été une erreur de faire le film…  »

Si Dumont a situé l’action en 1915, c’était « pour partir du corps actuel de Juliette et le transposer dans le corps de Camille, sans qu’il y ait tricherie. » De son interprète, le cinéaste dit: « Elle est venue, et je l’ai reçue. Elle a accepté mes conditions de travail, que sa présence n’a en rien révolutionnées. » Des méthodes incluant le recours à des interprètes « de la vie réelle« , en l’occurence de vrais malades mentaux, qui entourent Binoche et que Dumont filme sans cette empathie forcée que nombre de ses collègues se sentiraient obligés de montrer. « C’est quasi documentaire. J’ai travaillé avec un psychiatre qui voyait cette expérience de jouer dans le film comme une forme de thérapie, aucunement comme une intrusion. Il ne m’aurait pas laissé faire, sinon… Il m’avait demandé: « Vous allez leur faire faire quoi? » et j’avais répondu: « Mais rien. J’ai seulement besoin de leur état psychologique réel, pour que nous puissions aller vers la compréhension de ce que pouvait être la vie de Camille parmi eux. » »

Dénuement

Le film couvre une action d’à peine quelques dizaines d’heures. Une concentration du temps bien dans l’approche qu’a Dumont, et qui veut que l’instant peut tout dire. Il résume cela d’une belle formule: « Le petit ruisseau suffit pour voir la mer. » Et de justifier son choix par le fait que « Camille ne faisait pas grand-chose de ses journées, la lecture de son journal médical l’atteste. Sa seule espérance, c’était les visites. Alors construire le film sur la tension suscitée par une visite me paraissait intéressant. Réduire le plus possible l’action autour de cette attente de l’arrivée de Paul donne au film sa dynamique, son suspense en fait. J’ai dit et redit à Juliette que Camille ne sait pas qu’elle va rester 30 ans enfermée, qu’elle va mourir à l’asile. Elle croit qu’elle va sortir, elle vit dans l’espérance. C’est comme quand on filme Jeanne d’Arc. On sait qu’elle va brûler, mais elle ne le sait pas, elle refuse cette perspective! »

Binoche projette d’autant plus fort cette espérance presque naïve qu’elle a -prodigieusement- tous ces âges en elle -son regard, dans un visage de femme de presque 50 ans, sait encore avoir une expression d’enfance. « C’est pour cela que l’option du dénuement -pas de scénario, pas de maquillage- pouvait fonctionner. Car son être naturel était bien le noyau dans lequel je pouvais trouver Camille Claudel. Camille Claudel, c’est elle! Ce n’était pas la peine qu’elle mime… »

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