L’ACTUALITÉ TERRORISTE DONNE UNE RÉSONANCE PARTICULIÈRE AUX COWBOYS, WESTERN CONTEMPORAIN HANTÉ PAR LES ÉCHOS DU DJIHAD.

Une jeune fille qui se convertit à l’islam et suit son petit ami radicalisé vers la clandestinité, le djihad. Un père et un frère qui la recherchent à travers l’Europe (avec un passage inquiétant en Belgique…) et même au-delà. Les éléments narratifs des Cowboys résonnent avec une force très particulière en ces temps de massacres parisiens et d’angoisse bruxelloise. La sortie du premier long métrage de Thomas Bidegain, scénariste attitré de Jacques Audiard, se déroule dans un cadre illustrant tragiquement l’actualité de son propos aussi pertinent que risqué. Pourtant, si son « timing » est incroyablement « adéquat », le projet du film ne date pas d’hier… « Tout comme Dheepan, que j’ai écrit avec Audiard et qui est lui aussi tombé pile dans le contexte de la crise migratoire, Les Cowboys a mis longtemps à se faire, à s’écrire, à se penser, explique Bidegain. Dheepan, on en a eu l’idée pendant le tournage d’Un prophète(en 2008, NDLR), et celle de mon film m’est venue il y a quatre ou cinq ans, bien avant qu’on ne parle de l’Etat islamique et de son djihad international, bien avant qu’on évoque le départ de jeunes Français convertis et encore moins le cas de jeunes filles. Alors, quand certains nous accusent d’opportunisme… »

« Au départ d’un projet de film, je me demande toujours ce qu’il va pouvoir nous raconter sur le monde, poursuit le scénariste devenu réalisateur. De rouille et d’os parlait de la crise, d’un prolétariat qui n’a plus que sa chair à vendre. Un fond très marxiste, habillé d’orques, de combats, parce que le cinéma, c’est avant tout des images, et le film de genre avance toujours masqué… Les Cowboys nous parle de destins personnels, tellement personnels en fait qu’ils vont -aussi- nous raconter le monde, ses conflits, ses déséquilibres. Etre à la hauteur des personnages, voir ce qu’ils voient, être chevillé à leurs incompréhensions, à leurs découvertes… Bien sûr, à mesure qu’on parlait de plus en plus d’attentats, de djihad, j’ai eu peur. Pas peur des réactions, mais peur que le sujet dévore le film. »

Croyance et doute

« C’est la télé qui parle des sujets de société. Nous, on fait des films, on parle de personnages! » Et les personnages des Cowboys, Thomas Bidegain ne les juge pas. « Le cinéma, c’est s’approcher des personnages, ne pas les réduire à quelques données sociologiques ou géopolitiques. Et quand on fait des films de genre, c’est faire des héros. » La référence au western n’est pas dans le chef du réalisateur une coquetterie cinéphile. « Cowboys et Indiens, c’était une bonne métaphore pour cette guerre des civilisations dont on s’est mis à parler après le 11-Septembre, développe notre interlocuteur. S’il y a vraiment guerre de civilisation, alors il n’y a pas de réconciliation possible. Il faut connaître l’autre, voir que ses aspirations comme ses peurs sont au départ proches des miennes. Avant bien sûr que n’intervienne l’idéologie, car c’est bien elle le problème! Il y a croire, et douter. Seul le doute nous rapproche des autres, nous permet de les comprendre… »

Comme dans les bons westerns, les personnages des Cowboys se déplacent mais, aussi et surtout, ils portent en eux leur cheminement, de manière palpable. « C’est un film sur la transmission, commente Bidegain, mon père disait toujours: « Recevoir, célébrer, transmettre »… Le récit se déroule sur une longue période pour poser la question de ce dont on hérite, de ce qu’on peut faire pour améliorer notre sort, pour envisager la réconciliation, le retour à un équilibre que le départ de Kelly pour le djihad a bouleversé. Cette quête prend du temps, beaucoup de temps… Vous savez, la communauté des cowboys du film, c’est nous, c’est notre monde, une miniature de notre monde. Le film de genre permet ça. Le film de genre est démocratique! Il permet de réduire les enjeux à des codes que l’on connaît bien, des enjeux de pouvoir, de territoire, de quête. Et au-delà de l’histoire simple à comprendre et à partager, on peut réfléchir à nous-mêmes, au monde… Je viens de là, ma cinéphilie vient de là. La Nuit du chasseur (1) me parle de la crise de 1929, des enfants perdus. New York-Miami de Capra (1934, NDLR) est une comédie trépidante, mais quand ses héros se retrouvent bloqués à un passage à niveau, sur le train qui passe, il y a plein de migrants… Les films de genre, le film « noir » des années 40 et 50 singulièrement, témoignent de la société plus et mieux que les films sociaux de la même époque. Je me méfie des films frontalement politiques, comme ceux de Michael Moore, par exemple. Ils ne parlent qu’aux convaincus. On reste entre soi… Le cinéma de genre, lui, accueille tout le monde, à travers des figures éprouvées. Mais la réalité y arrive comme un train! »

(1) DE CHARLES LAUGHTON, 1955.

TEXTE Louis Danvers

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