BENOÎT DELÉPINE ÉCLAIRE POUR NOUS QUELQUES ASPECTS D’UN GRAND SOIR AUX COULEURS DE PLAISIR ET DE LIBERTÉ.

Pour une fois, son inséparable complice Gus Kervern n’est pas là. Benoît Delépine est venu seul à Bruxelles évoquer la nouvelle comédie libertaire du tandem qui nous offrit déjà Aaltra, Avida, Louise-Michel et Mammuth.  » Gus a pété la chaudière, à Cannes, explique-t-il. Aujourd’hui, quand ça vous arrive, avec Internet, votre femme et vos proches le savent tout de suite. Alors il est un peu tricard, là. Il a retrouvé la forme, mais il n’a pas d’autorisation de sortie… » Le coréalisateur du Grand soir ( lire critique dans Focus du 08/06) se commande un verre de vin blanc ( » Le premier de la journée!« , il est 15h), et révèle que l’idée de départ du film fut d' » imaginer ce que serait Diogène aujourd’hui« .  » La première version du scénario, faisant déjà une centaine de pages, parlait d’un SDF habitant un tonneau d’aujourd’hui, une conduite en ciment, et qui haranguait les gens dans les rues piétonnes, en leur disant la vérité comme Diogène en son temps« , poursuit Delépine. Le personnage a ensuite évolué vers « le punk à chien philosophe », et Benoît Poelvoorde s’imposa dès lors comme seul et unique choix pour le rôle.  » Nous terminions le tournage de Mammuth , sur la plage de Royan, par une scène entre Gérard (Depardieu, ndlr) et Benoît, se souvient le réalisateur , et le soir même j’avais envoyé un message à Benoît en lui disant: « Retiens déjà ton mois de juillet dans deux ans, parce qu’on tournera avec toi.  » Et quelques mois avant juillet, on lui a dit que le personnage serait le plus vieux punk à chien d’Europe… »

Une fois Poelvoorde à bord, il y eut l’envie de le réunir en duo avec Albert Dupontel.  » Ils ont un parcours parallèle, commente Benoît Delépine, ils ont le même âge à trois mois près, Benoît a commencé avec C’est arrivé près de chez vous et Albert a explosé dans Bernie deux ans après. Deux petits bijoux d’humour noir. C’est fou que personne n’ait pensé à les faire jouer ensemble auparavant! » Le théâtre choisi pour faire évoluer les deux frères n’allait pas être une ville mais  » un espace périurbain, une zone commerciale, un espace presqu’absent au cinéma, et qui a donné plein d’idées de scènes« . Pour jouer les parents des frangins, Kervern et Delépine ont jeté leur dévolu sur Brigitte Fontaine et Areski, artistes cultes de l’underground français subversif et pré-punk.  » Brigitte, c’est une pirate, elle est imprévisible, dans la vie comme dans ses chansons. Elle est pure poésie, en fait!« , s’exclame Delépine, qui révèle avoir d’abord pensé à Eddy Mitchell pour le rôle du père ( » Mais il demandait trop cher« ), avant de le confier au vieux complice de Fontaine qu’est Areski. Lequel s’avère excellent, malgré son inexpérience en tant qu’acteur, étant notamment  » incroyablement émouvant dans la scène où il pèle entièrement une pomme de terre, avec dans le regard une détresse absolument étonnante…  »

Le cinéma, la vie

Si Albert Dupontel y est plus qu’épatant, et que les seconds rôles y sont fort bien tenus (par Bouli Lanners et Serge Larivière, notamment), Le Grand soir est avant tout le film de Benoît Poelvoorde. Une fois de plus phénoménal dans la composition, avec sa crête à l’iroquoise et son pseudo tatoué sur le front, le comédien namurois signe une interprétation prodigieuse. Entre rébellion, drôlerie, tendresse et désarroi, il émeut autant -si pas plus- qu’il amuse.  » C’est le héros du film, c’est sa vérité, sa liberté, il a réussi à se trouver humainement, c’est dur -comme il dit- mais tellement beau, émouvant. Benoît s’est livré entièrement, avec ses fragilités, de manière bouleversante par moments (comme dans la scène où il prend le micro dans le supermarché). Il faisait tomber le masque, c’était du vécu. Et ça tout en étant physiquement méconnaissable! Quand il se baladait, le soir, c’était un punk à chien comme les autres, il se faisait inviter dans des squats bordelais, à des fêtes, sans que les gens sachent qui il est…  »

Le cinéma, pour Delépine et Kervern, est une quête permanente de liberté, rejetant « tout ce que le système essaie d’imposer« , aspirant à  » de plus en plus de simplicité« , ouverte à tous les possibles.  » Chaque film est comme un être vivant, qui respire et se développe, s’enthousiasme notre interlocuteur , il faut être sans cesse aux aguets pour ne rien rater des richesses qui se présentent, des accidents qui surviennent, comme le soleil qui apparaît sans prévenir pendant un plan très émotionnel. C’est notre rôle et notre but: se préparer à capter ces moments de grâce imprévisibles. Nous sommes aussi les auteurs de nos vies, nous sommes capables d’écrire au fur et à mesure du film. Et cette fois-ci, on a écrit plus de scènes que jamais pendant que nous tournions. C’est notre liberté, comme le fait de travailler dans l’ordre chronologique, en toute petite équipe, avec un appareil photo (un Canon 7D) et en un mois seulement (on filmait même le dimanche, dans les hypermarchés vides…). Personne ne rentrait chez lui, les acteurs se reposaient le samedi mais ils restaient sur place, avec nous, tous embarqués dans la même histoire. » l

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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