Sans même y avoir jamais mis les pieds, on se dit que la vie à Kinshasa ne doit pas être rose tous les jours. Vue d’ici, et en compilant les récits de voyageurs, les bribes de JT, les docs à charge de Thierry Michel ou les rares films de fiction décortiquant le quotidien local (comme Viva Riva!), la capitale congolaise ressemble à une Sodome et Gomorrhe exotique. Une sorte de marmite en ébullition permanente dans laquelle on plonge à ses risques et périls. On en oublierait presque qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Dans les années 50 et 60, soit juste avant et juste après l’indépendance, le Congo baignait dans un climat d’euphorie joyeuse dont le thermomètre grimpait encore à la nuit tombée. Assis sur un coffre-fort, le pays était alors le phare de l’Afrique noire. Loin de l’agitation politique, le peuple s’enivrait du parfum de liberté et ne se faisait pas prier pour enflammer les nuits kinoises à la chandelle des milliers de bars et de clubs déversant une rumba endiablée. La joie de bientôt voler de ses propres ailes et la fin du joug belge étaient les carburants de cette ivresse. La Primus qui coulait à flot faisait le reste. Cette dolce vita congolaise ne vivrait plus aujourd’hui que dans la mémoire de quelques fêtards et expats retraités si un photographe n’avait trouvé cette fièvre à son goût. Comme les jeunes gens modernes de l’époque, Jean Depara écumait la nuit dans le sillage sulfureux des kings du mambo à l’huile de palme, Franco en tête. A l’affût des moindres pulsations de la jeunesse pendant 25 ans, ce Malick Sidibé congolais dresse le portrait d’une génération désinhibée accommodant à sa sauce les standards occidentaux. On tombe immédiatement sous le charme de ces clichés moites, compilés dans une expo parisienne et dans un album de poche. Les surprises ne manquent pas, comme de voir Noirs et Blancs se mélanger, s’enlacer, se bécoter en toute insouciance. Avec ses « Bills » déguisés en cow-boys, ses sapeurs pilotant des décapotables américaines, ses élégantes en robe fourreau, ses messieurs muscles paradant au complexe sportif de la Funa, Léopoldville semblait avoir adopté l’American way of life. La reprise en main par Mobutu à l’aube des seventies, la fameuse zaïrisation, sonnera le glas de cet âge d’or. Reste ces images magnétiques pour rêver d’un autre futur… l

DEPARA, NIGHT AND DAY IN KINSHASA, 1951-1975, GALERIE MAISON REVUE NOIRE, 8, RUE CELS, À PARIS (XIVE). JUSQU’AU 17 DÉCEMBRE.

JEAN DEPARA, TEXTE DE JEAN-LOUP PIVIN ET PASCAL MARTIN SAINT LÉON, COÉDITION MAISON REVUE NOIRE/LA FABRICA.

LAURENT RAPHAËL

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