Canción

« On ne m’avait encore jamais demandé d’être un écrivain libanais. Un écrivain juif, oui. Un écrivain guatémaltèque, bien sûr. » Fraîchement débarqué à Tokyo pour participer à un congrès d’auteurs libanais, Eduardo Halfon, figure marquante des lettres latino-américaines, s’interroge sur le comportement à adopter. Marchant dans les pas de son grand-père, il enfile un des « déguisements » de celui qui a toujours revendiqué cette nationalité bien qu’ayant fui Beyrouth en 1917, trois ans avant la création du Liban. Avec ses frères, l’aïeul émigra aux États-Unis avant de s’installer au Guatemala, où l’on surnommait « Turcs » tous les Arabes et les Juifs. À partir d’un souvenir d’enfance, Halfon détricote l’enlèvement de son grand-père en 1967 par une poignée de guérilleros. Séquestré 35 jours, l’ancien sera l’otage d’une reine de beauté et du redoutable Canción, boucher à ses heures, impliqué dans l’enlèvement et l’assasinat de Karl von Spreti et John Gordon Mein, ambassadeurs allemand et américain au Guatemala. À sa façon de suspendre le temps, de déchiffrer le marc de café des ellipses, d’enchâsser le trouble des identités, Halfon s’impose en champion du format court. Outre la naissance de la guérilla guatémaltèque début des années 60 « par l’union d’un fantôme et d’un caïman », le lecteur plonge dans l’antichambre d’un rade aux airs de saloon puis retient son souffle lors d’apartés à fleur de peau au congrès de Tokyo. Quant à connaître les raisons véritables de l’enlèvement, il faudra se faufiler entre les mailles du silence de grands-pères survivants, au Guatemala comme à Hiroshima, « après une longue nuit de tequila, de tabac et de regards de miel (…) » Envoûtant.

D’Eduardo Halfon, éditions de La Table Ronde/Quai Voltaire, traduit de l’espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg, 176 pages.

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