Je porte beau, aujourd’hui. J’ai mis un costume noir, un oeillet rouge vif à ma boutonnière, et des chaussures vernies. Mon bouc est soigneusement taillé, d’un noir profond, comme mes cheveux, brillants et tirés en arrière. J’aime soigner mes apparences et l’élégance n’est pas un vain mot, pour moi. Je n’ai certes pas de l’élégance dans tout, non. La ruse et le mensonge m’obligent souvent à me comporter sans la moindre once de celle-ci. Mais le paraître, c’est mon domaine. Et tout le reste, c’est mon plan. Ce monde est sous ma coupe, car ma séduction n’a aucune limite et les hommes sont des proies si faciles. J’aime à penser parfois qu’ils n’attendent que moi, perdus, à l’agonie, torturés par une conscience toujours prête à céder. Sans volonté propre. C’est bien souvent le cas.

Dans le ciel, le soleil brille d’une lumière agressive, tache d’or liquide qui brûle la peau en vous soudant les yeux. Mais moi j’y suis à l’aise. La fournaise est mon berceau. J’avance, tête haute, léger, comme flottant au-dessus du sol et, où que se porte mon regard, sur la rive boueuse du fleuve, charriant ses eaux acides, sur le grand port bruyant, ses grues et ses hangars comme des bêtes mortes, sur le toit des buildings incendiés, leurs yeux de verre clignotant, leur sommet défiant le ciel, partout, oui, tout ce qui est m’appartient. Tout sauf ce ciel.

Ce ciel bleu, insolent, vaste et beau, c’est celui de Bruxelles. Pourquoi ai-je toujours aimé ce pays et cette ville, en particulier. Bruxelles. À un point tel que j’épargne sans cesse ses habitants. Le plus possible, dirons-nous. J’aime leur candeur touchante. Ma lumière, j’hésite à leur apporter. Je m’interroge souvent à ce sujet. Je n’ai aucune réponse.

En ce jour radieux, je me rends, paresseux et flânant, en un lieu où mes humeurs se plaisent, libres de s’exprimer sans trop de contraintes. La peur, l’excitation, le désir, les passions, la sueur et les cris, tout y est réuni pour me plaire. J’aime quand ils font semblant. Si je fomente des guerres, des famines, des catastrophes innombrables, je goûte peu d’y assister. J’aime monter ici-haut, me perdre dans la foule, savourer quelque temps, dans un corps de chair, mortel, les contraintes affligeantes de la vie humaine. Son éternelle légèreté, aussi. Sa pâle inconsistance. Moi qui vis depuis des millénaires, cela m’est parfois douloureux, mais comme peut l’être la mélancolie. La nostalgie. Alors je fais semblant. Comme eux font semblant d’avoir peur, d’affronter la terreur et l’effroi. Tout cela m’amuse et me distrait un peu.

J’étais dans REC, Cube, ou Dark City, il y a quelques années. Tous primés au BIFFF. Je suis à l’origine de tant de choses. Les amateurs d’épouvante ne le savent pas, ou si peu d’entre eux; et ceux-ci passent pour des fous, quand ils se risquent à m’évoquer.

Ici, à Bruxelles, seul le BIFFF me rend hommage sans se prendre au sérieux. Ils me connaissent sans doute. Je ne sais pas. Je ne veux pas qu’ils sachent que je m’invite chaque année, inspirateur éclairé de la plus froide et cruelle noirceur humaine. Les hommes m’aiment, m’adorent et m’adulent. Je suis dans leurs films, leurs musiques, leurs objets, leurs emblèmes, et jusque dans leurs prières, maintenant. J’ai vaincu, pour finir. J’aime m’en souvenir. Alors ici, à Bruxelles, je viens en paix. Je me glisse, ombre et lumière, dans la ville et ses méandres obscurs. Nul ne sait que je suis là. Je suis dans les détails, comme invisible et pourtant devant les yeux de tous. BIFFF. 29666.

Moi, Lucifer, l’ange déchu. Le porteur de lumière.

UN TEXTE INSPIRÉ PAR LA 33E ÉDITION DU BIFFF QUI S’OUVRE PROCHAINEMENT À BRUXELLES.

TEXTE Eric Maravélias, ILLUSTRATION Capucine

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