Critique

Le Pavillon belge de la Biennale de Venise, un petit bijou d’ironie

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Pétard explosant au visage de ceux qui l’ont conspué, le Pavillon belge de la Biennale de Venise est un petit bijou ironique et mordant. Primé qui plus est.

Des innocents aux mains pleines. Voilà ce que l’on se dit rétrospectivement à propos de Jos de Gruyter et Harald Thys, les deux Bruxellois néerlandophones chargés de représenter la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) à Venise. Quand on les avait rencontrés en amont de la grand-messe vénitienne, on se souvient de les avoir comparés au duo de Dumb & Dumber, le film des frères Farrelly mettant en scène deux idiots de première. On aurait peut-être mieux fait d’évoquer Beavis et Butt-Head, ce tandem d’adolescents azimutés jamais avare d’un mauvais coup… C’est eux, on en a désormais la preuve. Car ce n’est rien de moins qu’un jubilatoire pied de nez adressé au monde de l’art, ainsi que par la bande à la sphère politique, que Thys et de Gruyter ont réussi. Cette farce féroce prend place au sein d’un univers grinçant,  » quelque part entre le Fourneau Saint-Michel et Bokrijk« , comme l’a pointé avec beaucoup de justesse la journaliste de la RTBF Françoise Baré. À la frontalité d’oeuvres indécentes -on pense à l’épave de cette barque qui fut fatidique à près d’un millier de migrants exposée du côté de l’Arsenal-, le couple d’artistes belges a choisi de jouer la carte de l’ironie, du refus de se prendre au sérieux. Ça marche: impossible de ne pas pouffer de rire en voyant les visiteurs faire consciencieusement le tour -dans le sens horlogique pour les plus dociles- de leur petit théâtre de pacotille articulé en une vingtaine de poupées évoquant un musée du folklore de bas étage.

Deux polissons

Dès l’entrée, ils sont là les deux polissons que l’on suppose heureux de leur coup. Deux automates à leur effigie les représentent en peignoir, mal réveillés, voire hébétés. On comprend, comment peut-il en être autrement dans ce contexte de grand-guignol qu’est la Biennale? Le dispositif mis en place par les deux plasticiens est limpide. Une scène centrale qui fait place à la bonne société laborieuse et, relégués en périphéries, les exclus du système. Les habitants du centre s’animent régulièrement, fidèles en cela à une vie en pilote automatique d’où est exclu le sens au profit de la routine. Un pizzaiolo qui semble sorti d’un épisode des Simpson prépare sa pâte, un pianiste foireux plaque deux accords lugubres sur un clavier, une potière, une fileuse… Cet univers figé et bancal sent le moisi, il est celui de la mise au travail généralisée. Un peintre devant son chevalet semble confirmer la promptitude de l’art à se conformer à cette pantomime sociale. Derrière des grilles, les laissés-pour-compte de la marche du monde réclament de l’attention. Le meilleur exemple en est donné par une mendiante qui, à intervalles réguliers, frappe le sol de sa canne. À ses pieds, cinq rats et des déchets. Difficile de mieux suggérer les pestiférés modernes. Si cette silhouette repoussante est seule dans sa cellule, Thys et de Gruyter ont pris soin de reléguer d’autres figures à la niche: l’invalide, l’implorant, l’ancien espion du KGB… Pas l’occasion d’aller à Venise? Consolation: un site féroce prolonge ce propos à travers une sélection de vidéos internationales drôles ou édifiantes. Le jury de la Biennale n’est pas resté de marbre devant Mondo Cane, lui attribuant un accessit -une première pour la Belgique- en raison de son  » humour implacable« . Voilà qui est juste et bon.

Mondo Cane

Jos de Gruyter & Harald Thys, Pavillon belge (Giardini), à Venise. Jusqu’au 24/11.

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