Critique | Cinéma

Un petit frère, chronique sensible de l’immigration en France

3,5 / 5
© © Blue Monday Productions
3,5 / 5

Titre - Un petit frère

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Léonor Serraille

Casting - Annabelle Lengronne, Stéphane Bak, Kenzo Sambin

Sortie - En salles

Durée - 1h56

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Caméra d’or à Cannes en 2017 pour Jeune femme, Léonor Serraille livre, avec Un petit frère, une chronique sensible de l’immigration en France de la fin des années 80 aux années 2000.

Léonor Serraille, on l’avait découverte en 2017, à Cannes, où elle présentait Jeune femme, son premier long métrage, à Un Certain Regard. Un coup d’essai joliment transformé, le film -l’errance parisienne solitaire de Paula, la trentaine magnifiquement incarnée par Lætitia Dosch- repartant de la Croisette avec la Caméra d’or. Cinq ans plus tard, la cinéaste lyonnaise, diplômée de la Fémis après des études de lettres à Paris, Lyon et Barcelone, a pris du galon, puisque c’est en compétition qu’elle présentait Un petit frère en mai dernier. Elle y met en scène une famille ivoirienne -Rose, la mère (Annabelle Lengronne), et ses deux fils, Jean et Ernest-, débarquée en banlieue parisienne à la toute fin des années 80. Pour les accompagner ensuite sur une vingtaine d’années, et écrire une chronique plurielle sensible de l’immigration dans la France contemporaine.

Dessiner des modèles

Si elles ont des profils sensiblement différents, Paula et Rose ont en commun d’être des femmes maîtresses de leur destin. Ce qui, l’on s’en doute, ne doit rien au hasard: “Bien sûr, c’est important, soupèse la réalisatrice. Je le fais avant tout pour que le film me porte moi: ça me parle beaucoup, les femmes qui se battent et qui, en même temps, ne se victimisent pas. Rose a une forme d’insoumission et de force qui me touche, déjà. J’ai beaucoup de respect: c’est un personnage et aussi une comédienne -les deux vont ensemble maintenant- qui ont beaucoup d’élégance, et qui m’inspirent. Quand j’écris, je pars dans l’envie de dessiner des modèles pour moi. C’est très égoïste, finalement. On fait le film pour soi, c’est vrai, j’en suis sûre (rires).” Une démarche qui n’est pas à sens unique, Léonor Serraille puisant la sève de ses personnages dans son vécu. “Rose, je l’ai nourrie de mon expérience de maman. Comme j’ai eu une carte blanche sur cette histoire, et qu’on m’a fait une confiance totale, je me suis dit qu’il fallait que je donne de moi aussi, pour être à égalité. Il y a beaucoup de choses qui sont liées à moi dans ce film, à mon rapport avec ma propre mère et avec mes enfants. Je suis allée puiser dans mes souvenirs de mon inquiétude de voir mes enfants vieillir trop vite, et comment j’allais les regarder petits, adolescents, adultes. Ce sont des choses qui me passionnent et qui en même temps me font peur. Et il y a aussi des éléments qui sont restés de mon parcours scolaire: pendant mes études de lettres, j’ai travaillé sur des auteurs comme Léonora Miano, j’ai étudié son premier roman et l’image de la femme dans son livre. J’ai beaucoup aimé étudier la littérature francophone à l’université, et il y avait une envie de parler un jour d’une femme venue d’Afrique subsaharienne. Après, je l’ai nourrie avec mon ressenti de personne, de femme, pas tellement de réalisatrice.

“Je n’ai pas la télé, je n’ai pas Netflix, mais je me tiens informée.”
“Je n’ai pas la télé, je n’ai pas Netflix, mais je me tiens informée.” © GETTY IMAGES

Découpé en trois chapitres, correspondant à chacun de ses trois personnages principaux, Un petit frère se veut, avant tout, “fidèle à la vie”. Et d’en épouser les fluctuations sur une vingtaine d’années, le curseur narratif glissant de la mère à Jean puis Ernest, tandis que s’esquissent leurs portraits complémentaires mais contrastés. Si elle veille à privilégier l’intime et à ne pas laisser le discours empiéter sur ses personnages, la réalisatrice autorise néanmoins le politique à infuser le récit par petites touches -le temps d’un contrôle policier tenant du harcèlement par exemple, ou d’une allusion à la loi Pasqua. “Ce que je voulais raconter avec la scène du contrôle, c’est que, si elle donne un cadre à des gens et même une carte d’identité, la France ne remplit pas la mission après, elle n’est pas juste avec les autres. Ce contrôle de police, c’est une scène que j’ai vécue avec mon compagnon. C’est l’un des rares moments de la vie où l’on se dit “Ah, c’est vrai, je suis noir, je viens d’ailleurs”. Les personnes qui viennent d’ailleurs et qui s’installent en Europe, en France, elles travaillent ou pas, elles ont des enfants, elles vivent, elles paient leurs impôts, elles font au maximum les choses, mais souvent, la société leur dit “non, en fait, tu n’est pas tout à fait là, tu es ici sans être vraiment là”. Je trouve ça très violent, c’est quelque chose que je ne comprends pas, c’est pour ça que j’ai écrit le film…” Et de poursuivre: “Il y a une peur de l’autre qui est différent de nous. Et on a peut-être un devoir, une responsabilité en tout cas, devant ça. Je ne suis pas engagée politiquement, c’est un regret que j’ai. Mais on peut aussi faire des choix de sujets ou de personnages, et on peut vouloir qu’ils existent et trouver ça normal. Moi, j’avais besoin de leur offrir un écrin où ils pouvaient s’exprimer en dehors de la misère et de la tristesse. Je me suis dit: “La migration, c’est aussi une histoire de force, de panache, de liberté qu’on s’attrape, et il y a une élégance à ça”. Et on doit aussi la représenter comme ça, on ne peut pas juste l’associer à du gris ou du moche. D’où les couleurs qu’on a choisies tout le temps à l’image, on cherchait à les mettre en beauté.Manière encore de conférer à cette histoire un surcroît de souffle romanesque à l’aide d’arguments purement cinématographiques. Une vertu cardinale, pour une autrice plaçant la salle au cœur de sa démarche, à l’heure où d’autres se tournent vers les plateformes pour financer leurs films. Un état de fait qu’elle n’ignore nullement: “Bien sûr que plein de films se font grâce à Netflix, de très bons films même, et de très bonnes séries. Je n’ai pas la télé, je n’ai pas Netflix, mais je me tiens informée (rires). En France, beaucoup de films peuvent se faire, et c’est très bien, il faut garder ça. Et il faut aller les voir en salles, ce n’est pas pareil. Quand on fait un film, on pense à la salle et on le fabrique pour elle. Donc, il faut trouver un équilibre…

Un petit frère, de Léonor Serraille. Avec Annabelle Lengronne, Stéphane Bak, Kenzo Sambin. 1 h 56. Sortie: 01/02.

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