The Sweet East: un film pour « se moquer frontalement de l’Amérique d’aujourd’hui »

Talia Ryder, dans le rôle de Lillian, révélation hallucinée du film. © leia jospé
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Chef opérateur des frères Safdie, Sean Price Williams plonge tête baissée, pour son premier long métrage en tant que réalisateur, The Sweet East, dans le terrier d’une Amérique aussi tarée que désenchantée…

J’ai toujours voulu réaliser des films. À vrai dire, je ne savais même pas ce qu’un chef opérateur était quand je me suis lancé dans le milieu du cinéma. J’ai ainsi réalisé un court métrage il y a 20 ans de cela, et puis les choses ont fait que, durant près de deux décennies, je me suis mis au service de la vision d’autres réalisateurs, en m’occupant de la photographie de leurs films. Récemment, avec plusieurs personnes avec lesquelles j’avais déjà collaboré, on s’est dit qu’il était peut-être temps de se lancer dans une aventure plus personnelle. Et c’est comme ça que The Sweet East a commencé à voir le jour. Le scénario du film a été écrit par un ami à moi, Nick Pinkerton, qui est un critique reconnu, pour le magazine Sight and Sound notamment. Très vite, nous avons convenu que l’histoire de cette fille serait un prétexte pour moquer assez frontalement certaines situations sociétales propres à l’Amérique d’aujourd’hui.

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Grosse barbe hirsute, cheveux longs, sourire en coin et l’air toujours un peu perché, Sean Price Williams tente de mettre des mots plus ou moins cohérents sur les enjeux de son premier long métrage, trip sacrément barré, pas forcément facile à résumer ni à appréhender. Nous sommes à Deauville, en septembre dernier, en plein Festival du cinéma américain d’où le lascar repartira auréolé d’un légitime Prix du jury. Sûr que The Sweet East (lire la critique page 23), quelques mois à peine après un passage déjà remarqué par la Quinzaine des Cinéastes à Cannes, n’y a laissé personne indifférent. Clairement influencé par l’univers d’un Lewis Carroll, le film, à mi-chemin entre le conte onirique et le récit picaresque sous acide, accompagne, en quelque sorte, la traversée du miroir d’une jeune femme, Lillian (Talia Ryder), lycéenne à la beauté piégeuse qui choisit de fuguer durant un voyage scolaire et découvre, au fil de ses rencontres hallucinées, un monde insoupçonné, entre punks, activistes, suprémacistes romantiques et islamistes fans d’électro… “Je suis parti du principe que je n’aurais peut-être jamais l’opportunité de réaliser un autre long métrage après celui-ci, donc j’ai décidé d’y aller plutôt franco, disons, se marre Sean Price Williams. J’aimais l’idée de charger le film de manière joyeusement foutraque, de le nourrir de plein d’idées partant dans tous les sens et puis très loin. Un peu comme dans un rêve, oui.

Le principe de plaisir

Le film est aussi gavé de références diverses et variées, qui vont de l’œuvre d’Edgar Allan Poe au cinéma de D. W. Griffith, incontournable pionnier américain du cinéma moderne dont le monumental Naissance d’une nation (1915) pose depuis plus d’un siècle grandement problème par son apologie à peine voilée du racisme. Soit l’un des maux aussi absurdement que violemment taclés par The Sweet East. “Le personnage joué par Talia dans le film s’appelle d’ailleurs Lillian parce que son regard est, pour moi, très réminiscent de celui de Lillian Gish, qui était l’actrice fétiche des films de Griffith. Mais oui, sinon, le film est clairement truffé d’influences et de références cinématographiques. Tout simplement parce que, quand je suis chez moi, je passe le plus clair de mon temps à regarder des films, et notamment beaucoup de films européens. Mais The Sweet East a aussi bien été influencé par les documentaires musicaux en 16 mm des années 60 et 70, comme le Monterey Pop de D. A. Pennebaker par exemple, que par les films d’horreur Troma des années 80…

En résulte un objet constamment stimulant, qui semble vouloir se réinventer à chaque séquence et distille en permanence un plaisir de cinéma qu’on sent très sincère. “Il était très important pour moi que le tournage de The Sweet East soit une espèce de tournage de rêve pour tout le monde. J’avais vraiment envie que chacun passe un super moment. C’est un peu comme si je voulais prouver qu’on pouvait faire des films de manière hyper solidaire, amicale, et en prenant pleinement son pied. Le plaisir était vraiment le mot d’ordre sur le plateau. Je suis très fier de ça. En faisant ce film, j’ai appris pas mal de choses. J’ai notamment réalisé que plus je donnais des consignes aux comédiens, plus ils semblaient confus (sourire). J’ai donc appris le lâcher-prise. Et il s’avère que les choses n’étaient jamais aussi bonnes que quand les comédiens suivaient leur instinct. Souvent, j’avais vraiment le sentiment que Talia, par exemple, comprenait le film bien mieux que moi.

Fulgurante révélation du film, cette dernière crève littéralement l’écran dans la peau de Lillian, muse désenchantée aspirée dans un improbable tourbillon de délires satiriques. “C’est rigolo parce que Talia est en fait la toute première personne que j’ai rencontrée pour ce rôle. Mais je me suis dit: “Ça ne peut pas être elle, ce n’est pas comme ça que ça marche, il faut d’abord rencontrer 500 autres personnes avant de trouver la bonne.” Donc, dans la foulée, j’ai effectivement rencontré énormément de monde. Et puis j’ai tout de même fini par comprendre que c’était bien elle la bonne. On a dû interrompre le tournage durant plusieurs mois afin de la libérer pour d’autres engagements. Et c’était plutôt une bonne chose, à vrai dire. Ça m’a permis de monter tout ce qu’on avait déjà filmé, et de réactiver la fabrique à idées. Les frères Safdie procèdent parfois de la sorte. C’est-à-dire qu’ils mettent en boîte leur film sans savoir comment il finit. Et puis ils tournent une fin six mois plus tard quand les choses se sont débloquées dans leurs têtes. C’est génial de pouvoir se permettre de faire ça. C’est un modus operandi bien sûr inconcevable sur une grosse production.

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