Rosine Mbakam, réalisatrice de « Mambar Pierrette »: « J’avais envie de questionner une certaine fragilité de la vie »

Comme Sisyphe poussant son rocher, Pierrette (au centre) fait face aux épreuves du quotidien avec une valeureuse rectitude. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Originaire du Cameroun et formée à l’école de cinéma belge de l’INSAS, Rosine Mbakam s’inspire, dans Mambar Pierrette, de la vie de sa cousine à Douala pour signer un grand film sur l’incertitude du quotidien.

J’ai grandi à Yaoundé et j’ai vécu en Afrique jusqu’il y a une quinzaine d’années. Je travaillais pour la télévision camerounaise. Mais mon désir profond était de faire du cinéma. Je suis donc venue étudier à l’INSAS à Bruxelles et pendant ces études j’ai découvert le documentaire de création. Quand je pensais au cinéma au Cameroun, je pensais davantage à la fiction parce que c’est à ça que j’étais alors essentiellement exposée. Le documentaire m’a donné l’autonomie et la liberté dont j’avais besoin pour construire mon regard et comprendre comment j’allais filmer le monde et les gens qui m’entourent.” Au téléphone, Rosine Mbakam, née au début des années 80 et désormais solidement installée en Belgique, remonte le fil de son histoire. Nous sommes en mai dernier, à quelques jours à peine du festival de Cannes, où Mambar Pierrette, son premier long de fiction, a été sélectionné à la très prestigieuse Quinzaine des Cinéastes. Après quatre longs métrages documentaires très remarqués tournés entre l’Europe et l’Afrique, et primés dans de nombreux festivals internationaux, elle renoue, dans ce nouveau film, avec son désir premier de filmer la réalité de sa famille au Cameroun par le prisme fictionnel. Le quotidien de sa cousine Pierrette, couturière émancipée à Douala à qui elle confie le rôle principal, lui inspire une histoire en prise directe sur le réel qui lui permet de poser un regard fort sur les femmes camerounaises de sa génération. Dans ce drame minutieux placé sous le signe de l’eau et de l’obstination, Pierrette, artisane à Douala, fait face à une série de sérieuses difficultés au moment de la rentrée scolaire de ses enfants. La porte de son atelier ouvre sur les incertitudes de toute une communauté, dont elle est autant la confidente que la couturière. Mais de fortes pluies menacent d’inonder son lieu de travail, l’obligeant à tout faire pour se maintenir à flot…

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À l’origine, mon désir de cinéma est né en regardant les gens de ma famille et en étant à l’écoute de leurs histoires de vie au quotidien. Avec ma cousine Pierrette, on est très proches. On s’écrit, on s’appelle et on échange malgré la distance. Les fins de mois ont toujours été compliquées pour nous deux et une solidarité s’est créée à travers ces difficultés en dépit de nos contextes de vie très différents. Un jour, Pierrette m’a envoyé des vidéos d’inondations et des dégâts qu’elles pouvaient causer chez elle. Ça m’a donné envie de questionner ça, une certaine fragilité de la vie, son côté imprévisible, où tout est toujours à refaire, à reconstruire.

Rosine Mbakam
Rosine Mbakam © Lore Thouvenin

La beauté du geste

Tourné exclusivement dans de vrais lieux de vie, en compagnie d’acteurs non-professionnels dont le quotidien nourrit directement le récit, le film revendique notamment sa part irréductible de fiction dans la dimension politique qui s’y exprime en arrière-fond. “La fiction vient densifier l’histoire mais sans dominer la réalité de Pierrette. Elle vient donner à son parcours sa juste résonance. C’est un exercice très mesuré de réappropriation qui nous ramène toujours au plus près de son vécu et de celui de ceux qui l’entourent.

Refusant toute tentation d’exacerbation spectaculaire, Rosine Mbakam capture les gestes, les regards et les tâches qui font un quotidien avec une désarmante sobriété. “Je crois fermement qu’en chaque personne, il y a déjà du cinéma, et qu’il faut aller le chercher. J’aime la manière qu’ont naturellement les gens de se mettre en scène. Et c’est ça qu’il m’intéresse de saisir, sans forcément ressentir le besoin d’en rajouter. Ça ne veut pas dire que je n’organise pas les choses, mais disons que je les organise dans le sens de faire émerger quelque chose qui est déjà présent. Dans la scène où Pierrette se fait agresser, par exemple, je m’impose de rester dans la sobriété et dans une certaine distance parce que les choses se passent de cette façon au Cameroun. Les agressions peuvent parfois y être tellement violentes que les gens n’opposent bien souvent aucune résistance. Ça donne une scène qui peut peut-être surprendre par son absence de spectaculaire. Mais il était hors de question pour moi d’être intrusive et de m’approcher trop près avec ma caméra parce que, en un sens, c’est un moment de solitude qui ne m’appartient pas.

Dans ce contexte, l’argent est clairement l’élément qui circule en permanence entre les personnages, et qui en occupe constamment l’esprit. C’est l’argent qui manque, l’argent qu’on cherche désespérément, l’argent qu’on vole, l’argent qu’on négocie âprement… “L’argent et la pluie sont les éléments qui tiennent le film, oui. En ce sens que la pluie vient détruire ce que l’argent a construit. Dans une situation de fragilité et de précarité, l’argent prend toute la place, ou presque. C’est le besoin d’argent et de sécurité qui est à la source du banditisme, mais aussi de l’immigration. L’argent est l’enjeu de toutes les problématiques liées à la jeunesse et à la société africaines aujourd’hui. Il conditionne le destin de chacun.

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