Critique | Cinéma

L’été dernier: l’emprise de la passion avec une Léa Drucker troublante

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Léa Drucker: “Le scénario avait un côté mystérieux, et j’allais être amenée à jouer quelque chose de dangereux, que je n’avais jamais fait auparavant. C’était comme se jeter d’une falaise.” © National
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Titre - L'été dernier

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Catherine Breillat

Casting - Léa Drucker, Samuel Kircher, Olivier Rabourdin

Sortie - En salles

Durée - 1h44

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Sous les traits d’une avocate entamant une liaison avec son beau-fils de 17 ans, Léa Drucker habite de sa présence troublante L’Été dernier, le nouveau film de Catherine Breillat.

Léa a un côté à la fois bergmanien et hitchcockien. Elle peut avoir ce côté impassible, elle est capable d’effectuer des mouvements totalement irréalistes, ce qui la rend d’autant plus troublante.” Qui mieux que Catherine Breillat pour tenter de cerner Léa Drucker? Dans L’Été dernier, le nouvel opus de la réalisatrice d’Anatomie de l’enfer, la comédienne signe une composition d’exception, sous les traits d’Anne, une avocate pénaliste dans la quarantaine entamant une liaison transgressive avec son beau-fils de 17 ans (Samuel Kircher, frère de Paul, révélé par Le Lycéen de Christophe Honoré et à l’affiche du Règne animal), sans égard (ou presque) pour les conséquences. Un rôle difficile, dont elle restitue les nuances avec un aplomb rien moins qu’impressionnant. “Beaucoup d’éléments m’effrayaient dans ce rôle, observe-t-elle. Le scénario avait un côté mystérieux, et j’allais être amenée à jouer quelque chose de dangereux, que je n’avais jamais fait auparavant. C’était comme se jeter d’une falaise. Pour être en mesure de rentrer dans ce personnage, il fallait mettre de côté ses préventions morales et se garder de la juger. Une expérience fascinante, que j’ai abordée en étant rassurée par les indications de Catherine Breillat, ses intentions étaient très claires.

Explorer le désir

À l’inverse d’un personnage volontiers opaque dont la comédienne souligne qu’il l’a immédiatement attirée, même si elle en a, forcément, questionné le comportement. “Anne n’a jamais eu ce genre de relation auparavant, c’est une femme forte, ayant mené une carrière brillante et construit quelque chose avec sa famille. Vu le métier qu’elle exerce, elle ne peut agir qu’en connaissance de cause, mais elle va tomber, non pas dans un piège, mais dans une situation qui va tous les mettre en danger. Elle a quelque chose d’un personnage de film noir à l’ancienne, mais aussi de très humain: c’est ça qui est intéressant, essayer de comprendre et accepter qu’une relation puisse être chaotique et destructrice, et que la passion est quelque chose d’effrayant. J’ai aussi été attirée par le côté tragédie antique de l’histoire. Et puis, bien sûr, les films de Catherine Breillat sont parfois perturbants, mais toujours intéressants, avec les thèmes du désir et de la transgression autour desquels elle ne cesse de tourner.

L’une des clés du personnage, Léa Drucker explique l’avoir trouvée dans ses costumes. Tout sauf un hasard, si l’on considère l’importance primordiale qu’y accorde Catherine Breillat -“J’ai toujours fait attention aux costumes et aux coiffures dans mes films car ce sont eux qui font vieillir les films. Et moi, je veux faire des films intemporels!”, soutient la réalisatrice. En l’occurrence, les robes fourreau que porte Anne, et qui semblent empruntées à un inconscient cinématographique hollywoodien. “Les costumes ont constitué l’une des clés, dès la préparation avec Khadija Zeggaï. Catherine Breillat met toujours beaucoup d’intensité dans ce qu’elle fait, mais là, c’était vraiment pointu et exigeant. Pour un autre film, j’aurais peut-être dit que je n’étais pas certaine de pouvoir porter ce genre de robe pendant des semaines, m’y sentant à l’étroit. Mais là, j’ai compris rapidement que c’était le personnage: Anne est une femme qui s’habille de la sorte, à l’aise avec son corps, sensuelle, féminine. C’était intéressant, parce qu’on se conduit différemment. J’ai dès lors pu me permettre d’explorer son désir, et l’excitation dangereuse qu’elle éprouve au contact de ce jeune garçon.” Et cela, même si l’actrice confesse avoir eu certaines appréhensions, notamment à la perspective de devoir tourner des scènes d’amour avec un partenaire qui avait l’âge d’être son (beau-)fils: “Je me suis demandé si j’en serais capable, parce que c’est une grande responsabilité. Mais il s’agissait de faire du cinéma, et non de verser dans la provocation. Et puis, on travaille dans un cadre, l’univers cinématographique de Catherine Breillat, donc ça va, alors que ça n’irait pas dans la vraie vie, même si je me refuse à porter un jugement.

Du côté du film noir

S’immisçant au plus profond des zones d’ombre et des désirs enfouis de son personnage, L’Été dernier vaut à Léa Drucker un rôle d’une appréciable complexité. “Pendant le tournage, j’ai souvent pensé à Péché mortel, de John Stahl, en particulier pendant la scène où je suis dans l’eau, avec Samuel, et où il y a une montée d’anxiété suggérant qu’il va y avoir un problème. Je me suis souvenue de cette scène de Péché mortel où Gene Tierney laisse un jeune homme se noyer près du petit bateau dans lequel elle se trouve. Il y avait, à l’époque, des films noirs peuplés de personnages féminins qui pouvaient faire des choses effrayantes, des femmes fatales et dangereuses. C’était très moderne, et j’y ai vu une sorte de lien. Je pense aussi que les femmes bénéficient désormais de plus d’espace dans le cinéma, et dans différentes fonctions, que ce soit comme cheffes-opératrices (la photographie de L’Été dernier a d’ailleurs été confiée à Jeanne Lapoirie, NDLR) ou dans les comités de lecture. Avec pour conséquence un plus grand nombre d’histoires de femmes, plus âgées également. Tout n’est pas réglé, mais il y a une ouverture.” Dans laquelle elle n’avait d’ailleurs pas attendu L’Été dernier pour s’engouffrer, elle dont la filmographie apporte un cinglant démenti à ceux qui croient que les bons rôles féminins se raréfient avec la quarantaine -voir Jusqu’à la garde, Incroyable mais vrai ou autre Close pour s’en convaincre…

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