Cinéma | Plan 75 ou la possibilité légale se suicider dès 75 ans: et si c’était réaliste ?

Michi (Chieko Baisho), candidate au plan 75 et une des trois voix du film. © National
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans Plan 75, Chie Hayakawa imagine une dystopie glaçante où, confrontées au vieillissement de la population, les autorités japonaises proposent un accompagnement aux seniors pour mettre fin à leurs jours.

Premier long métrage de Chie Hayakawa, Plan 75 devait marquer les esprits, l’an dernier à Cannes, le film obtenant d’ailleurs une mention spéciale à la Caméra d’or. La cinéaste japonaise y met en scène une dystopie où, confrontées au vieillissement de la population et au poids que ferait peser ce dernier sur la société, les autorités nipponnes imaginent le “plan 75”. À savoir un programme proposant aux plus de 75 ans un accompagnement logistique et financier pour mettre fin à leurs jours. “Si l’on considère la société japonaise, on a assisté, ces dernières années, à une augmentation de l’intolérance à l’égard des personnes les plus faibles, observe la réalisatrice. En 2016, un individu s’est introduit dans un centre d’accueil pour personnes handicapées et a tué 19 personnes, qu’il a poignardées à mort, et en a blessé 40 autres. Il a déclaré que les personnes handicapées ne méritaient pas de vivre, parce qu’elles constituaient un fardeau pour la société -il estimait avoir agi pour le bien de celle-ci. Ce type de raisonnement n’est plus exceptionnel, et l’atmosphère d’intolérance y contribue. Ma colère et mon anxiété à l’égard de la société ont constitué ma motivation première pour tourner ce film.

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Dialogue avec un spectateur inconnu

Chie Hayakawa explique avoir contracté le virus du cinéma enfant, après avoir vu La Rivière de boue, tourné par Kohei Oguri au début des années 80 -il sera nommé à l’Oscar du meilleur film étranger-, et racontant l’histoire d’un garçon de 10 ans. “Quand j’ai vu ce film, j’ai eu le sentiment d’avoir trouvé quelqu’un qui comprenait vraiment ma vie et mes émotions, comme je n’aurais pu l’exprimer par des mots. Je n’avais jamais rien vécu de tel, et par la suite, je me suis mise à regarder d’autres films pour connaître cette expérience à nouveau. De fil en aiguille, je me suis dit que je voulais faire moi-même un film comme celui-là, dont d’autres gens dans le monde puissent penser: “Il y a quelqu’un qui me comprend vraiment”.

Ce dialogue avec un spectateur inconnu, Plan 75 réussit à l’établir, son sujet ne manquant pas d’interpeller, par sa nature même, mais aussi par le réalisme dont l’enrobe la réalisatrice. “Je veux que le public ressente que ça peut se produire n’importe quand, dans un avenir proche. Voilà pourquoi j’ai essayé d’emprunter une direction réaliste, plutôt que d’opter pour une œuvre futuriste ou de science-fiction.” Avec pour résultat un sentiment de trouble que vient encore accroître l’apparente neutralité du regard: “Mon intention, c’est de questionner une société qui décide de contrôler la vie et la mort des autres, et l’intolérance au sein de cette société”, poursuit Chie Hayakawa. Qui, pour étayer son propos, s’appuie sur une articulation à trois voix: Michi, une femme âgée candidate au plan 75, Hiromu, un jeune fonctionnaire chargé de l’application du plan, et Maria, une aide-soignante philippine. “Les deux premiers occupent en quelque sorte une position opposée par rapport à ce système, et la troisième me permettait d’avoir un regard extérieur plus objectif sur la société japonaise, explique-t-elle. Ces trois points de vue étaient nécessaires. Si j’ai opté pour une femme originaire des Philippines, c’est parce qu’il s’agit d’un pays où les liens familiaux et communautaires sont encore très forts, avec notamment un grand esprit d’entraide. C’est quelque chose que nous, Japonais, sommes en train de perdre. J’ai voulu créer un contraste entre une communauté philippine chaleureuse et la froideur de la communauté japonaise.

Ne pas déranger

Pour nourrir ces personnages, Chie Hayakawa a, bien sûr, effectué des recherches. Elle a notamment interrogé une quinzaine de femmes entre 60 et 80 ans pour modeler Michi, dont le parcours est, en quelque sorte, la colonne vertébrale du film. “Je leur ai demandé de me raconter l’histoire de leur vie, mais aussi quel était leur sentiment à l’égard d’un éventuel “plan 75”. Et une chose qui m’a surprise, c’est que la plupart l’approuvaient, parce qu’il leur semblait qu’une telle option était préférable à leurs yeux à la perspective de vivre dans la peur de la solitude, de devenir un fardeau économique, ou de la démence sénile. Il y avait cette notion très répandue au Japon de ne pas vouloir déranger les autres. À partir de quoi, ce choix leur semblait préférable.” Quant à d’éventuelles influences, la réalisatrice cite Stéphane Brizé et Quelques heures de printemps, l’histoire d’un fils et de sa mère (Vincent Lindon et Hélène Vincent) qui décide de recourir à l’euthanasie -“C’est très différent de Plan 75, mais la description de cette femme et de son état d’esprit ont constitué une source d’inspiration.

Par sa mélancolie diffuse, le film évoque encore le cinéma d’un Kore-eda, parmi d’autres. À charge pour le spectateur de s’y tailler un chemin: “Je n’essaie pas de déterminer si le “plan 75” est bon ou mauvais, je laisse cela ouvert. Mais ma position de réalisatrice, c’est de montrer combien un tel système est inhumain. Je n’ai pas envie de vivre dans une société qui aurait adopté le “plan 75”, et j’espère que le public éprouvera le même sentiment, mais sans pression, ni explication. Je souhaite que ça vienne du cœur. Si Plan 75 est un film politique, parce que je critique l’intolérance croissante de la société, je veux qu’il soit avant tout perçu comme un film humaniste.

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