Frédéric Maréchal: «Je veux qu’on se dise qu’on est au Bota avant d’avoir vu la moindre œuvre et entendu la moindre note»

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Il n’y a plus de saison. Mais un peu quand même. Du 24 avril au 5 mai, les Nuits Botanique ouvriront celle des festivals. Rencontre avec Frédéric Maréchal, le directeur général et artistique du Bota.

Cheveux longs, dégaine de rockeur, barbe poivre et sel… Frédéric Maréchal, l’ancien directeur du Centre culturel René Magritte à Lessines, est comme un poisson dans l’eau sous les coupoles du 
Botanique. Le successeur de Paul-Henri Wauters à la tête du centre culturel bruxellois évoque sa vision du Bota, les Nuits imminentes et les travaux à venir. Il parle musique, accueil, mobilité et sécurité.

On fait quoi quand on prend en main le gouvernail d’un paquebot comme le Botanique?

Frédéric Maréchal: Certainement pas casser le moule. Il y a un niveau d’excellence total du point de vue de la programmation et de l’accueil des artistes. Et ça, la seule chose qu’il y a à faire, c’est de le préserver. C’est un travail d’artisans, le Bota. Il faut que la transition se fasse en douceur. Surtout pas débarquer avec de l’ego en se disant qu’on va tout changer. Ma première ambition, c’est de préserver la qualité de l’offre artistique. Arriver à me fondre aussi dans l’équipe de programmation. Je ne suis pas Paul-Henri Wauters. Je n’ai pas la même culture musicale que lui. Je n’ai pas la même formation. Il faut donc y aller calmement. J’essaie d’amener des choses qui me sont propres, mais pas toutes. Je filtre dans mes connaissances, dans mes envies, dans mes contacts, ce qui est Bota-compatible. Pour qu’un artiste ait sa place au Botanique, il faut qu’il signifie quelque chose aujourd’hui artistiquement et qu’il pèse dans la création. On est à trois à programmer en musique et toutes les décisions sont collégiales. On a chacun notre profil et notre génération. Moi, j’ai 58 ans. Olivier Vanhalst en a 45 ou 46. Et 
Thomas Konings arrive doucement à la trentaine.

Vous allez vivre vos premières Nuits Botanique de l’intérieur. La grande nouveauté cette année, c’est un samedi All Access…

Frédéric Maréchal: Les Nuits, c’est très bien. Mais quelque part, c’est une juxtaposition de concerts. Historiquement, il y a 25 ans, il n’y en avait pas autant à la semaine et à l’année au Botanique. Les Nuits étaient donc un moment où on concentrait l’activité. Avec l’équipe, on s’est mis en tête de proposer une journée toutes salles en misant sur une programmation hyper pointue. Sans réelle grosse tête d’affiche pour qu’on puisse tester le concept. Si tu pars sur un groupe à 25 000 euros, tu vas remplir, mais tu auras moins d’indications sur la motivation réelle du public pour ce genre d’événement. C’est un test pour l’avenir. Les capacités de salles différentes, tu y es confronté dans tous les festivals. Il faut juste trouver le bon équilibre. Ici, on va alterner un concert dans le chapiteau avec un concert simultané à l’Orangerie, à la Rotonde et au Musée. On part sur une capacité totale de 2 000 personnes. Mais on entend développer notre programmation à ticket unique façon minifestival en saison. À partir de la rentrée, il y aura une Bota By Night par mois. Un ticket unique pour de la musique électronique qualitative jusque 5 heures du matin. On a aussi prévu les Nuits Weekender. Les 1, 2 et 3 novembre. Avec 18 groupes par jour. Il y aura un autre Weekender les 29 et 30 novembre sur des esthétiques americana, folk moderne, blues punk, garage, psyché… On en consacrera aussi au métal notamment.

Le Bota by night (c) Getty Images

Vous tenez aussi à aller plus loin dans le 
rapprochement de la musique et des arts plastiques.

Frédéric Maréchal: On veut investir les lieux de passage. Les serres notamment. Ça a été un peu dicté par les circonstances. Par les travaux prévus pour la Rotonde et l’Orangerie qui ont été reportés. Cette année, aux Nuits, il y aura un gros volet arts plastiques avec des expos et des installations monumentales dans le jardin. On dirige la conception de mobilier avec des équipes artistiques et de designers. Étant donné mon passé en matière d’organisation, je suis très sensible à ce qui est conditions d’accueil du public, cohérence du lieu. Je veux qu’on se dise qu’on est au Bota avant d’avoir vu la moindre œuvre et entendu la moindre note. »

Qu’entendez-vous par là?

Frédéric Maréchal: On est en train de mettre toute une série de choses en place pour améliorer le confort pendant les spectacles et en dehors. Dans ce qu’on propose à boire et à manger. Le Bota, jusqu’il y a très peu de temps, ne gérait pas l’horeca. C’était une concession. Là, on a engagé du personnel pour les bars et les cuisines. Ce n’est pas uniquement l’offre artistique qui fait venir les gens, c’est un tout. Il faut que les visiteurs se sentent bien et aient envie de revenir. On a repris le catering des artistes, on ouvre le restaurant à midi et on a aussi commencé à vendre de la finger food au public le soir. Dès que tu habites en dehors de Bruxelles, tu dois presque choisir entre manger un bout ou aller voir un concert…

Qu’en est-il des travaux?

Frédéric Maréchal: Ceux de la Rotonde commenceront en juin 2024 et nous récupérerons la salle début 2025. En juin 2025 débuteront les travaux à l’Orangerie. Et là, il y en a pour une grosse année, avec une réouverture de l’Orangerie en septembre 2026. La Rotonde va passer de 300 à 450 places. L’Orangerie de 600 à 1 100 spectateurs. Dans l’une comme dans l’autre, on va créer du balcon. À l’Orangerie, 
la scène va être inversée, l’espace totalement revu. 
L’architecte était désigné avant mon arrivée. On intervient pour certains choix encore à faire. On accompagne le chantier et la réflexion. Mais tout a été très bien pensé.

Un des changements récents marquants, c’est l’aménagement du Witloof Bar.

Frédéric Maréchal: Le Witloof est une chouette salle, mais au-delà de 50 personnes, ça devenait compliqué. J’ai vu des concerts complets que des gens regardaient sur leurs téléphones brandis au-dessus des têtes… On se demandait où mettre la scène et notre nouveau directeur technique Mourad Agjij a suggéré de l’installer au milieu. Un mois après, c’était fait. Il a tout calibré, il a fait des tests. On a posé de la moquette par terre. Les réactions sont très enthousiastes. Deux groupes nous ont dit que c’était la meilleure expérience live qu’ils avaient vécue. Nous, on espère que les artistes vont identifier le Witloof à sa scène centrale et qu’ils auront envie d’y jouer à cause d’elle. Par ailleurs, au Witloof, il y avait une tendance aux groupes émergents et aux concerts courts. Sans première partie. À 20 h 45, tu pouvais parfois déjà te dire: allez, à demain. Quand tu habites dans le coin, ça va. Mais si tu viens comme moi de la campagne et que tu mets une heure pour arriver à Bruxelles… On essaie donc de glisser des groupes d’ouverture ou des DJ. Le tout pour 
10 euros. 7 avec la Bota’Carte.

Il a été fait état de menaces d’attentat contre le Botanique il y a quelques semaines. Comment avez-vous vécu tout ça?

Frédéric Maréchal: Dès qu’on a eu vent des menaces, on a été en dialogue permanent avec la police. La certitude absolue, c’est que jamais il n’y a eu de menace concrète imminente. On a appris qu’il y avait trois jeunes de 15 ans qui étaient en train de préparer un attentat contre 
le Bota. On en a chopé un quatrième en France qui avait 16 ans. Ils cherchaient des armes qu’ils n’ont pas trouvées. Leur autre projet, c’était de dynamiter la base de la tour Eiffel pour la faire tomber. Je ne voudrais pas avoir l’air de minimiser une menace terroriste, mais j’en ai vu des grossissements hallucinants. J’ai par exemple lu qu’on avait frôlé l’attentat du Bataclan. Quand je vois un journal qui élabore un photomontage avec le public sur les marches du Botanique et un terroriste planqué sous sa capuche qui actionne une télécommande pour tout faire péter, puis que deux semaines après, le même journal utilise la même photo, sans le montage du coup, pour illustrer son article sur les Nuits du Bota… On est dans la désinformation totale. On est dans le mensonge. On n’est même plus dans la présentation subjective d’une réalité, on est dans la construction d’une réalité différente pour répondre à ce qu’on espère être l’attente d’un public. Une connerie totale. Tout le dispositif de sécurité en place remonte à 2015-2016, quand on était au niveau 4 de menace. Il n’a jamais été revu à la baisse. Même quand le niveau d’alerte est descendu. Ce serait incohérent d’en remettre une louche.

Vous avez récemment établi un partenariat avec la SNCB?

Frédéric Maréchal: Une fois encore, c’est mon caractère provincial qui entre en ligne de compte. Si je dois venir de chez moi en transport en commun, le prix du ticket de concert au Bota sera dans la plupart des cas inférieur au prix du ticket de train. Il y a quand même un paradoxe. L’idée, c’est une réduction de 50 % du titre SNCB pour celui qui vient assister à un concert chez nous. C’est pas juste écolo et dans l’air du temps. La mobilité évolue. Il y a plein de gens qui n’ont plus de voiture, ou dont la voiture ne peut plus rentrer dans Bruxelles. Après, quand tu habites à Gand ou à Anvers, c’est facile de rentrer. 
Les derniers trains partent tard. Mais si tu vis à La Louvière 
ou Tournai, c’est autre chose. On ne peut pas à la fois décourager les gens de prendre leur bagnole et ne pas leur proposer une alternative financièrement acceptable et valable au niveau des horaires. Il y a aussi une réflexion plus globale à mener sur ce qu’est Bruxelles. Bruxelles est une ville de jour. À Berlin, la nuit, la vie ne s’arrête pas. Il faudrait peut-être améliorer la capacité
à se déplacer dans Bruxelles sur les 24 heures de la 
journée à un prix correct.

Vous entendez également renforcer l’ancrage du Bota dans le quartier?

Frédéric Maréchal: Oui, l’intégration sociale et culturelle me tient à cœur. On va par exemple essayer de faire des choses intéressantes dans le cadre des 60 ans de l’immigration turque et marocaine. Je suis de La Louvière, ce sont des choses auxquelles je suis extrêmement sensible.

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