Montevideo: « On vit dans un pays où il ne faut pas péter plus haut que son cul »

© Noah Dodson
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Six ans après un premier album, les bruxellois reviennent avec l’ambitieux Personal Space. Fini le post-punk à la Rapture. Place à une pop dandy, à la fois groovy et élégante. La classe.

MONTEVIDEO, PERSONAL SPACE, EMI. ****

C’est ce qui s’appelle passer par le chas de l’aiguille. Cela fait six ans que Montevideo a sorti son premier album. Autant dire une éternité. Le temps de se faire oublier, se poser plein de questions, d’imaginer l’éventuel dépôt de bilan, la mise au placard des rêves de succès. En cette fin septembre, le groupe bruxellois est pourtant bien là, un nouveau disque sous le bras. Un petit bijou de pop romantique et dansante, intitulé Personal Space. « L’idéal serait de continuer à écrire sur notre lancée. Mais on est un peu fainéant », sourit Jean Waterlot. « Puis sortir un deuxième album a été une véritable épreuve. » L’attente valait en tout cas la peine. Dès l’entame du disque, Montevideo prouve qu’il a changé, mûri. Guitare acoustique, piano aérien, phrasé feutré à la Morrissey, Cave of Kisses a de l’allure, inaugurant un disque pétri de classe, quelque part entre Poni Hoax et Phoenix.

Fin août, au premier étage du studio de répétition, du côté de Jette, on retrouve donc autour de la table le chanteur/leader du groupe, Manu Simonis (guitare) et Gabriel Reding (basse), Pierre Waterlot (batteur et frère du premier) étant excusé. L’ambiance est relax, détendue. La période de galère semble déjà loin…

La piste électro

Flash-back. En 2006, Montevideo sort un premier album éponyme. Parrainé par John Stargasm (Ghinzu), le groupe est en mode punk-dance, tendance The Rapture, Franz Ferdinand, etc. Les références sont limpides, l’attitude crâneuse tranche avec les habitudes locales. Montevideo est ambitieux, le fait savoir. Sur scène, entre les morceaux, Jean Waterlot s’adresse au public en anglais, ce qui ne manque pas de faire grincer certaines dents. L’intéressé sourit et en remet une couche: « C’est clair qu’on est tous un peu des petits péteux d’Uccle. » Avant d’expliquer plus sérieusement: « On chante en anglais, nos références sont anglo-saxonnes. Du coup, oui, quand je prends la parole en concert, cela vient assez naturellement en anglais. » Manu Simonis: « Au début, je me rappelle qu’on venait me voir en me disant: « Putain, votre chanteur, il se prend pour qui? » Simplement parce que quand on jouait au Magasin 4, devant des potes, ou dans d’autres endroits pourris, Jean se donnait comme s’il était à Wembley. Personnellement, j’ai toujours trouvé ça génial. »

La réputation est faite, mais le disque n’explose pas. Pas grave, Montevideo se lance dans un projet parallèle avec le DJ Compuphonic, alias Maxime Firquet. Baptisée MVSC, l’alliance ne doit durer que le temps d’un concert, un one shot pour le festival de Dour. Finalement, un album sortira en 2009. La manoeuvre ouvre des portes et des esprits. Mais provoque aussi des tensions. Jean: « On a perdu notre bassiste en route. Julien (Galoy, ndlr) est clairement parti à cause de ça. Il y avait chez la plupart d’entre nous une envie de projets parallèles, d’explorer des choses. Avec MVSC, on a aussi appris à se produire nous-mêmes, à nous enregistrer, à utiliser des sequencers, tout un tas de techniques de studio de base. Julien ne se retrouvait pas forcément dans cette manière de bosser. Il avait également une vision du groupe comme une entité très fusionnelle, qui passe sa vie ensemble. » Le bassiste fera donc un pas sur le côté. Manu: « Cela a énormément changé le processus d’écriture. Le premier album avait vraiment été réalisé à quatre. Tout à coup, un quart des compositeurs s’en allait. C’était très perturbant. »

Dans la foulée, Jean rejoint également Ghinzu sur la tournée de Mirror Mirror. Pas forcément une bonne nouvelle pour le futur de Montevideo. Jean: « Au bout d’un moment, vers 2008-2009, on s’est retrouvés complètement paumés. Pierre venait d’être papa. Il n’y avait plus que Manu et moi, seuls à bidouiller dans notre coin. De quoi se poser quelques questions. »

Master plan

Pourtant, le groupe réussira à rebondir. Gabriel Reding, pote de longue date, avec lequel Jean jouait du jazz-funk ado, rejoint d’abord le combo. Un soir, au retour de soirée, Jean file également une série de démos à Renaud Deru, alias Cosy Mozzy, ancien manitou du Dirty Dancing/Libertine, aujourd’hui actif notamment avec le projet Mustang. Le DJ flashe sur les morceaux et décide de les faire écouter à Dirk De Ruyck. Le bonhomme est une petite légende de la scène électronique belge, gantoise en particulier. Un véritable personnage qui a toujours prôné le mélange des genres, notamment au sein de ses fameuses soirées Eskimo qui feront les beaux jours du Culture Club dans les années 90. Homme de l’ombre au carnet d’adresses impressionnant, il a récemment participé au décollage d’Aeroplane. Quand il entend les démos de Montevideo, il embraie directement. Manu: « La première fois qu’on l’a rencontré, on a directement senti que c’était un gars avec un regard très moderne, très branché sur les réseaux sociaux, le Net. C’est indispensable aujourd’hui pour lancer un groupe. » Jean continue: « Ce qui était également intéressant, c’est qu’il nous proposait de repartir de zéro. Pour lui, on était de toute façon nulle part. Au niveau de l’image par exemple, tout restait à faire. Il a aussi une vision globale très claire des choses et une envie de développer à l’international. » « Un ‘plan’, comme il dit », glisse Gabriel. « En fait, prolonge Jean, on n’avait jamais rencontré un vrai manager en Belgique. A part celui de dEUS, Christian Pierre, avec qui on était également en contact, mais qui tardait à réagir. »

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Montevideo peut donc parfaire sa mue. En 2011, le groupe refait surface en lançant un premier signal: l’EP Tribal Dance, qui pose les bases du nouveau son, plus rond, plus dansant, quasi disco-funk par moments. Quelques mois plus tard, en octobre, les Bruxellois s’envolent pour la première fois vers New York. Ils enregistrent le titre Horses dans les studios de DFA, le label de LCD Soundsystem, confirmation supplémentaire de l’orientation crossover. Manu: « C’était LE label qui faisait l’unanimité dans le groupe. Aller enregistrer là-bas, c’était un peu un rêve qui devenait réalité. » Au retour, Montevideo entend bien taper sur le clou. Jean: « Retourner chez DFA était impossible. Par contre, l’idée était toujours de faire produire le disque par quelqu’un venant de l’électro, un peu comme Andy Weatherall bossant avec Primal Scream ou Erol Alkan avec Late of the Pier. Ça correspondait aussi à ce qu’on avait déjà entamé avec Compuphonic ou plus simplement avec nos racines funk. »

Le groupe arrive alors à mettre la main sur Joakim, le patron du label Tigersushi, producteur érudit, responsable notamment des derniers albums de Poni Hoax, Zombie Zombie… En 15 jours, Personal Space est mis en boîte à Paris. La rupture avec Montevideo, première version, est consommée. Manu: « Le président de notre fan club nous a d’ailleurs quittés. Il n’aime pas (sourire). On sort en fait d’une période bizarre, où l’on a continué à avoir de chouettes dates de concert, mais qui étaient forcément bookées sur base du premier album. On les acceptait parce qu’elles nous permettaient de payer la production du nouvel album. Mais c’était parfois des moments un peu pénibles. Les gens venaient écouter Sluggish Lovers, et nous, on arrivait avec une autre musique, quasi un autre groupe. »

Album posé, au groove plus lent et romantique, Personal Space est en fait l’oeuvre de néo-trentenaires qui ont su prendre leurs distances avec les premières éructations juvéniles de 2006. La voix même de Jean Waterlot a laissé ses tics les plus maniérés au vestiaire pour raconter des histoires d’amour contrariées, entre hédonisme disco et pop dandy désenchantée. « J’ai aussi voulu travailler davantage les textes. Cette fois-ci il y a vraiment une histoire, une sorte de tragédie amoureuse en dix chapitres. Parce qu’au bout du compte, même si on a changé, il faut bien avouer que le sujet de discussion numéro un est resté le même: les filles (sourire). »

Dans la foulée, le groupe a signé chez EMI, seul groupe belge francophone de la major. Montevideo change de son, pas forcément d’ambition… Manu: « On ne veut pas s’excuser d’être là, c’est certain. On a envie de viser l’étranger, même si cela n’est pas évident. Il y a une humilité belge parfois mal placée. On vit dans un pays où il ne faut pas « péter plus haut que son cul ». Cette attitude nous a toujours énervés. Surtout qu’en l’occurrence, le cul est ici souvent placé très bas (sourire). »

Au final, Montevideo n’hésite pourtant pas à bourrer son artwork de références « magrittiennes », ciel bleu et chapeau melon… Contradictoire? Manu: « Pourtant, c’est un New-Yorkais qui s’est occupé de l’artwork. On l’a croisé lors de notre passage chez DFA. Il devait s’occuper de notre logo. Mais quand on a vu le travail qu’il avait un moment imaginé pour The Magician (alias Stephen Fasano, ex-moitié d’Aeroplane, ndlr), on lui a demandé de s’occuper du tout. Et voilà le résultat: il fallait bien un Américain pour nous coller un univers à la Magritte. » Comme quoi, chassez la belgitude, elle revient au galop…

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