Critique

Series Addicts

Depuis plus d’une décennie maintenant, les séries télé ont pris une dimension fondamentale dans le paysage de la fiction. Le critique Olivier Joyard tente de décrypter le phénomène.

SERIES ADDICTS, DOCUMENTAIRE D’OLIVIER JOYARD. ****

Ce dimanche 15 janvier à 21h30 sur La Deux.

En 2012, on en est encore à essayer de convaincre certains de nos proches que les séries télévisées ne sont pas moins intéressantes que le cinéma, mais qu’il s’agit d’expériences différentes. Ce documentaire remarquable, bien plus profond que ce qu’il nous a été donné de voir jusqu’ici sur la question, devrait faire le boulot bien mieux que tous nos argumentaires.

En une cinquantaine de minutes, Olivier Joyard (journaliste aux Inrocks, l’un des plus crédibles critiques de séries actuels) démontre l’ampleur du phénomène sériel dans la société contemporaine, mais pas seulement. Son tour de force est de décrire à la perfection l’affect qui lie l’amateur à sa ou ses séries. La dimension émotionnelle, surpuissante, qui transforme le fan en geek, et qui le coupe de ceux qui n’ont pas vu, ceux qui se moquent ou trouvent l’oeuvre télévisuelle dérisoire.

Joyard a ainsi inséré dans son film 2 des fins de séries les plus marquantes de ces dernières années, qui se sont produites, par hasard, la même semaine: celles de Lost et de 24 heures chrono. Raté pour l’un, réussi pour l’autre, ces deux épilogues ont marqué le début d’un deuil à nul autre pareil. Un deuil aussi douloureux que virtuel, teinté de la fierté d’être « le gardien de la mémoire des personnages ».

Une rupture terrible avec des compagnons fidèles, qui nous appartenaient un peu. L’un des auteurs de Lost, Damon Lindelof, a d’ailleurs exhumé pour les besoins de ce film quelques messages d’insultes reçus peu après la diffusion du season finale de Lost: des missives désespérées, qui le traitent de « terroriste émotionnel ».

« Affalé sur mon lit »

Faut-il être particulièrement dérangé pour être aussi chamboulé à ce point par une fiction télé qui, comme le rappellent certains scénaristes, n’est qu’un « module de divertissement », soit, ce qu’une chaîne programme pour entrecouper ses pubs? En tout cas, cela arrive même aux meilleures d’entre nous. Le romancier Bret Easton Ellis ose ainsi avouer que lorsqu’une saison de Mad Men a terminé sa diffusion sur les écrans américains, il se jette enfin dessus, et annonce à ses amis: « Les gars, je ne vous verrai pas ce week-end. Je serai juste affalé sur mon lit. » Nouvel objet d’étude universitaire, cinéphilie contemporaine, exutoire et amie, la série télévisée (celle de qualité, s’entend) méritait bien un hommage aussi pertinent que celui d’Olivier Joyard. De quoi réunir les profanes et les geeks.

Myriam Leroy

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