Souchon-Voulzy : Un et un font un

© Philippe Quaisse/Pasco & co

C’est l’événement chanson française de cet automne. Après quarante ans de carrière et de collaboration, les deux compères sortent pour la première fois un album en duo. Le Vif/L’Express les a rencontrés et les a interviewés ensemble… mais pas tout à fait.

L’un est à la fois sérieux et dissipé. Il sirote un jus d’abricot et passe de temps en temps une tête dans la pièce d’à côté pour savoir où en est l’interview avec son camarade. L’autre est posé, bavard et apprécie un verre de vin rouge. Ils s’appellent Souchy et Voulzon ou Zychon et Voulsou, on ne sait plus très bien, tant ils composent un duo qui ne fait très souvent qu’un. Pour la première fois d’une longue carrière de quarante ans, ils sortent un album à deux, intitulé, en toute simplicité, Alain Souchon et Laurent Voulzy (Warner). Comme toujours, l’un, 70 ans, écrit les textes, et l’autre, 65 ans, compose la musique. Pour briser un peu cette belle unanimité, Le Vif/L’Express leur a posé les mêmes questions, mais séparément… Aux dernières nouvelles, ils s’appelleraient donc finalement Alain Souchon et Laurent Voulzy.

ALAIN SOUCHON : u0022Laurent a le gou0026#xFB;t des autres, de la religionu0022

Le Vif/L’Express : Quels souvenirs gardez-vous de votre première rencontre avec Laurent Voulzy ?

Alain Souchon : Le PDG de notre maison de disques avait organisé un goûter avec les artistes du label, et chacun avait chanté. Il y avait Antoine, Yves Simon et Laurent Voulzy, qui a interprété un de ses morceaux puis repris des tubes des Beatles. Il m’a bluffé. Je ne me souviens de rien d’autre de lui : sa façon de chanter et de jouer de la guitare a tout occulté. D’ailleurs, je me suis aperçu seulement huit jours plus tard qu’il était antillais.

Comment s’est passée votre première collaboration ?

Laurent écrivait les arrangements de mon 33-tours, je suis arrivé avec un petit bout d’une nouvelle chanson : « J’ai 10 ans, tar’ ta gueule à la récré… » Ça lui a inspiré une musique et J’ai 10 ans est devenu un tube. En travaillant ensemble, on réalisait soudain notre rêve : avoir du succès. Et puis, il y a eu Bidon et Rockollection. On était unis par un lien qui nous dépassait.

Qu’est-ce qui vous rapproche toujours, quarante ans après ?

Je suis fasciné comme au premier jour par sa façon de composer des mélodies, de jouer de la guitare. Par le son de sa voix, par sa culture pop, rock et, en même temps, très XVe siècle, mais aussi très Bach, Debussy. Je crois que ma manière de voir le monde et d’écrire des paroles lui plaît aussi. Quand j’imagine des chansons pour Laurent, je ne me retrouve pas, je le retrouve, lui. J’essaie de m’escamoter, je ne cherche pas de thèmes engagés, ce que Laurent me pousse à faire pour moi. Au moment de Poulailler’s Song, il m’avait même confié : « J’aurais horreur de la chanter, mais il faut que tu écrives ce genre de textes acides qui assomment la société. »

Qui commence et qui finit une chanson ?

En général, Laurent a des débuts de musique, assez avancés, et moi des bribes de phrases qui m’amusent. On les confronte. Je cherche des mots qui s’entrechoquent. L’astuce, c’est de trouver ensuite le sujet qui convient. Par exemple, « ultramoderne » et « solitude ». « Ultramoderne », c’est plutôt chez Darty qu’on voit ça, pour vendre un four.

Avez-vous des rituels ?

Pour cet album, on s’est notamment installés dans le Midi. J’étais à l’hôtel, Laurent avait son petit studio. Tous les matins, on se retrouvait à 11 heures, et on se préparait un pique-nique qu’on prenait parfois à bord du bateau de Laurent. Le rituel, c’est le pique-nique.

Quelle liberté chacun a-t-il de changer texte ou musique ?

Laurent est très chef en musique, et moi, très chef en paroles, mais les paroles, c’est plus délicat à manier. On ne peut pas obliger l’autre à chanter quelque chose qu’il ne ressent pas. Pour ce disque, cela n’a pas été commode. J’ai réalisé combien l’on mettait de soi dans des chansons qui ont l’air légères. Depuis quarante ans, on va l’un vers l’autre, mais là, c’était un challenge d’unifier nos points de vue. Laurent, c’est le Soleil, moi, la Lune, donc il trouvait parfois les thèmes sombres – « Non, on ne va pas dire ça… » On lutte un peu, on fait des concessions.

Quelle chanson définit le mieux Laurent Voulzy ?

Jésus. Elle lui avait été commandée par le père Joseph Wresinski (fondateur d’ATD Quart Monde). Laurent a le goût des autres, de la religion, il a des préoccupations qui le tourmentent. Plus personne n’ose chanter Jésus, mais Jésus existe dans sa vie, même s’il ne va pas à la messe. Son dernier spectacle parle aussi très bien de lui, il reste un gamin avec ses châteaux forts, ses boucliers et ses étendards.

Dans le disque, on entend des mots qui grondent : « révolte », « colère »…

Un peu, oui, avec la chanson Oiseau malin. Ce ne sont pas les nantis qui font les révolutions, ce n’est pas pour eux que l’on érige des lois sociales, c’est pour ceux qui ne vont pas bien, qu’on a laissés au bord du chemin. Ceux qui font peur aux gouvernants. C’est grâce à eux que le monde évolue un peu, qu’on est plus fraternels, solidaires. En tout cas, c’est ce que je ressens.

A quoi sert une chanson ?

Une chanson ne change pas le monde, elle peut faire que des amoureux s’embrassent sur la bouche alors qu’ils étaient intimidés et, parfois, elle ouvre un peu les yeux. Moi, j’appartenais à une famille bourgeoise, et quand Jacques Brel chantait : « Les bourgeois, c’est comme les cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient bête… », cela a eu un impact sur moi. Les chansons de Léo Ferré aussi. Il était tout le temps en colère, ça me bottait. Il gueulait : « Franco la muerte » du temps de Franco, toute la salle se levait, applaudissait.

Quelle est votre dernière engueulade ?

On avait terminé la chanson Il roule. J’aimais bien son refrain, il l’a changé, ça m’a énervé. C’était très difficile de trouver de nouvelles paroles sur son refrain. Je lui ai dit : « Tu nous emmerdes avec tes trucs, c’est beaucoup moins bien. » Il m’a répondu que c’était beaucoup mieux. De toute façon, quand il a un truc dans la tête, on ne peut pas le lui enlever. Il est têtu comme une mule, moi aussi.

Que sont devenus ces idéaux que vous célébrez dans On était beau ?

Dans les années 1960, le rock avait un idéal. Maintenant, il faut gagner de l’argent. J’avais vraiment envie de chanter : « On avait des idéaux », et le morceau se finit d’une manière assez mélancolique, comme le regret d’une époque. Aujourd’hui, les chanteurs sont moins concernés par le monde. Vincent Delerm est très talentueux, et d’autres de sa génération aussi, leurs chansons sont anecdotiques, charmantes, mais pas politisées. Nous, c’était plutôt : « On vit les uns avec les autres », « C’est ta chance, ta force, ta dissonance ». Ils doivent trouver qu’on était un peu ridicules.

Beatles ou Simon and Garfunkel ?

Simon and Garfunkel. Je les adore davantage que les Beatles, et pourtant les Beatles m’éblouissent. Mais Simon and Garfunkel, c’est d’une telle élégance. L’accord entre les voix, c’est physique, comme dans les chorales.

De Laurent, vous diriez : « Il n’a pas changé », ou : « Il a drôlement évolué » ?

Il est comme il était à 19 ans, avec la même envie de faire de la musique et de chanter devant des filles. Moi, je ne me sens pas ado, mais, sur une scène, j’ai le même désir de convaincre qu’à mes débuts. Je suis aussi peu sûr de moi.

LAURENT VOULZY : u0022Je suis attiru0026#xE9; par l’invisible, Alain est plus terre u0026#xE0; terreu0022

Le Vif/L’Express : Quels souvenirs gardez-vous de votre première rencontre avec Alain Souchon ?

Laurent Voulzy : Je l’ai trouvé très simple alors qu’une de ses chansons, L’Amour 1830, était déjà un succès. Il n’avait pas les manières d’un chanteur : il était un peu barré, marginal et ne se prenait pas au sérieux. Moi qui suis introverti, il était très différent de moi.

Comment s’est passée votre première collaboration ?

Alain venait tous les jours chez moi, et je travaillais les arrangements. Un matin, il débarque avec le début de J’ai 10 ans. J’ai composé la mélodie. En deux heures, c’était fini. J’étais emballé. On s’entendait bien, et la chanson s’est mise à marcher. Pour la première fois de ma vie, j’entendais ma musique à la radio.

Qu’est-ce qui vous rapproche toujours, quarante ans après ?

Les pique-niques. Quand on travaille, on quitte Paris pour écrire, et le midi, été comme hiver, on pique-nique. Sur un banc, sur un bateau, au bord d’un chemin. Une tomate, du jambon, du taboulé tout préparé. On ne s’embête jamais car on ne se voit pas si souvent finalement. On parle de tout. Nos visions du monde sont différentes : je suis attiré par l’invisible, Alain est plus terre à terre. Il est léger, je suis lourd. Pour voyager, il ne prend qu’un sac, moi plusieurs valises. Il est mobile, je suis lent. Je suis optimiste, il est sombre. Mon défaut, c’est que je parle facilement aux gens, j’aime les écouter. Je suis touché par la profondeur derrière leurs mots. Une personne, c’est un iceberg. Il y a toujours une histoire cachée chez elle. Une frustration, un drame, un bonheur. Ça me touche beaucoup. Bref. J’admire surtout la façon d’écrire d’Alain. Il sent la beauté des choses que, moi, je ne sens pas ; ça me plaît. Il m’éduque. J’aime être étonné en général, et lui m’étonne toujours. Ce qui nous rapproche aussi, c’est l’exigence. On attend de surprendre l’autre.

Qui commence et qui finit une chanson ?

Ça se fait au feeling. Une mélodie peut décider du commencement, parfois un texte. Sur Derrière les mots, j’ai attaqué la mélodie, il a ensuite écrit. Il y a une dizaine d’années, je dis à Alain que ce serait sympa de faire un album ensemble. C’est resté dans l’air. Petit à petit, l’idée a pris forme. On a commencé en 2009. Alain savait que ça n’allait pas être facile d’écrire pour tous les deux. Mes tourments et mes rêves ne sont pas les siens. Moi, j’étais plus optimiste. J’avais raison.

Avez-vous des rituels ?

Non, on part, on s’installe, on écrit. Les lieux et les saisons, on s’en fout un peu.

Quelle liberté chacun a-t-il de changer texte ou musique ?

Toute liberté. Sauf que je suis toujours bluffé par sa façon d’écrire. Je réalise l’importance de ce qu’il imagine parfois longtemps après. Par exemple, la chanson S’asseoir par terre, dont je n’étais pas dingue au début. Je me suis rendu compte plus tard qu’il avait touché le coeur des gens. La phrase « Tu verras bien qu’un beau matin fatigué j’irai m’asseoir sur le trottoir d’à côté » m’était passée au-dessus de la tête. Ses textes m’ont poussé à mettre la barre haut. Quand je vois une phrase sortir de son crayon, je suis impressionné. Décrire une situation en trois mots : « Ton corps enfermé, costume crétin » dans Le Bagad de Lann-Bihoué. Je suis surpris, ça m’excite. Je peux trouver un mot ou une phrase, et lui peut trouver un accord ou deux. Mais, globalement, lui c’est les textes, moi, la musique.

Quelle chanson définit le mieux Alain Souchon ?

Peut-être Tout m’fait peur sur l’album Rame. Il parle de ses angoisses, et, en même temps, elle est drôle. Il appelle le ciel et Notre-Dame de Goldorak à venir à son secours. Il se moque de lui. Mais toutes ses chansons le représentent. Bidon, Ultramoderne Solitude, Toto, 30 ans, Allô maman bobo. Il est profondément sincère dans toutes ses chansons.

Dans le disque, on entend des mots qui grondent : « révolte », « colère »…

C’est Alain. J’admire sa révolte. Je suis moins révolté que lui, mais il a raison. Lui est cocher, moi je suis passager volontaire. Je n’aurais jamais imaginé Oiseau malin. Il m’écrit des chansons plus douces.

A quoi sert une chanson ?

Une chanson ne change pas le monde, mais elle fait du bien à un moment. Ce qui compte le plus, ce sont les émotions. Dans la rue, des gens nous disent merci. Ça me bouleverse. C’est ce que j’ai eu envie de dire à Paul McCartney quand j’étais ado. J’ai été premier en anglais grâce aux Beatles et à la prof, dont j’étais amoureux. Quand j’entends Penny Lane, ça me fait un bien fou. Comme la chanson d’Alain dans l’album, Souffrir de se souvenir. Une belle phrase : la douleur et le plaisir du passé mélangés. L’évocation d’un souvenir fait du bien quand on ferme les yeux et fait pleurer quand on les rouvre.

Quelle est votre dernière engueulade ?

Je ne m’en souviens plus. Elles sont très rares. Et durent quatre secondes.

Que sont devenus ces idéaux que vous célébrez dans On était beau ?

A 18 ans, on voulait changer le monde. Moi, un peu moins que mes copains, je dois le dire ; je jouais du rock et de la pop, et ça m’allait très bien. Alain me dit qu’il n’y a plus d’idéaux. J’assume la chanson.

Beatles ou Simon and Garfunkel ?

J’adore les deux. Les Beatles, c’est mythique. Quand McCartney vient en France, je vais le voir dans sa loge et j’ai toujours l’impression qu’il tombe du poster. J’ai rencontré une fois Paul Simon à l’époque de Rockollection, chanson dans laquelle je fais allusion à The Boxer. Il se précipite sur moi et me dit que lui aussi collectionne les cailloux (rock en anglais)… Ce qui est drôle, c’est que je collectionne aussi les pierres. La conversation, qui devait porter sur la chanson, est partie sur autre chose.

D’Alain, vous diriez : « Il n’a pas changé », ou : « Il a drôlement évolué » ?

Il n’a pas changé. C’est clair et net. Le temps qui passe l’angoisse, mais il est toujours le prince rebelle que j’ai connu. Il a reçu une belle éducation, mais envoie facilement tout balader. Alain aurait baigné dans une culture rock anglaise, il aurait fait partie de groupes radicaux. Il aurait pu être plus violent.

Alain Souchon et Laurent Voulzy (Parlophone).

Propos recueillis par Eric Libiot et Gilles Médioni

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