Critique | Musique

Jacques Higelin – Beau repaire

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

CHANSON | À 73 piges, Jacques Higelin trouve une forme d’émotion épanouie qui évite les falbalas parfois pesants de son baroque parcours.

JACQUES HIGELIN, BEAU REPAIRE, DISTRIBUÉ PAR SONY MUSIC. ***

Avant d’exposer la réussite de cet album, l’excellence de ses chansons, la justesse fruitée de la production et tout le bien qu’on pense de l’affaire, faut dire deux-trois choses sur Higelin père (d’Arthur et d’Izïa). C’est le tout premier mec qu’on interviewe, un samedi de 1978, le lendemain d’un show au Paul-Emile Janson de l’ULB: le « vieux » de déjà 38 ans trace alors l’improbable connexion entre Charles Trénet et Iggy Pop. Amenant dans la tradition littéraire française des particules d’une rébellion anglo-saxonne binaire et l’idée de showman copulant en public sur une poésie versatile. Trop jeune, on a raté l’Higelin sixties et son improbable cabaret mené avec Rufus et Brigitte Fontaine (au 140 et ailleurs), le chopant alors que la star-attitude est déjà installée. Jusqu’à ces années 80-90 où mégalo Jacques en fait des tonnes à Bercy et sur disque, maniéré, parfois inspiré, volontiers ridicule comme les Précieuses de même réputation. On le recroise -pour un tournage- au milieu de la décennie 90/yuppie, refaisant le monde tard dans la nuit, lyrique, affecté, barré, too much, acteur de sa propre vie au surplus théâtral. Fatigant.

Lézard buriné

C’est dire que le premier contentement à l’écoute de ce disque est l’impression qu’il se satisfait d’être lui-même. Alors bien sûr, ce n’est pas Dominique A et son régime sec: drame et mélo semblent à jamais tatoués dans l’ADN du grand Jacques, demi-belge (par sa mère) mais quand même très très hexagonal. A l’instar de ses deux ou trois derniers albums, la voie actuelle est davantage à l’harmonie qu’à l’exhibition, à la retenue qu’au cabaret démesuré. Sans doute une question d’entourage immédiat et de choix des deux producteurs, le complice Dominique Mahut et Edith Fambuena, musicienne finaude remarquée chez Daho et Eicher. Ensemble, ces deux-là amènent Jacques sur un terrain réaliste, celui d’un âge où l’on se retourne sur le passé sans pour autant céder aux dévorantes nostalgies. Higelin chante bien le temps qui gobe les décennies (Seul, Tu m’as manqué) et il en ressort une agréable jouvence, rinçant même les phrases et phases douloureuses. Alors qu’il semble s’être toujours protégé derrière des images vaudevillesques, Higelin la joue ici plutôt direct et nature: une émotion nouvelle s’en dégage. Faut être bien dans sa peau de lézard buriné pour chanter, la septantaine passée, La joie de vivre, faire un duo (réussi) avec la gamine Sandrine Bonnaire (45 piges) et relancer une énième chanson d’amour, drôlement bien d’ailleurs (Hey Man). Même qu’on lui pardonne sa tentative de titre en anglais (Tomorrow Morning) où son accent rappelle celui d’Antoine Rapido de Caunes, sauf que là, euh, pas sûr du tout que cela tienne de la parodie volontaire. Ou alors, l’interprète de Bébert et l’omnibus, Elle court elle court la banlieue et La bande du Rex est véritablement un grand acteur.

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