Serge Coosemans

Ce qui se passe sur Instagram reste sur Instagram

Serge Coosemans Chroniqueur

Faut-il interdire de prendre des photos en boîte de nuit, se demande un article récent des Inrocks. L’occasion pour Serge Coosemans de décréter que sortir un smartphone en soirée fait désormais partie des petits rituels couillons de la virée type. Sortie de route, S03E17.

Faut-il interdire de prendre des photos en boîte de nuit, se demande un article récent des Inrocks, nous expliquant que de plus en plus de clubs, principalement new-yorkais mais aussi berlinois et parisiens, interdisent désormais à leurs clients de prendre des photos en soirée. Ces établissements entendent ainsi privilégier « un retour aux boîtes exclusives où la musique prime sur les photos idiotes » . Dans The New York Times, Amy Sacco, propriétaire de plusieurs clubs de grand luxe, dont le Bungalow 8, parle carrément de mettre fin à cette « culture des réseaux sociaux négative où chacun cherche les pires photos des autres ». Mais ne nous y trompons pas. Il s’agit ici tout simplement de garantir à une clientèle très VIP qu’aucune photo de défonce volée par un smartphone ne finisse sur Instagram ou Twitter. Sous couvert de la nostalgie d’un temps où le selfie n’existait pour ainsi dire pas, la « règle anti-photo » que certains clubs entendent imposer s’avère en effet principalement un « instrument de communication pour préserver les stars ». Le but est de positionner son établissement sur le marché de la night comme un endroit ou « what happens in the club stays in the club ». Ce qui peut autant intéresser les quidams qui ont le malheur d’avoir leurs collègues de bureau comme amis sur Facebook que l’habituel gibier de paparazzi internationaux. Comme le dit l’article des Inrocks, en interdisant les appareils photo, « on permet le retour de l’hédonisme et on laisse Rihanna faire du grand Rihanna. Une idée louable. »

Louable, vraiment? J’avoue ne pas trop savoir quoi penser de tout cela. Il est commun de dire que nous vivons une époque conne et ultra-narcissique. On prétend que dans les clubs, les gens ne danseraient plus, ne flirteraient plus, ne se défonceraient plus, trop occupés à checker via Shazam quels morceaux passe le deejay et à se photographier les uns les autres en mode duckface. À trop se mettre en scène, le public oublierait de réellement s’amuser et, dès lors, interdire les photos s’apparenterait à un très noble combat contre l’actuel nombrilisme crétinisant. Pas besoin de smartphone et encore moins de tablettes quand il y a la musique, les lumières et la foule, disent ceux qui parlent de la fête de façon très hypocrite. Parce qu’évidemment, les gens dansent, flirtent et se défoncent plus que jamais. Et c’est justement pour éviter que cela se sache trop que certains cherchent à empêcher que n’importe qui documente cela n’importe comment. Peut-on sérieusement avancer qu’une vingtaine de selfies rigolards est susceptible de davantage détériorer une ambiance festive que des prix prohibitifs encourageant la flambe, une sécurité néanderthalienne et des parades de bonobos en rut? N’est-ce pas pertinent de penser que ceux qui interdisent les photos à l’intérieur de leurs lupanars le font moins par idéal libertaire que parce que c’est surtout bon pour leur business, générant une mystique de permissivité sexuelle et narcotique ainsi que de discrétion assurée?

Au moment d’interdire les photos, que l’on ne vienne donc pas parler d’éthique, encore moins de morale, ou de nouvelle tendance. L’idée que les clubbeurs passent plus de temps à mettre en scène l’amusement qu’à véritablement le vivre est un angle d’attaque similaire à celui des restaurateurs qui accusent leurs clients de prendre plus de temps à prendre leurs plats en photo qu’à les déguster. Certains grands restaurants interdisent d’ailleurs les photos et on sait que là aussi il s’agit moins de défendre un art de vivre en perdition que de tenter de garder le contrôle sur la représentation des créations et la réputation, notamment esthétique, des assiettes. C’est un choix strictement commercial, du marketing de prestige, une politique de communication menée par des gens très à cran sur leurs droits à l’image. Pour le commun des mortels, que cela plaise ou non, on vit toutefois dans un monde où sortir un smartphone en soirée pour immortaliser une murge, une grimace ou un grand moment de solitude fait désormais partie des petits rituels couillons de la virée type. Un moment obligé, à l’instar de la tentative de moonwalk sur la piste de danse ou du fait de fumer une clope en douce au bar. Avec un peu de chance, cela peut donner un résultat bien drôle et avec un peu de talent carrément tenir du document d’ordre plus social. Regarde le petit oiseau qui va sortir de route.

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