Serge Coosemans

Le Big Data et la méthode qui sert à fabriquer les fascistes (ou pas)

Serge Coosemans Chroniqueur

Un article d’un magazine suisse récemment traduit en anglais affirme que Donald Trump aurait été principalement élu grâce à une méthode de marketing en grande partie basée sur le Big Data et qui fabriquerait plutôt facilement les fascistes. Crash Test S02E18, une chronique qui va vous donner envie de vous déconnecter. Pour de bon. Et puis revenir parce que c’est quand même un peu pour de rire, hé, gamin.

Un article à l’origine paru en décembre 2016 dans un magazine suisse est en train de faire un sérieux ramdam sur Internet, depuis qu’il a été traduit en anglais par des activistes et depuis que Trump est effectivement devenu la nuisance planétaire qu’il a promis d’être tout au long de sa campagne. Copieux et documenté, façon The New Yorker, il est vrai que le papier est bien flippant, même si ses conclusions sont à prendre avec des pincettes, à savoir qu’il semble désormais exister une méthode infaillible pour transformer une opinion molle en clientèle quasi-fasciste. Les faits, en revanche, sont tous facilement vérifiables et certifiés.

L’article nous raconte dans un premier temps l’histoire de Michal Kosinski, un jeune psychologue polonais qui aurait développé une méthode d’analyse comportementale basée sur l’activité des gens sur les réseaux sociaux. En 2012 déjà, Kosinski était assez sûr de son coup pour démontrer qu’il pouvait prévoir avec une marge d’erreur de 5% à 15% la personnalité d’un sujet uniquement via ses likes sur Facebook. Les exemples retenus sont assez rigolos. S’afficher fan du Wu-Tang Clan est, par exemple et selon Kosinski, un facteur plutôt sûr d’hétérosexualité et les followers de Lady Gaga auraient pour la plupart tous une grosse tendance à se montrer très extravertis. On rigole mais la méthode du jeune chercheur permettrait toutefois aussi de cerner et de prédire la couleur de peau, l’orientation sexuelle, les tendances politiques, le degré d’intelligence, les sentiments religieux de quelqu’un; ainsi que son rapport à l’alcool, aux cigarettes et aux drogues. Et ça, c’était il y a 5 ans. Depuis, la méthode se serait affinée et donnerait désormais des résultats proprement hallucinants.

Aujourd’hui, plus personne n’irait d’ailleurs douter que notre présence en ligne dévoile énormément de nous et que les données que nous laissons traîner sont collectées et utilisées. Aujourd’hui, on commence aussi à se rendre compte qu’un téléphone portable ou un smartphone, même « au repos » et en poche, peut trahir tant nos déplacements que notre psychologie. Tout ce qui laisse des traces digitales nous cerne. Chaque achat avec une carte, chaque recherche sur Google, chaque like sur Facebook produit de l’information qui est stockée et éventuellement triangulée, en attendant d’être achetée et analysée. Comme il est dit dans l’article, tout cela n’est pas bien alarmant tant que cela sert principalement à faire apparaître sur votre écran une publicité pour des médicaments régulateurs de la pression sanguine lorsque vous entamez une recherche sur la tension artérielle. En revanche, vient forcément un moment où existe la possibilité de chercher dans toute cette masse de données disponible « des pères inquiets, des introvertis en colère ou des Démocrates indécis ». Pour leur vendre un candidat d’extrême-droite.

Steve Bannon et 687 autres politiciens douteux aiment ça

C’est précisément ce qui s’est passé. En 2014, Kosinski a été approché par une firme du nom de Strategic Communications Laboratories, présentée sur son site Web comme une « agence de management électoral globale ». Une firme du genre flippant, le pignon sur rue d’un conglomérat corporatif assez opaque. Aux Etats-Unis, la filiale de SCL a pour nom Cambridge Analytica et Steve Bannon, le conseiller le plus polémique et extrémiste de Donald Trump, ferait à ce jour toujours partie de son board. Wikipédia nous dit aussi que SLC aide depuis 25 ans les militaires et les politiciens à manipuler l’opinion publique et ne se cache pas d’avoir aidé à réussir des coups d’états. La firme se vante encore d’avoir influencé les élections en Italie, en Ukraine, en Roumanie, en Inde, en Indonésie… Entre autres. Le Brexit et Trump font partie de ses grandes victoires et les actuels partis d’extrême-droite italiens, allemands et sans doute français sont suspectés d’être déjà sous contrat avec la boîte, en vue des diverses élections à venir cette année.

Kosinski a refusé l’offre de SCL et n’aurait plus rien à avoir avec tout ça, qu’il dénonce lors de conférences et qui l’effraye. Ses méthodes ont toutefois été intégrées et sans doute améliorées par les vieux briscards de la Cambridge Analytica. Le CEO de la firme, James Ashburner Nix, citoyen britannique de 41 ans, se vante ainsi de désormais pouvoir déterminer quelles sont les peurs mais aussi les besoins de tout un chacun. Dès juin 2016, quand il s’est associé à Donald Trump, l’idée stratégique maîtresse de la campagne a été d’ignorer complètement la publicité électorale à l’ancienne, basée sur des statistiques démographiques larges où des groupes aussi vastes que « les femmes » ou « les Noirs » sont considérés comme homogènes. Du chaudron de sorcière de la Cambridge Analytica, Nix aurait tout simplement tiré la possibilité de publicités électorales non seulement quasi personnalisées mais aussi de nature à aller chipoter votre psychologie des profondeurs.

« Nous avons profilé la personnalité de chaque adulte vivant aux USA – 220 millions de personnes », s’est gargarisé James Nix lors d’une conférence. Et donc, une frange de ces millions de personnes a reçu des publicités électorales factuelles et rationnelles alors qu’une autre tranche d’Américains s’est ramassé sur le citron des spots flippants et larmoyants. Chaque électeur potentiel ou presque a reçu un message différent et cela pourrait aussi expliquer, selon le magazine suisse, l’inconstance et les incohérences du discours de Trump, qui n’aurait fait que s’ajuster aux réactions du public, suivant non pas sa folie personnelle mais le conseil de Cambridge Analytica de réagir comme un algorithme. Ca paraît énorme mais Nix le confirme dans l’article: à peu près chaque sortie de Trump s’est basée sur une interprétation du data collecté. Mieux: lors du troisième débat entre Trump et Clinton, l’équipe du candidat républicain a produit sur Facebook 175.000 messages présentant tous de minuscules variations (un encadré rouge plutôt que vert, par exemple) afin d’au mieux correspondre aux penchants personnels de la cible. Encore mieux: dans le quartier haïtien de Miami, les gens ont pu voir des publicités online rappelant l’échec de la Fondation Clinton dans la gestion de l’après-tremblement de terre de 2010, ce qui n’a pas été mis en ligne pour les utilisateurs d’Internet domiciliés quelques mètres plus loin. Et dans certains bastions démocrates ou habités de sceptiques politiques, des clips ont été présentés non pas pour convaincre les gens de voter Trump mais bien pour leur faire douter de la nécessité de tout simplement aller voter. Comme l’explique Nix, « l’idée que des centaines de millions de gens reçoivent le même e-mail, la même pub télé, la même pub digitale, c’est mort. Mes enfants ne comprendront sans doute jamais le concept de communication globale. Aujourd’hui, la communication est de plus en plus ciblée. »

Tant que ça vend des binious et des caliches pour le coeur, pourquoi pas. Il se fait que là, ça transformerait le monde en mauvaise SF de 1948, avec en coulisses des types dignes d’être des ennemis de James Bond et qui auraient à leur disposition une méthode réputée infaillible ou presque pour fabriquer les fascistes et faire élire les enflures. Sauf qu’Internet étant ce qu’il est, là, fin janvier 2017, il nous est toujours loisible de tester une version démo de l’outil dont on parle ici, histoire de vérifier si tout cela est vraiment aussi effrayant que ça. Je l’ai fait ce vendredi soir et il m’a été donné pour résultat que j’étais androgyne, de tempérament artistique, introverti et de gauche. Tellement de gauche que les stand-ups du comique américain Bill Burr ainsi que les séries The Office UK et The IT Crowd devaient en toute logique me sembler être des shows très traditionnels et conservateurs. Cerise sur le gâteau: vu que j’aime les pages des Doors, du groupe Tones on Tail et du magazine Mixmag, je ne suis forcément pas du tout intéressé par le journalisme (malgré un profil alignant des likes pour Thompson, Kapuscinski, Orwell, London, Herr et trois dizaines de médias poids lourds). Tout aussi fun: vu que j’ai aimé les séries Six Feet Under et Breaking Bad (vus partiellement en couple, pourtant), je suis forcément célibataire. Bref, c’est tellement nawak qu’on retrouve le sourire. Sauf si on imagine que cette très coincoin méthode d’analyse pourrait un jour être celle des douanes américaines, puisqu’il faudra désormais de préférence présenter un zoli compte Facebook vierge de toute aspérité pour voyager aux États-Unis. Autant dès lors liker Alain Soral, le meilleur coupe-files du monde en train de naître. Youpie, quoi.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content