Julie Dash, l’Afrique en héritage

Julie Dash © John Nowak/TCM
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

De la L.A. Rebellion à Black Panther, Julie Dash voit le cinéma afro-américain revendiquer ses droits.

Son très fort et très beau Daughters of the Dust, évocation de trois générations de femmes Gullah (1) vivant au début du XXe siècle sur une île entre Afrique et Amérique, sera l’une des attractions cinématographiques de l’Afropolitan Festival. À 65 ans, celle qui enflamma l’écran dès les seventies et la L.A. Rebellion n’a rien perdu de son esprit combattant, avec l’art en bannière et une exigence de faire entendre la voix des Afro-Américains dans un pays où racisme et exclusion n’ont pas encore disparu. Un pays où les choses bougent, tout de même. Tout le bruit fait autour de la « blancheur » des nominations aux Oscars (avec le hashtag #OscarsSoWhite) a eu entre autres pour résultat de valoir à Julie Dash d’être acceptée comme membre de l’Académie qui décerne les statuettes. Et ce… 26 ans après y avoir déposé sa candidature!

La réalisatrice préfère en rire, elle que la réalité de l’industrie du film et de la télévision (où elle est aussi et même surtout active aujourd’hui) a instruit sur les obstacles restant à franchir quand on veut porter à l’écran la mémoire des Américains d’origine africaine, et qu’on se pique en plus de le faire dans une perspective ouvertement féministe. « Ceux qui vous disent que le combat féministe est dépassé, que l’égalité est atteinte, se trompent tellement! Avez-vous entendu parler du hashtag #MeToo? » Et Julie d’éclater encore de son grand rire communicatif. Qui a dit que l’activisme devait obligatoirement inspirer le sérieux? La L.A. Rebellion, aussi parfois appelée The Los Angeles School of Black Filmmakers, avait montré la voie dès la fin des années 60 sur le campus de l’UCLA (2) où Dash suivit un certain Haile Gerima, son aîné de six ans. « Haile disait à juste titre qu’il n’était pas suffisant pour un cinéaste afro-américain d’aborder des sujets différents, personnels et impliquant les questions sociales et culturelles liées à l’origine. Il répétait qu’il nous fallait aussi inventer des formes nouvelles, audacieuses, s’écartant du langage cinématographique dominant. Pour moi, dans Daughters of the Dust , ce fut ce que j’ai appelé « griot structure », un récit non linéaire où la tradition orale des griots (caste dépositaire de la transmission en Afrique occidentale, NDLR) détermine le mode de narration du film. »

Daughters of the Dust (1991)
Daughters of the Dust (1991)© DR

Rosa Parks et Beyoncé

Daughters of the Dust fut, en 1991, le premier film d’une réalisatrice noire à connaître une sortie commerciale en salles. Primé au festival de Sundance, il a suscité un regain d’intérêt quand Beyoncé s’en inspira grandement voici deux ans pour son album visuel Lemonade, diffusé sur HBO et contenant plusieurs extraits du film. « Le projet de restauration était déjà lancé mais il a pu être mené à bien plus vite grâce à l’effet Lemonade « , commente une Julie Dash qui ne fait par ailleurs pas la fine bouche devant la vague actuelle de projets « mainstream » donnant la vedette à des super-héros afro-américains. « J’ai hâte de voir Black Panther et je suis déjà attentivement les séries Black Lightning et Luke Cage . Tout en respectant des formes commerciales, ils contiennent des éléments politiques et sociaux, ils évoquent l’injustice, les rapports avec la police, tout ce qui n’a pas fini de nous choquer dans l’Amérique aujourd’hui. » Julie espère que Donald Trump (« Pas mon Président! ») ne fera pas long feu à la Maison-Blanche. Et elle se réjouit de l’avènement d’un « Black Hollywood » revendiquant un pouvoir concret. Pour sa part, loin des stars mais toujours fidèle à une démarche infatigable de témoignage et de transmission, la réalisatrice prépare un prequel à son téléfilm remarqué de 2002, The Rosa Parks Story, où Angela Bassett incarne la première femme noire à refuser la ségrégation dans les transports publics en 1955 (une affaire qui culmina devant la Cour Suprême). Elle met aussi en oeuvre une série sur les femmes afro-américaines qui ont servi dans l’armée en pays étrangers durant la Seconde Guerre mondiale. « On n’en a jamais entendu parler mais elles étaient par exemple 850 à servir en Angleterre et puis en France! »

De son africanité, Julie dit: « C’est mon héritage! Je n’ai jamais cessé, depuis mon enfance, de vouloir en savoir plus, en voir plus, faire plus d’expériences reliées à cet héritage. Aujourd’hui, grâce à l’analyse ADN, je sais que mes origines me lient au Congo et au Cameroun. » Et de conclure dans un dernier éclat de rire : « J’ai la preuve désormais que tout était lié, que mon travail de cinéaste suivait donc la bonne piste! »

(1) La réalisatrice est elle-même, par son père, descendante de ce peuple qui s’était établi sur des îles au large de la Caroline du Sud et de la Géorgie.

(2) University of California Los Angeles.

Projection de Daughters of the Dust en présence de Julie Dash dimanche 25/02 à 20h à Bozar, dans le cadre de l’Afropolitan Festival.

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