Premiers romans: nos coups de coeur de la rentrée

A chaque rentrée littéraire, son bouquet de premiers romans et de bonnes surprises. Parmi les 75 recensés par le magazine Livres Hebdo, voici ceux que Le Vif/L’Express a repérés. Un point commun ? Leurs auteurs n’ont pas froid aux yeux !

Le plus CRU

Leïla Slimani.
Leïla Slimani. © C. HÉLIE/GALLIMARD

Adèle, quel doux prénom… Adèle, 35 ans, jolie et gracile, grand reporter pour la presse parisienne, mariée à un médecin, mère d’un petit Lucien… Qui pourrait bien se méfier d’une jeune femme avec un CV pareil ? Pas son mari, Richard, en tout cas, trop occupé qu’il est par ses gardes à l’hôpital. Le lecteur, lui, connaît la face sombre de la jeune Parisienne dès l’entame et une première scène de coucherie, rapide, dure, sans affect. On l’apprend très vite, le sexe est son pain quotidien. Aidée par son métier aux horaires mouvants et par une amie alibi, Adèle multiplie les aventures à l’infini, rompant aussi rapidement que le désir l’a envahie. Ses obsessions la dévorent, ses pulsions la consument, sa vie de mensonges la détruit. Lorsque, après un accident de scooter, Richard se retrouve immobilisé et dépendant dans leur appartement, son quotidien se corse. Et le pire est à venir, le mari d’Adèle souhaitant depuis longtemps s’installer en province. Avec un style froid, implacable, Leïla Slimani déroule son portrait de femme fatale et nymphomane. Une femme malade, emprisonnée par ses démons et par « cette trahison des corps qui excite l’âme » selon une héroïne de Kundera, et que l’on se prend à plaindre et à soutenir. Avec ce premier roman, érotique, cru et violent, Leïla Slimani, journaliste de 33 ans, en impose. Sa dame de coeur a plus que du piquant. M.P

Dans le jardin de l’ogre, par Leïla Slimani. Gallimard, 224 p.

Le plus PERCUTANT

Gauz
Gauz© SDP

Quel oeil ! Gauz (Armand Patrick Gbaka-Brédé dans le civil) a tout vu, tout observé, tout analysé durant ses quelques expériences de vigile. Etudiant ivoirien débarqué en France en 1999, un temps sans-papiers, l’homme a multiplié les activités, de jardinier à scénariste. Mais c’est son apprentissage de « debout-payé » (« rester debout toute la journée, répéter cet ennuyeux exploit de l’ennui, tous les jours, jusqu’à être payé à la fin du mois ») qui nourrit son redoutable récit. Aussi drôle qu’instructif, aussi intelligent que distrayant. Découpé en chapitres-saynètes et interludes sur la vie quotidienne de deux magasins, mais aussi de manière chronologique autour de deux jeunes Ivoiriens, l’étudiant Ossiri et Kassoum, l’ex-enfant du ghetto de Treichville à Abidjan, ce premier roman fourmille d’informations. Tel un sociologue averti, Gauz nous apprend à distinguer Ivoiriens, Béninois, Sénégalais, Congolais, etc. par leur style vestimentaire et leur parler, à décrypter les manies des clients venus du monde entier, des bruyants Chinois aux Arabes voilées, et à déchiffrer le vocabulaire (hilarant) propre aux enseignes de fripes et de cosmétiques. Ce faisant, Gauz accomplit une plongée dans le temps et dans le territoire des Ivoiriens de Paris. De la fin des Trente Glorieuses à aujourd’hui en passant par le 11 septembre 2001, c’est toute la politique de l’immigration qui se dessine à travers ce recueil, dont on retiendra avant tout la verdeur et l’humour. M.P

Debout-Payé, par Gauz. Le Nouvel Attila, 192 p.

Le plus DÉRANGEANT

Nathan Filer
Nathan Filer© P. BAMBRIDGE/SDP

Le premier opus, poignant, du Britannique Nathan Filer, distingué par le prix Costa en 2013, pourrait aussi s’intituler « Mémoires d’un jeune homme dérangé »… C’est ce que croit être le narrateur, Matthew Homes, 19 ans, 1,80 mètre, « en phase de traitement lourd » dans un hôpital psychiatrique de Bristol, gavé de médicaments au point de dormir jusqu’à dix-huit heures par jour. C’est surtout ce qu’on lui fait croire depuis ce 15 août fatal de 1999, onze ans auparavant, lorsque Matthew provoqua accidentellement la mort de son frère aîné, Simon, 13 ans. Un frère trisomique, qui accaparait l’attention de tous et dont le souvenir hante Matthew. Lequel s’emploie à reconstituer les contrecoups de ce drame, cause de sa supposée schizophrénie. « Mais il y a toutes sortes de folies. Des fois, la folie n’a rien de fou au début. Elle frappe poliment à votre porte et, si vous la faites entrer, elle s’assied gentiment dans un coin, sans faire de bruit. Et elle grossit. » Nathan Filer, qui a lui-même travaillé en milieu psychiatrique, a trouvé le ton juste pour évoquer la descente aux enfers de cet adolescent dépassé par sa culpabilité et les diktats des adultes – parents réfugiés dans le non-dit, médecin et personnel soignant trop zélés. Sur un mode tour à tour tragique, naïf, obsessionnel, enjoué, son récit décrit avec force le cercle vicieux de la « maladie mentale ». D.P

Contrecoups, par Nathan Filer, trad. de l’anglais par Philippe Mothe. Michel Lafon, 352 p.

Le plus DOCUMENTÉ

Adrien Bosc.
Adrien Bosc.© B. COLOMBEL/SDP

A Orly, en ce 27 octobre 1949, Marcel Cerdan, son manager, Jo Longman, et son ami Paul Genser délogent, grâce à un droit de priorité, trois voyageurs et embarquent sur le Constellation F-BAZN en partance pour New York. Les projets de Marcel ? Rejoindre la petite Edith et prendre sa revanche sur Jake LaMotta. On lui présente l’autre vedette de « la nouvelle comète d’Air France » : Ginette Neveu, violoniste virtuose de 30 ans, accompagnée de son frère, d’un Stradivarius et d’un Guadagnini. Ils sont 48 passagers en tout, dont 11 membres d’équipage, à sabler le champagne dans les airs et à… périr dans la nuit, aux Açores, sur les flancs du mont Redondo, à près de 90 kilomètres de l’escale de ravitaillement. Les raisons du crash du quadrimoteur, piloté par un ancien des Forces françaises libres, restent mystérieuses. Problème de réception radiogoniométrique (qui permet de déterminer une position), semble-t-il. A Paris, France Soir multiplie les Unes, et on pleure, comme à Casablanca et à New York, le « Bombardier marocain » Marcel Cerdan, Ginette Neveu, mais aussi le génial inventeur des produits dérivés de Walt Disney, un journaliste québécois, un propriétaire de tanneries, un avocat israélien, un chauffeur irakien, une ouvrière de Mulhouse, cinq bergers basques… Le monde entier se trouvait à bord du vol transatlantique. Fascinant Adrien Bosc, auteur de ce roman-récit et par ailleurs créateur des revues Feuilleton et Desports, qui a épluché les archives, enquêté sur Internet, déterré les indices pour restituer tous ces pans de vies brisées prématurément. Embarquement immédiat. M.P

Constellation, par Adrien Bosc. Stock, 198 p.

Le plus PROVOCATEUR

Frederika Amalia Finkelstein
Frederika Amalia Finkelstein © C. HÉLIE/GALLIMARD

Alma a une définition très personnelle du devoir de mémoire. « Je le dis sans honte : je veux oublier, anéantir cette infâme Shoah […]. Je souhaite qu’on me fiche la paix avec cette histoire […] car c’est le seul moyen que j’ai de survivre. » Agée d’une vingtaine d’années, cette Parisienne – qui s’invente à l’occasion un grand-père mort à Auschwitz – n’en peut plus d’être écrasée par le spectre des 6 millions de morts dans les camps. Quitte à parfois avoir le verbe un rien incorrect. Comment peut-elle comparer le destin des victimes du génocide à celui de son chien Edgar ? Fan de Daft Punk et de Glenn Gould, Alma boit de manière compulsive des canettes de Pepsi, traîne sur les Champs-Elysées ou joue à des jeux vidéo pour éviter de songer au passé. Qui finit par la rattraper lorsqu’elle rencontre Martha Eichmann, la petite-fille du dignitaire nazi – laquelle cherche également à oublier… Provocatrice, Frederika Amalia Finkelstein ? Assurément oui, et certains s’offusqueront de quelques saillies présentes dans L’Oubli. Mais ce sont justement tous ses excès qui font l’intérêt de ce roman aussi fort que dérangeant. Abordant ce sujet tabou, cette étudiante en philosophie de 23 ans s’interroge sur la manière de vivre au présent et sur la puissance du langage, tout en dépeignant un monde dans lequel Hitler est à son avis devenu un mythe au même titre que Michael Jackson ou certaines marques de soda. B.L

L’Oubli, par Frederika Amalia Finkelstein. Gallimard, 174 p.

Le plus ÉLÉGANT

Nelly Kaprièlan
Nelly Kaprièlan© J.-F. PAGA/GRASSET

C’est lors d’une vente aux enchères, en décembre 2012, à Los Angeles, que Nelly Kaprièlian fit l’acquisition du manteau de Greta Garbo – enfin, l’un des manteaux parmi les quelque 800 pièces de la garde-robe de la Divine. La responsable des pages « livres » des Inrockuptibles et de Vogue n’imaginait pas que ce vêtement en laine rouge allait l’entraîner à écrire son premier roman, aussi atypique que séduisant. S’il est, évidemment, question de l’égérie hollywoodienne – que la journaliste dépeint en femme libre en avance sur son temps -, Le Manteau de Greta Garbo n’a rien d’une énième évocation « paillettes ». Tel le baron Frankenstein composant sa créature à partir de différents morceaux de cadavres, ce livre sur le travestissement se présente comme un patchwork qui réunit différents registres littéraires (le récit, l’essai, l’enquête, le roman de science-fiction), faisant se croiser des génies de la haute couture et des écrivains avec pléthore de citations habiles (Jean-Jacques Schuhl, Susan Sontag, Joris-Karl Huysmans…). Outre l’analyse de notre rapport au vêtement – qui montre autant qu’il cache -, Nelly Kaprièlian revient avec pudeur sur ses origines arméniennes – notamment lorsqu’elle évoque son arrière-grand-mère qui dut enterrer la chemise de son mari en lieu et place de son corps. Dans la vie comme dans la mode ou au cinéma, l’existence est parfois réduite à une projection sur une toile…B.L

Le Manteau de Greta Garbo, par Nelly Kaprièlian. Grasset, 288 p.

Marianne Payot – Delphine Peras – Baptiste Liger

PRIX DU ROMAN FNAC : UN MOZART DU THRILLER

Benjamin Wood
Benjamin Wood© J. FORD/OPALE/ZULMA/SDP

Il est possible que vous n’écoutiez plus les grands airs baroques de la même oreille, après la lecture du Complexe d’Eden Bellwether. Dans son diabolique premier roman, le Britannique Benjamin Wood (photo) est parti d’un étrange postulat : et si les compositeurs avaient « le pouvoir d’affecter et de manipuler (les) émotions, (les) passions », jusqu’à faire de l’auditeur un véritable pantin obéissant à l’agencement de notes ? C’est en tous les cas l’avis d’Eden Bellwether. Organiste assistant à la chapelle du King’s College, ce virtuose du clavier n’est pas du genre modeste, comme le constate rapidement Oscar Lowe, qui, un jour, est happé par la musique jouée pendant l’office. Subjugué par le son, ce jeune aide-soignant se montre aussi troublé par le charme d’une étudiante en médecine, Iris, violoncelliste et soeur d’Eden.

Garçon en quête de culture, Oscar commence alors à fréquenter les Bellwether et leurs amis. Mais, par goût du jeu, Eden va trop loin, en hypnotisant l’amoureux de sa soeur et en lui plantant un long clou dans la main… L’organiste ténébreux serait-il un fou mégalomane ? Un dangereux pervers narcissique ? Quel serait le diagnostic du mystérieux psychologue Herbert Crest,qui, il y a bien longtemps, enseigna au King’s College ? Ecrit sous l’égide des Passions de l’âme, de Descartes, ce thriller à la construction implacable se révèle, à l’image des théories de son héros, un formidable exercice de manipulation, prenant à l’occasion des directions très inattendues. Un coup de maître tout en ambiguïtés. B.L

Le Complexe d’Eden Bellwether, par Benjamin Wood, trad. de l’anglais (Royaume-Uni) par Renaud Morin. Zulma, 512 p.

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