Le cinéma suédois, ses succès et ses contradictions

"Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l'existence", film de Roy Andersson, a obtenu du Lion d'or à Venise et est sélectionné dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère de la 88e édition des Oscars. © Roy Andersson Filmproduktion AB

Dans le cinéma suédois, « on n’a pas besoin de parler tout le temps ni de gueuler avec hystérie. » Aurore Berger Bjursell, qui s’apprête à sortir un livre sur le cinéma suédois depuis les années 2000, décortique avec nous le 7e art venu du nord.

Au cours des semaines qui vont suivre, des articles fleuriront dans cette nouvelle rubrique dédiée à la culture suédoise. Pourquoi? Principalement parce que la Suède est le pays dans lequel Margo, notre stagiaire, a choisi de partir dans quelques mois en Erasmus. Dans L’instant suédois, le cinéma, la musique ou encore la littérature seront décortiqués dans une tentative de faire le tour de la question viking.

Aurore Berger Bjursell est l'auteure de
Aurore Berger Bjursell est l’auteure de « 15 ans de cinéma suédois contemporain ».

Après des études de cinéma à l’université Paris III, un mémoire de master sur Knut Erik Jensen, un mémoire de master professionnel sur la Cinematek de Stockholm et 6 ans passés en Suède, Aurore Berger Bjursell est, comme elle l’exprime sur son blog, « une professionnelle de la diffusion de contenus de qualité » qui en connaît un rayon sur le cinéma scandinave. Et quand on lui demande la raison de son intérêt pour ce cinéma en particulier, sa réponse est simple: « Il y a plus de retenue dans le cinéma scandinave, moins d’effets. C’est plus épuré. » Un cinéma plus poétique, donc, mais qui n’a pas toujours eu un grand succès auprès de ses compatriotes.

Quelle place pour le cinéma suédois dans la culture suédoise?

Les Suédois ne sont pas vraiment cinéphiles. Mais pour les étrangers, le cinéma suédois est très important. On va forcément penser à (Greta) Garbo, à (Ingrid) Bergman, etc. Pour les Suédois, le cinéma a une place moindre comparativement aux autres arts comme la musique ou la littérature. Ils connaissent d’ailleurs souvent mal le cinéma suédois et ont des préjugés sur la qualité des films.

Quelles attentes ont-ils du cinéma?

Je pense que beaucoup considèrent par exemple que les films d’action suédois sont de pâles copies de ce qui se fait aux Etats-Unis. Les films sont parfois mal montés, le rythme peut être approximatif et puis certains s’agacent de voir tout le temps les mêmes acteurs dans le même type de rôle.

A contrario, vous dites-vous sentir plus proche du cinéma scandinave que du cinéma américain. Qu’est-ce qui différencie ces deux cultures cinématographiques?

Il y a plus de retenue dans le cinéma scandinave, moins d’effets. C’est plus épuré. On n’a pas besoin de parler tout le temps ni de gueuler avec hystérie. On n’abuse pas de ces effets spéciaux partout.

C’est un cinéma plus poétique?

Oui, voilà.

Vous parliez de Greta Garbo et Ingrid Bergman qui ont eu une grande carrière internationale. Est-ce que le cinéma suédois est destiné à l’exportation?

Ça a été le cas avec les différents âges d’or du cinéma suédois. Le premier âge d’or s’exporte dans les années 20 aux Etats-Unis avec Greta Garbo, Mauritz Stiller, Lars Hanson. C’est aussi une réalité dans les années 50 avec Ingrid Bergman, Ingmar Bergman et d’autres puis à nouveau dans les années 2000-2010 puisqu’on a eu plusieurs réalisateurs et acteurs suédois qui se sont fait une place à l’international grâce aux séries télé. Je pense notamment aux frères Skarsgård: Alexander dans True Blood, Gustaf dans Vikings et Bill dans Hemlock Grove. Il y a eu un élément déclencheur depuis Alexander Skarsgård qui a fait que les acteurs et actrices suédois sont maintenant recherchés. Mais l’exportation, c’est aussi une volonté politique. En 2001, la Suède avait la présidence de l’Union Européenne et quelques cycles ont été organisés un peu partout dans l’union pour montrer que le cinéma suédois était intéressant. L’année d’après, une étude qualitative a été lancée sur la situation du cinéma suédois et il en est ressorti que pour survivre, ce cinéma devait s’exporter. On a alors commencé à tourner des films beaucoup plus ambitieux tournés vers l’international, parfois même en anglais. C’est pour ça qu’après 2006-2008, il y a eu toute une vague de films formatés qui sont apparus sur les écrans. Je pense à Arn avec Vincent Perez, le phénomène Millenium, Tomas Alfredson avec La Taupe, etc.

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Est-ce qu’on retrouve la touche suédoise dans ces plus grosses productions?

Millenium, c’est un cas intéressant parce que les Suédois le brandissent comme étant le plus gros succès pour un film suédois sur les écrans européens depuis 2000. Mais quand on regarde tous les noms des personnes qui ont travaillé dessus, on voit que le réalisateur est danois, que le compositeur est danois, qu’une grande partie de ceux qui étaient à la production sont danois. En fait, il y a avait beaucoup plus de Danois dans ce film que de Suédois. Donc oui, il y a toujours une patte suédoise mais elle est moindre.

Il semblerait aussi que les Suédois aient un rôle important dans les productions étrangères.

Oui, là aussi les suédois s’exportent. Mais depuis longtemps déjà. Dans les années 30, un des animateurs principaux chez Walt Disney était suédois. Depuis quelques années, on appelle des boîtes suédoises pour tout ce qui est effets spéciaux ou techniques parce que les Suédois ont une aptitude à faire énormément avec très peu de moyens. Beaucoup de films oscarisés doivent leur récompense à une société suédoise, pour le son par exemple.

Est-ce qu’il y a une esthétique typiquement suédoise?

Oui, plutôt pour la production Arts et Essais, il y a beaucoup de clins d’oeil au cinéma suédois des années 60-70 à la fois dans la photo et dans la composition des cadres. On retrouve par exemple des gros plans sur des apiacées ou un recours aux images complexes, c’est-à-dire des images qui sont distantes, ressemblent à des tableaux, mais qui, par le mouvement des personnages, créent une dynamique bien spécifique que l’on identifie immédiatement comme scandinave. Quand on voit un film de Roy Andersson, on sait que les images viennent du nord de l’Europe. On parle là d’esthétique scandinave plus que suédoise.

On parle souvent de la Suède comme un modèle économique et social à suivre. Est-ce que l’on retrouve ça dans le cinéma?

Je pense que le cinéma ou les arts suédois montrent plutôt tout ce qui ne va pas. On a beaucoup de récits assez dystopiques, de d’alcoolisme, de violence, etc. C’est une tradition qui est assez forte en Suède depuis Ingeborg Holm sorti en 1913. Toute l’histoire du cinéma suédois est émaillée de drames à thèmes sociaux. Le regard égalitariste que l’on porte à la Suède est complètement absent de son cinéma.

Les comédies n’ont pas leur place?

C’est souvent mal considéré. Il y a eu toute une controverse sur les comédies parce que les Suédois trouvaient que ce n’est pas un genre raffiné, pas intellectuel. Malgré cela, il y a des comédies qui sont d’énormes succès au box-office nordique. Il y a pas mal d’absurdité dans le cinéma scandinave.

15 ans de cinéma suédois, tendances thèmes & talents du nouveau cinéma suédois, de Aurore Berger Bjursell à paraître en novembre 2015 aux éditions Stilkr.

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