King of the Belgians: « Le réel est incroyable, nul besoin d’aller plus loin »

King of the Belgians © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Un Groland à la belge revisite l’histoire tourmentée du vieux continent et du Royaume par l’absurde. Rencontre avec sa co-réalisatrice Jessica Woodworth.

« On est très étonnés. On ignorait que l’on pouvait faire rire. » Après une trilogie scrutant les rapports souvent conflictuels entre l’homme et la nature (Khadak, Altiplano, La Cinquième Saison) dans un geste de cinéma plutôt austère hérité du docu, la paire américano-belge formée par Jessica Woodworth et Peter Brosens se fait plaisir le temps d’un road-movie mockumentaire (1) qui embarque le Roi des Belges Nicolas II (Peter Van den Begin, idéalement amidonné) et son aréopage bigarré sur les routes du Vieux Continent, tentant de gagner le Royaume à l’arrache depuis Istanbul alors qu’une tempête solaire paralyse le trafic aérien -l’urgence est de taille, en effet: la Belgique vient d’éclater après que la Wallonie a déclaré son indépendance…

Deux faits récents d’actualité servent d’inspiration matricielle au film: d’un côté, l’éruption du volcan islandais d’Eyjafjallajökull en 2010, provoquant la fermeture temporaire de nombreux espaces aériens dans le monde; de l’autre, la crise politique belge sans précédent de 2010-2011, laissant le pays sans gouvernement durant 541 jours. Jessica Woodworth se souvient: « En parcourant le New York Times dans les jours qui ont suivi l’éruption, Peter voit en couverture cette image du Premier ministre estonien dans une station-service, contraint de faire Tallinn-Cracovie en minibus afin d’assister aux obsèques du Président polonais. Ça a été le point de départ, la petite étincelle qui a lancé le projet. On a ressenti une espèce de nostalgie pour cette époque où les chefs d’État se déplaçaient sans protocole. L’idée nous a semblé très belle: le Roi des Belges forcé de traverser une région mythique, les Balkans, par la route et dans l’anonymat… Il est pour la première fois regardé en tant qu’homme, non en tant que souverain, et ça lui fait du bien. »

Politique de crise

King of the Belgians:

Souvent, dit-on, la réalité dépasse la fiction. Se nourrissant d’une actualité plutôt chagrin, cette odyssée branque et foireuse à travers l’Europe va jusqu’à anticiper à sa façon certaines crises politiques présentes. « Nous avons tourné le film en mai-juin 2015. Et il se trouve que tout ce qui s’est passé depuis, sur le plan politique, donne de l’ampleur au récit. La tentative de coup d’État en Turquie, le Brexit, Trump aussi en un sens puisque son élection va avoir un impact immense sur l’Europe… Les questionnements ancrés dans notre histoire résonnent aujourd’hui avec d’autant plus de force. C’est triste, vraiment, mais c’est ainsi. »

Pour autant, l’heure n’est pas à la désespérance. « Le ton du film était dicté par l’idée d’un documentaire, faux en l’occurrence, mais inscrit dans une réalité. Il fallait que les acteurs n’en fassent pas trop, qu’ils soient dans l’authenticité. L’humour vient de l’absurdité des circonstances, pas du jeu. » Et les frontières entre le vrai et le faux de se brouiller encore un peu plus… « Le réel est incroyable. Nul besoin d’aller plus loin. Beaucoup d’éléments surréalistes présents dans le film ne sont en fait pas du tout des inventions de notre part. Miniatürk existe vraiment, ce monstrueux siège du Parti communiste bulgare aussi. Idem pour certains personnages secondaires. Nous les avons rencontrés sur la route, avec leurs histoires incroyables en bandoulière. »

Ludique, le film pose la Belgique et l’Europe en joyeux bordels mais vante surtout avec beaucoup de joie et de tendresse, sans cynisme, la beauté de leur diversité. « Oui, on voulait montrer la complexité des Balkans, par exemple, mais sans non plus sombrer dans la tragédie. Tout devait être crédible. Suffisamment absurde pour devenir comique. Mais on préfère tout de même parler du film comme d’un drame, un road-movie dramatique. »

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Un travail d’improvisation réalisé avec les acteurs en amont du tournage a nourri les dialogues du film, mis en boîte en 21 jours en suivant respectueusement la chronologie de son récit. Si, à l’arrivée, l’objet est parfois un peu bancal (le mockumentaire est monté et intègre beaucoup de musique extra-diégétique mais inclut en même temps tous les « ratés » du film dans le film…), il est aussi diablement attachant, en dépit d’un humour géopolitique d’un goût souvent un peu douteux. Un Groland à la belge, en somme, la folie et la causticité crasse en moins, la bienveillance et l’optimisme en plus.

Quant à Jessica Woodworth, gonflée à bloc, elle prépare déjà la suite avec son comparse, une « satire très pointue sur l’extrême droite« , et se réjouit de l’écho positif que rencontre King of the Belgians à l’étranger. « Le film a déjà été acheté par 25 pays. Mais pas par la Belgique, donc nous devons le distribuer nous-mêmes ici… » Vous avez dit absurde?

(1) FAUX DOCUMENTAIRE OU « DOCUMENTEUR », SOIT UNE FICTION PRENANT L’APPARENCE D’UN DOCUMENTAIRE.

KING OF THE BELGIANS. DE JESSICA WOODWORTH ET PETER BROSENS. AVEC PETER VAN DEN BEGIN, BRUNO GEORIS, LUCIE DEBAY. 1 H 34. SORTIE: 30/11. ***

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