Critique

Path Out, réfugiés de pixels

Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Suivant l’exil d’un ado syrien, Path Out pille les classiques du jeu de rôle nippon pour vivre la guerre à travers les yeux d’un gamer. Un témoignage fort.

N’en déplaise à Antoine de Caunes, se filmer face caméra sur YouTube lorsqu’on joue sur PC ou console enrichit la culture du jeu vidéo. Peur, frustration, doute, épiphanie… De Super Mario Odyssey au dernier Wolfenstein, ces performances presque théâtrales mettent au grand jour l’inévitable monologue que tout gamer construit au fil de sa progression. Abdullah Karam s’inspire avec talent de ce phénomène baptisé Let’s Play. Le développeur brise ainsi le quatrième mur pour interpeller le joueur au beau milieu de Path Out. Soit un J-RPG(1) singulier à plus d’un titre qui suit son exil de Syrie en 2014.

Adolescent, Karam ne se préoccupait guère de politique. Seules les coupures d’électricité que Bachar el-Assad imposait à son pays suscitaient en lui de la rancoeur. Construit comme un Dragon Quest ou un Final Fantasy période 16 bits, Path Out s’ouvre donc sur une extinction des feux. Le développeur syrien -qui y joue son propre rôle- rage de ne pas avoir pu sauvegarder sa progression sur Xbox avant de plonger dans le noir. Vue à travers les yeux d’un joueur, la guerre civile syrienne prend une autre dimension. Le gamer se sent concerné. Et plus tard, littéralement interpellé.

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Chemins de traverse

Hasard du calendrier, deux jeux d’auteur suivant les pas de réfugiés sont apparus récemment sous les feux des projecteurs. Optant pour une aventure de survie en noir et blanc, The Man Came Around (lire notre interview de son créateur) réussissait son Kickstarter il y a peu. Le jeu belge de Pipette se présente comme une fiction. Enterre-moi mon amour pixelise par contre une histoire vraie. Soutenu par Arte et le Centre National du Cinéma (CNC) en France, ce titre déroule, sur une fausse messagerie de smartphone, les doutes et les affres d’un couple syrien séparé. Path Out suit lui aussi la voix de l’autobiographie.

Fuyant une armée syrienne qui l’obligerait à tirer sur des connaissances, Karam brosse son exil sur le premier chapitre. Grosse surprise. S’attarder près de certains éléments du décor active une vidéo en pop-up qui se superpose sur les décors du jeu. Le programmeur y explique par exemple les tromperies des passeurs près de la frontière turque. Entrecoupé d’interventions plus souriantes où Karam déconstruit non sans humour des clichés sur la Syrie, le jeu emprunte les mêmes tours de passe-passe narratifs que les RPG japonais. Via de brefs dialogues avec ses habitants, la situation tragique du pays se dessine ainsi progressivement.

Cette approche rétro à même de toucher les gamers plus âgés tend des ressorts ludiques malheureusement dépouillés. Oubliés les combats au tour par tour et la gestion des compétences du héros. Seule une poignée de petites énigmes ralentit la progression. Path Out se profile donc comme une balade (tragique) où l’on cherche parfois des objets, comme un tuyau et un entonnoir pour siphonner de l’essence. Un parcours proche de l’absurde, à l’image de la situation de Karam. Le kid a en effet toujours voulu travailler dans le jeu vidéo, chose impossible s’il n’avait pas fui la Syrie.

(1) Jeux de rôle « à la japonaise » nés dans les années 80, dont les représentants les plus populaires sont Dragon Quest et Final Fantasy.

Path Out , édité et développé par Causa Creations, âge: NC, disponible sur PC et Mac via www.causacreations.net ***(*)

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