Festival Anima: Cryptozoo, l’ovni animé de Dash Shaw, dézingue l’Amérique contemporaine

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Du 25 février au 6 mars, le festival Anima prend ses quartiers à Flagey, à Bruxelles, et en ligne, mais aussi un peu partout en Belgique via des décentralisations. N’y manquez pas Cryptozoo, le nouvel ovni de Dash Shaw.

Véritable petit prodige de la bande dessinée indépendante américaine, le Californien Dash Shaw fait partie de ces auteurs capables de dynamiter tous les codes narratifs et formels de son art pour se lancer dans d’incroyables délires introspectifs bourrés jusqu’à la gueule d’inventions graphiques aux puissants effets hallucinogènes. On lui doit ainsi une série de perles génialement malades dont la principale obsession semble consister à venir vicieusement grattouiller l’inconscient: Bottomless Belly Button, BodyWorld, New School… En 2016, Shaw se lance dans le cinéma d’animation avec un premier effort, My Entire High School Sinking into the Sea, qui orchestre un anarchique carambolage des genres entre la comédie adolescente et le film catastrophe. Il ne sacrifie rien aujourd’hui de ses obsessions cosmiques et droguées dans un nouveau long métrage animé où les utopies de la contre-culture sixties dépendent de la protection et de la survie de créatures chimériques: Cryptozoo.

Joint par Zoom, le cinéaste raconte: « Ce film est né de la combinaison de plusieurs influences et de plusieurs envies. Mais le véritable point de départ, c’est ma découverte d’un vieux court d’animation inachevé de Winsor McCay, qui s’appelle The Centaurs et qui date de 1921. Il est visible sur YouTube (ci-dessous). McCay, bien sûr, est le créateur de Little Nemo, oeuvre de bande dessinée fondatrice, mais il est aussi connu pour son film Gertie le dinosaure . J’admire beaucoup son travail, et le fait qu’il ait eu recours au dessin pour créer des êtres imaginaires et qu’il ait en outre laissé ce projet inachevé m’a beaucoup inspiré. J’ai eu en quelque sorte envie de prolonger son geste à un siècle de distance. »

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Une symphonie de couleurs

Primé à la Berlinale l’an dernier et retenu cette année au sein de la très belle programmation du festival Anima (lire notre encadré), Cryptozoo a été réalisé par Shaw en étroite collaboration avec son épouse, l’animatrice et productrice Jane Samborski. Tous deux partagent cette conception amoureuse du dessin comme prolongement privilégié de l’imaginaire. Les créatures mythologiques s’y déploient ainsi dans un univers de rêves mais l’enfer du monde militarisé contemporain n’est jamais bien loin. À tel point que le film, scénarisé il y a de cela plusieurs années déjà, annonce sans le vouloir l’un des épisodes les plus dingues de l’Histoire récente des États-Unis: l’assaut du Capitole par des émeutiers illuminés. « C’est quelque chose d’assez fou… Il faut savoir que nous avons commencé à écrire le film quand Obama était encore au pouvoir. Jamais, à cette époque, nous n’aurions pu imaginer que ce délire que nous avions brièvement imaginé pour le film pourrait devenir une réalité. Quand j’ai découvert les images bien réelles de l’attaque du Capitole à quelques jours seulement de la présentation de Cryptozoo au festival de Sundance, j’étais bien entendu, comme tout le monde, absolument horrifié. Et d’un autre côté, je ne peux pas m’empêcher de penser que ça ne rend le film que plus troublant encore. Nous l’avons vraiment conçu comme une fable très sombre explorant les limites d’un certain idéalisme. Et en un sens, la concrétisation de cette idée imaginaire dans le monde réel ne fait que renforcer son propos. Davantage pour le pire que pour le meilleur, il va sans dire… »

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Parfois très sombre et désenchanté sur le fond, le film, qui oscille constamment entre féerie camée et cauchemar anxiogène, est visuellement construit à la manière d’un fascinant kaléidoscope d’images composites amenées à exploser dans une véritable symphonie de couleurs psychés. Comme dans certaines de ses bandes dessinées, Shaw utilise en effet ici la couleur comme un élément narratif à part entière de son univers. « J’ai grandi en tant qu’adolescent dans les années 90, époque où la plupart des comics alternatifs étaient en noir et blanc. Et puis la couleur s’est peu à peu répandue. Elle était le plus souvent destinée à amener davantage de réalisme dans l’univers des comics indépendants. Il m’a toujours semblé que la couleur envisagée comme un moyen d’expression à part entière, porteuse d’une signification en soi, restait un territoire largement inexploré. C’est dans cet esprit que j’ai commencé à l’intégrer dans certaines de mes bandes dessinées, puis aujourd’hui dans mes films. Clairement, c’est aussi une réaction à l’usage très sage, au spectre très limité de couleurs qui a cours dans le cinéma traditionnel, y compris en animation. Face à mes films, je n’ai aucune envie qu’on oublie qu’il s’agit d’un univers dessiné. Au contraire, je tiens à revendiquer cette identité animée, et ça passe ainsi notamment par une explosion de couleurs absolument et viscéralement non-réalistes. »

Cryptozoo. De Dash Shaw. 1h26. À partir de 16 ans. Le 03/03 à 22 h et le 05/03 à 19h30 à Flagey. ****

Festin animé

Flee
Flee

Le Festival International du Film d’Animation de Bruxelles est de retour pour une édition hybride (en présentiel mais aussi en ligne, donc) dont on attend beaucoup. Au programme: des courts et des longs métrages bien sûr, du plaisir pour les kids, un focus sur la Tchéquie, une sélection de films qui célèbrent les amours queer, une nuit animée et bien d’autres surprises… Au-delà des inévitables reprises (Belle, Où est Anne Frank!, Même les souris vont au paradis…), la sélection de longs métrages est particulièrement riche en appétissants inédits: l’adaptation du manga à succès Le Sommet des dieux par Patrick Imbert, le très attendu Flee du Danois Jonas Poher Rasmussen, The Island d’Anca Damian, La Traversée de Florence Miailhe… Soit quelques-unes des nombreuses et belles promesses au menu de ces réjouissances animées.

  • Festival Anima, du 25/02 au 06/03 à Flagey et au Palace, Bruxelles, mais aussi à Liège, Namur, Mons, Charleroi… Ainsi que sur la plateforme Anima Online: online.animafestival.be

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