[Critique théâtre] Un grand paquet de vie, sauce albanaise

© Marie-Aurore d'Awans
Nicolas Naizy Journaliste

Plantez une patate dans la terre, il en sortira une nouvelle récolte. Un peu de la même façon, Zenel Laci est passé de frituriste à auteur. Il nous raconte sa vie assaisonnée d’immigration albanaise et d’amour de la littérature.

Zenel Laci a dirigé pendant de nombreuses années Fritland. La friterie bien connue des abords de la Bourse est toujours aux mains de sa famille d’origine albanaise. Lui a préféré se retirer du comptoir pour assouvir son premier désir, celui d’écrire. Dès ses 12 ans, il a su que son avenir ne se lisait pas dans un bain de friture mais bien dans les pages de Jules Verne, d’Arthur Rimbaud et de Victor Hugo, qu’il dévorait dans le grenier de sa maison tout en faisant l’école buissonnière. Découvert par son père, il rejoindra à 14 ans la friterie pour y débuter une longue carrière, en bas de l’échelle, c’est-à-dire à l’épluchage de patates.

Et c’est dans cette situation qu’on le retrouve sur la scène du Poche, à côté d’un énorme tas de pommes de terre dont il commence le déshabillage à l’économe (sans oublier d’enlever les yeux « parce que c’est cancérigène »), sous les ordres de son metteur en scène Denis Laujol. Au rythme de l’épluchage, le comédien improvisé nous raconte sa vie et celle des siens, depuis leur fuite de la dictature communiste d’Enver Hoxha dans les années 50 à l’arrivée en Belgique quelque dix ans plus tard. Naissance à Soignies, enfance à Rebecq, avant de débarquer à Bruxelles. Retraçant cette histoire d’immigration mais aussi d’intégration, Zenel Laci évoque avec humour et un incroyable recul les moeurs très particulières -pour ne pas dire explosives- de la communauté albanaise, l’inépuisable envie de survie d’un patriarche qui a vu mourir de froid sa mère et ses frères lors de l’exil, une jeunesse passée à trimer dans le snack familial servant fricadelles et poulycrocs, quand d’autres sortent et s’amusent, les difficiles retrouvailles avec l’Albanie de ses parents, sans oublier la vie nocturne bruxelloise faite de personnages parfois aussi épicés qu’une sauce samouraï. De sa fenêtre de service, Zenel a vu défiler tout un monde en couleurs et nuances de gris, l’ambiance festive n’étant pas toujours au rendez-vous.

[Critique théâtre] Un grand paquet de vie, sauce albanaise
© Marie-Aurore d’Awans

Fritland se déguste avec gourmandise (on en redemande même) même si les quelques interactions avec Denis Laujol viennent parfois enrouer la machine. Des premiers pas sur une scène professionnelle de Zenel Laci, encore fragiles au début mais qui devraient gagner en assurance, on retient une émotion, un appétit de la vie. Une histoire de renaissance par la littérature et une réconciliation posthume avec un paternel qui avait pour ultime rêve d’intégration celui de devenir le roi de la frite. Un sacre confirmé « par Test-Achats ». On laissera les consommateurs décider, notamment à l’issue du spectacle, où notre comédien partage avec nous son savoir-faire et d’autres histoires croustillantes.

Fritland de Zenel Laci, mise en scène de Denis Laujol. Jusqu’au 18 mai et du 8 au 20 juin (prolongations) au Théâtre de Poche (Bruxelles). www.poche.be

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