Critique

[à la télé ce soir] Exterminez toutes ces brutes

© Adoc Photos
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Dans quelle mesure peut-on réduire ce qui a eu lieu à ce qu’on dit avoir eu lieu? Poser la question, c’est déjà y répondre. Mais Raoul Peck se charge de bien nous le faire comprendre.

« Tout récit historique est un faisceau particulier de silence, explicite le réalisateur haïtien à qui l’on devait déjà l’indispensable Je ne suis pas votre nègre consacré à la pensée de James Baldwin. C’est un exercice de pouvoir qui rend certains récits possibles. » Avec Exterminez toutes ces brutes, série documentaire en quatre épisodes d’une petite heure tous diffusés ce mardi soir, Peck déconstruit le récit dominant imposé par le vainqueur et remonte aux sources du suprémacisme blanc.

« Ce ne sont pas les informations qui nous manquent, comme le remarque son ami l’écrivain Sven Lindqvist. Ce qui manque, c’est le courage de comprendre ce que nous savons et d’en tirer les conclusions. » Peck explique comment une simple pigmentation de la peau s’est transformée en source de pouvoir. En signe de supériorité, en permission d’abuser, en justification d’immunité perpétuelle. Postulant que trois mots (civilisation, colonisation et extermination) résument à eux seuls toute l’Histoire de l’humanité, il mène le procès du monde occidental bâti sur un chemin de cupidité et de destruction. Dans La Troublante Conviction de l’ignorance, première partie de ce travail titanesque mêlant images d’archives, extraits de films et scènes reconstituées emmenées par l’acteur Josh Hartnett, Peck évoque le combat des Indiens d’Amérique et la résistance aryenne blanche en Suède (« un des pays les plus tolérants d’Europe où pourtant la haine monte de nouveau« ). Il réfute l’idée que les Allemands soient les seuls responsables de l’idée d’extermination (elle est le fruit pourri d’un héritage européen commun) et ne loupe pas la Belgique, pointant les monuments de Bruxelles payés en mains coupées. « L’aventure congolaise a été du pillage pur et simple avec Léopold II en tant que grand ordonnateur. Pillage des corps. Pillage des ressources. Tout un continent détroussé. Un casse à plusieurs milliards de dollars. »

Dans les autres volets, il réexamine l’histoire de Christophe Colomb, décortique la doctrine de la découverte et analyse le rôle de la révolution haïtienne dans l’effondrement complet du système esclavagiste et la libération de l’Amérique latine. Il montre comment l’industrie de l’acier a permis à l’Europe des guerres de plus en plus lointaines et comment les USA sont devenus les gendarmes du monde. À ne pas rater!

Série documentaire de Raoul Peck. ****(*)

Mardi 01/02, 20h50, Arte.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content