Jesse Eisenberg: « J’étais assez scié de voir l’ambition et les moyens déployés pour Fleishman Is in Trouble »

Jesse Eisenberg dans Fleishman Is in Trouble: chronique d'une disparition. © National
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Jesse Eisenberg est tout simplement parfait en divorcé névrosé amené à reconstituer le puzzle de sa vie en pagaille dans Fleishman Is in Trouble, assurément l’une des grandes séries de ce début d’année.

Depuis désormais plus de 20 ans, il est incontestablement l’un des acteurs majeurs du paysage audiovisuel américain. Révélé à la télévision dès l’adolescence, à la fin des années 90, aux côtés d’Anne Hathaway dans la série familiale Get Real, Jesse Eisenberg n’a, en effet, depuis jamais cessé de tourner: irrésistible au cinéma dans The Squid and the Whale de Noah Baumbach (2005), Adventureland de Greg Mottola avec Kristen Stewart (2009) ou encore dans le jouissivement tranchant Zombieland de Ruben Fleischer (2009), il casse littéralement la baraque dans la peau de Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook campé en inadapté social au vertigineux débit frénétique, dans The Social Network de David Fincher (2010), film-tournant qui achève de l’imposer en figure incontournable du grand écran. Acteur-caméléon aussi à l’aise dans les grosses productions hollywoodiennes (la franchise Now You See Me, ses incarnations du super-vilain Lex Luthor dans Batman v Superman et Justice League…) que les petits films indépendants (The Double de Richard Ayoade, Night Moves de Kelly Reichardt…), il s’est récemment lui-même essayé à la réalisation avec When You Finish Saving the World, premier long métrage intelligent et sensible présenté à la Semaine de la Critique cannoise l’an dernier.

Né au sein d’une famille de confession juive new-yorkaise aux origines polonaises et ukrainiennes, Eisenberg, génie précoce monté sur les planches dès l’âge de 7 ans, souffre depuis l’enfance de sévères troubles anxieux, disposition pathologique qui percole indéniablement jusque dans son travail et ses rôles, vaste éventail d’hommes intranquilles rongés par le doute et les questionnements. Preuve encore aujourd’hui dans Fleishman Is in Trouble (retrouvez la critique ici), remarquable minisérie atterrissant sur Disney+ dans laquelle il joue avec brio un homme en crise, à la judéité angoissée, qui rappelle immanquablement certains personnages de certains films de Woody Allen (chez qui il a d’ailleurs déjà tourné deux fois). Et, mieux, certains personnages de certains livres de Philip Roth, voire même de Saul Bellow.

Rencontré à Deauville, en septembre dernier, où le Festival du Cinéma Américain lui remettait un prestigieux Talent Award, l’acteur se montre en interview aussi névrosé que drôlissime, mitraillant littéralement son interlocuteur de rafales de phrases à l’ironie pince-sans-rire boostée par son élocution speedée à la Rain Man. Mais sous l’inconfort inquiet maquillé en complicité facétieuse, c’est aussi un homme parfois désarmant de fragilité et de franchise qui se dévoile et qui s’exprime. Morceaux choisis.

Qu’est-ce que ça vous fait de recevoir une récompense pour l’ensemble de votre carrière à pas même 40 ans?

J’ai d’abord eu un peu peur qu’ils me pensent mourant. J’ai l’air jeune, c’est vrai, je n’arrive toujours pas vraiment à me laisser pousser une barbe un tant soit peu convaincante, mais le fait est que je vieillis comme tout le monde. De là à revoir mes films les plus marquants et me remettre un prix… C’est quelque chose qu’on fait pour les personnes qui sont malades, non? Je suis honoré, bien sûr, mais ça me rend aussi un peu parano.

Comment s’est passé le tournage de Fleishman Is in Trouble?

Hyper bien. C’était comme le très long tournage d’un film. Vous savez, c’est très étrange. Aujourd’hui, aux États-Unis, on produit de moins en moins de petits films indépendants new-yorkais à 5 millions de dollars comme on en voyait beaucoup dans les années 90, par exemple. Mais on met de plus en plus d’argent dans des séries au cachet indépendant. Ce qui fait que les acteurs qu’on avait l’habitude de beaucoup voir dans le cinéma indé migrent aussi massivement vers les séries. J’étais assez scié de voir l’ambition et les moyens déployés pour Fleishman Is in Trouble. Le streaming et les grosses plateformes ont vraiment changé la donne. C’est très excitant, mais c’est aussi un peu inquiétant pour l’avenir d’un certain cinéma.

Finn Wolfhard et Julianne Moore dans When You Finish Saving the World, premier long métrage réalisé par Eisenberg.
Finn Wolfhard et Julianne Moore dans When You Finish Saving the World, premier long métrage réalisé par Eisenberg. © National

Récemment, vous avez vous-même réalisé un premier long métrage au cachet très indépendant, When You Finish Saving the World, avec Julianne Moore et Finn Wolfhard, de la série Stranger Things

Oui, à l’origine, ce film était un drame audio à trois personnages que j’ai écrit et en partie interprété. On y suivait l’histoire d’un homme éprouvant des difficultés à connecter émotionnellement avec son nouveau-né, Ziggy. Puis le bébé quinze ans plus tard, en l’an 2032, devenu un ado qui joue de la musique en ligne et dont la mère dirige un foyer pour les victimes de violences domestiques. Enfin, on y suivait, dans une troisième section, la mère de Ziggy dans le passé, en 2003, à l’âge de 18 ans, au moment où elle commence à travailler dans ce foyer. Quand j’ai eu fini ce drame audio, j’ai pensé qu’il serait intéressant de voir la mère en tant qu’adulte dans un film. Avec cette dynamique particulière qui veut qu’elle a consacré toute son existence à l’activisme mais qu’en même temps, elle a élevé un gosse pourri gâté de 15 ans avec lequel elle peine à connecter. Mais parce que j’ai écrit l’histoire depuis le point de vue de cet ado, je sais qu’il n’est pas juste pourri gâté et superficiel, en fait il est désespéré de créer du lien avec les autres. When You Finish Saving the World raconte comment cette femme qui est littéralement une sainte, dans les bras de laquelle des gens viennent pleurer en lui disant qu’elle a sauvé leur vie, se comporte chez elle, avec sa famille, avec son fils qui a des milliers de fans sur Internet et qui pourtant souffre désespérément d’un manque d’amour.

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Vous-même, en tant qu’adolescent, étiez-vous plutôt du genre activiste ou superficiel?

Superficiel et pourri gâté, définitivement. Je passais mon temps à écrire des blagues et des choses stupides. Ma femme, par contre, que j’ai rencontrée à la sortie de l’adolescence, était déjà une activiste très politisée. Elle a grandi en allant à des manifs et en s’impliquant dans des comités de défense. Peu après l’avoir rencontrée, je lui ai fait lire un scénario que j’avais écrit, avec plein de blagues dont j’étais très fier, et elle me l’a rendu avec la moitié des pages remplies de notes disant que c’était vulgaire, offensant et horrible, et qu’elle espérait que je n’enverrais jamais ce scénario à personne. C’était il y a 20 ans et ça a complètement changé toute ma conception artistique. Grâce à elle, j’ai compris qu’il pouvait être important de traiter de problématiques sensibles à travers l’art, via des personnages animés par de vraies opinions sociales et politiques. Donc oui, j’étais vraiment un ado pourri gâté et superficiel et puis, Dieu merci, j’ai rencontré ma femme.

Pensez-vous que l’art doit forcément toujours être engagé?

Pas forcément. Prenez les paroles d’une bonne chanson pop. En un sens, elles se doivent d’être superficielles, parce que, bon sang, c’est de la pop, après tout. Et la pop est importante, c’est chouette, relaxant, ça connecte des gens entre eux. Donc je pense que la pop a de la valeur. C’est juste que, dans mon esprit constamment bouffé par l’anxiété, je lutte en permanence pour bien me rappeler les raisons qui font que l’art, malgré tout, a aussi son importance. Vous savez, je passe mon temps à jouer sur des plateaux de cinéma la journée, et puis je rentre à la maison le soir et je retrouve ma femme qui, elle, a accompli des choses vraiment importantes. Elle enseigne aujourd’hui des programmes de justice pour les personnes handicapées. Mon meilleur ami, lui, travaille avec des étudiants incarcérés à New York. Donc quand je rentre chez moi le soir, je suis littéralement entouré d’activistes et je ne peux pas m’empêcher de me questionner sur la valeur de ce que je fais. Quand on marche dans la rue, il arrive que des gens nous arrêtent pour prendre des photos avec moi, pas avec ma femme, mais ma femme a sauvé la vie de nombreux jeunes gens à New York. C’est quand même très étrange, quand on y pense…

Comment vivez-vous votre célébrité?

Disons que ça renforce parfois ma paranoïa. En ce moment, par exemple, j’ai constamment peur que les réponses que je vous donne sonnent comme si j’étais juste une espèce de trou du cul arrogant. Et je vais probablement penser à ça pour le reste de la journée. Mais, d’un autre côté, la célébrité est formidable. Elle me permet de côtoyer des gens hyper talentueux qui s’intéressent à mon travail. Si je n’étais pas connu, jamais quelqu’un comme Julianne Moore ne s’intéresserait à l’un de mes scénarios, par exemple. Aussi, personne ne s’intéresse à ma vie privée. Je ne suis pas ce genre de célébrité. Pour avoir pas mal côtoyé quelqu’un comme Kristen Stewart, par exemple, je peux vous dire que des gens la traquent en permanence. Elle peut parfois avoir un hélicoptère au-dessus de la tête qui guette ses moindres faits et gestes. C’est complètement affolant. Dieu merci, personne ne songerait à affréter un hélicoptère juste pour me suivre moi, ce serait beaucoup trop cher pour pas grand-chose.

Eisenberg en Mark Zuckerberg dans The Social Network de David Fincher (2010).
Eisenberg en Mark Zuckerberg dans The Social Network de David Fincher (2010). © National

Est-ce que jouer a quelque chose de thérapeutique pour vous?

Oui, mais la thérapie ne fonctionne pas toujours très bien (sourire). Enfant, j’étais constamment submergé par mes émotions. Je pleurais tous les jours et j’ai fini par être admis dans un institut psychiatrique. En découvrant le jeu et l’écriture, j’ai aussi trouvé une façon d’exprimer mes émotions qui soit sécurisante pour moi. À l’école, j’étais entouré de mecs costauds qui se moquaient de moi parce que je passais mon temps à sangloter. Mais aujourd’hui, sur un plateau de cinéma, je suis entouré de mecs costauds qui m’applaudissent quand je fonds en larmes. C’est vraiment très bizarre. À tel point que, parfois, je me demande si c’est thérapeutique pour moi ou si c’est juste une manière de perpétuer une très toxique instabilité émotionnelle. Ça doit forcément être l’un ou l’autre, mais j’ai parfois du mal à trancher (sourire).

Quel souvenir gardez-vous de vos tournages avec Woody Allen?

J’ai beaucoup aimé tourner avec lui parce qu’il a une façon très inhabituelle de travailler. Il essaie toujours de faire chaque scène en une seule prise, avec une caméra très mobile, pour garder le moment le plus vivant possible. Et ça, c’est vraiment le pied pour les acteurs, parce que ça leur permet de s’exprimer sur une certaine durée.

Vous allez prochainement réaliser votre deuxième long métrage, A Real Pain, à Varsovie, mais vous allez également jouer un Bigfoot dans le prochain film des frères Zellner, c’est juste?

Oui, c’est le scénario le plus fou qu’il m’a été donné de lire ces derniers temps. Les frères Zellner ont imaginé l’histoire d’une famille de sasquatchs en pleine migration. Je trouve ça incroyable que ce film ait fini par trouver un financement parce que ça ne ressemble à rien de connu. On y suit juste trois sasquatchs sauvages dans leur quotidien. Ce qui veut dire qu’ils n’échangent pas à travers des mots. Voilà donc un film, chose également assez incroyable, dans lequel je ne parle pas. J’ai décidé de donner un peu de repos à ma mâchoire. Mon orthodontiste est ravi.

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