Reprendre Béjart: un répertoire toujours bien vivant

Wien, Wien, nur du allein, crée en 1982 et toujours sur nos scènes. © Jean-Guy Python

Le paysage de la danse est traversé de figures tutélaires. Béjart en fait partie. Le Ballet Béjart Lausanne, qui perpétue le répertoire du maître, arrive à Bruxelles avec Wien Wien nur du allein, créé en 1982. Mais pourquoi, et comment, reprend-on un répertoire?

Retour en mai dernier. Nous assistions, au Stadsschouwburg d’Anvers, à un spectacle en deux parties du Béjart Ballet Lausanne. Avant l’entracte, Tous les hommes presque toujours s’imaginent, chorégraphié par Gil Roman -jusqu’en ce mois de février directeur artistique du BBL, fonction reprise par Julien Favreau depuis. Ensuite, Béjart fête Maurice, kaléidoscope de plusieurs pièces courtes de Béjart lui-même, le Boléro en apothéose. Dans la première partie, il nous est donné à voir une émanation de l’univers béjartien, évocation modernisée de son esthétique. Mais les corps nous semblent d’un autre temps, rapports hommes-femmes anciennement genrés et classique tiré au mièvre. Gil Roman est, nous dit-on, excellent danseur -il était de la troupe de Béjart-, terrible répétiteur, et porte en lui l’univers de Maurice. Mais pour la chorégraphie, on reste perplexe. La seconde partie de ce spectacle sentira-t-elle la naphtaline? Et là, magie de la renaissance des plus grands, il n’en est rien. Béjart reste Béjart, dans sa fougue, son irrévérence, sa révolution, ses rituels, sa force, et la puissance d’un art qui semble transcender le temps, porté par des interprètes de haut vol, aux corps légitimes.

Reprendre

Mais alors, à quoi tient la reprise de répertoire? Peut-être pour comprendre faut-il d’abord s’interroger sur ce qui fait la pérennité d’un créateur. “Un répertoire est ce qui a marqué un temps, une époque, explique à ce propos Lara Barsacq. La danseuse et chorégraphe sait de quoi elle parle: petite-fille d’une danseuse des Ballets Russes, elle travaille depuis un temps sur le répertoire, s’en emparant, le malaxant, et en tirant ce qui parle le plus au public d’aujourd’hui. Souvent, cela passe par les corps de ses interprètes, qui racontent ce que les interprètes d’hier n’ont pas nécessairement pu dire. Comme dans La Grande Nymphe, sa réinterprétation féministe de l’Après-Midi d’un faune (à voir aux Brigittines du 14 au 16 mars dans le cadre du festival In Movement). “Ce que j’ai découvert en fouillant dans les archives de la danse, c’est que la transmission était profondément subjective. Elle appartient aux historiens de l’art, aux critiques et aux créateurs qui décident ou non de donner à leur répertoire une perpétuation.

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Béjart, de son côté, a veillé à ce que l’on ne se souvienne que des ballets dont il était fier, comme il s’en explique dans l’ouvrage Maurice Béjart, une vie (de Michel Robert, édition Luc Pire), “sans fausse modestie, je pense avoir fait plus de ballets ratés que de ballets réussis. J’ai eu soin de les retirer de la circulation tout comme ceux qui ont vieilli! Si vous voyiez le nombre de ballets que j’ai créés et le nombre de ballets que je présente à l’heure actuelle, il y a eu un véritable élagage.” Mais ça, c’était avant sa mort. Un moment où Béjart n’avait plus la cote médiatique. Qui a flambé, suite à sa disparition. “Ses ballets sont aujourd’hui remontés par diverses compagnies, partout dans le monde, avance Michel Robert, directeur de la Maison Béjart à Bruxelles. Par le ballet de Tokyo, en Australie, à Paris, en Italie et même en Chine. Béjart est un classique, il appartient à l’Histoire. Il a insufflé à la danse un caractère nouvellement philosophique, religieux et rituel.

Forces et faiblesses

Car oui, Béjart a impulsé une nouveauté à la scène dansée. Il a fait de ses faiblesses -sa petite taille, notamment- des forces. Il a imposé une danse de puissance, de corps, de sensible. Il a amené ses danseurs a créer une ambiance unique sur le plateau, ambiance qui se transmet au public. Tout, dans ses danses, a du sens. Il ne faut pas bouger pour prendre la lumière, mais bouger pour raconter. Le matériau chorégraphique de Béjart est unique parce qu’il s’appuie sur le classique, appris très tôt, puis qu’il ouvre à la théâtralité, dont il était féru.

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Aujourd’hui, le Ballet Béjart Lausanne continue de perpétuer l’œuvre de Maurice, passant notamment à Bruxelles prochainement avec Wien, Wien, nur du allein (du 21 au 24/03 au Cirque Royal, Bruxelles). Dans une certaine tourmente: Gil Roman a été remercié, après un “comportement inapproprié et intolérable”, et c’est aujourd’hui Julien Favreau qui dirige la compagnie. Sans velléité de chorégraphe, en tant que “transmissionnaire”. “Ma mission, c’est de transmettre l’œuvre, le patrimoine, dit-il. En me basant sur les mots, les intentions physiques et philosophiques de Maurice. Je ne suis pas seul, mais aidé par une équipe artistique, d’anciens danseurs. Si il y a quelque chose qui coince, on va demander à ceux présents à la création. Je veux mettre en lumière des ballets oubliés, mais que les danseurs ont envie de danser, et le public, de voir. De mettre aussi en évidence les danseurs, en les faisant danser des créations de chorégraphes invités. Et je dois faire tout ça dans des contraintes logistiques, économiques, techniques.” Une improvisation toute béjartienne. Car comme disait le maître: “pour une bonne improvisation, il ne faut pas aller partout, il faut un cadre.” Alors, cadrons, maintenant.

Un autre point de vue…

Le chorégraphe Boris Charmatz a repris la direction du Tanztheater Wuppertal, créé par Pina Bausch. “L’œuvre de Pina est immense, explique-t-il. On pense souvent au miracle des créations de Nelken, Viktor, Café Müller… Mais il y a aussi un autre miracle sensible: la continuation de son œuvre après sa mort. C’est la vitalité du Tanztheater Wuppertal qui continue à interpréter les spectacles, accueillir des danseurs nouveaux et différents, convoquer les fantômes avec respect et beauté. J’ai été appelé à Wuppertal principalement pour créer, inventer… générer des courants d’air nécessaires! Il n’y a aucune opposition entre passé, présent et futur: mon travail s’inscrit dans le temps. Notre première saison commune dessine ces grandes lignes: création de Liberté cathédrale, reprise de deux de mes pièces anciennes, reprise de Nelken et Viktor, travail de Café Müller à l’infini, comme si la pièce ne s’arrêtait jamais… Je crois qu’expérimenter avec moi peut vivifier l’approche du répertoire de Pina, et inversement: je travaille avec des interprètes qui ont tout donné pour vivre et danser à Wuppertal, leur art infuse désormais notre travail commun… On dit que la danse est un art éphémère. C’est en partie vrai, mais parfois certains gestes ne passent pas! Et c’est en les creusant qu’on avance.

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