Clap de fin pour le Festival d’Avignon: les spectacles à retenir

A Noiva e o Boa Noite Cinderela - © Christophe Raynaud de Lage © Christophe Raynaud de Lage

Le festival d’Avignon « In » se termine ce 25 juillet, une édition marquée par les mots et les corps. Riche en pépites belges, le Off se poursuit jusqu’au 29.

Même s’il est désormais un immense supermarché du spectacle vivant, événement qu’on peut par certains endroits qualifier de mondain, le Festival d’Avignon est, dans ses fondements historiques, « un événement engagé de théâtre populaire, pensé par Vilar et Char », nous confie le nouveau directeur, le Portugais Tiago Rodrigues, quand nous le rencontrons dans le cloître Saint-Louis, chic épicentre du In. « Il y avait en 1947 un idéal, une liberté politique, l’idée de décentralisation. Un geste sorti du mouvement de la Résistance. Aujourd’hui, on ne peut parler d’utopie d’un théâtre populaire. Mais on reste centré sur les nouveaux publics. Leurs études montrent que 15% viennent pour la première fois, qu’un tiers a moins de 30 ans et que tous les âges sont représentés. » Et Rodrigues aussi d’insister sur l’importance d’ »être là où personne ne (nous) attend ».

Ce « là » était peut-être A Noiva e o Noa Noite Cinderela, notre coup de cœur de cette édition. Un spectacle à la lisière de la performance et du spectacle vivant, de l’insupportable aussi, qui interroge la violence faite aux femmes. La toile de fond en est le parcours de Pippa Bacca, performeuse italienne, violée et tuée alors qu’elle voyageait avec sa copine, en stop et robes de mariée de Milan à Jérusalem via les pays en conflit (ex-Yougoslavie, Slovénie, Syrie). Sur scène, la metteuse en scène brésilienne Carolina Bianchi -qui fut violée elle aussi- nous lit d’abord des extraits de L’Enfer de Dante, retrace l’histoire des performeuses avant d’ingérer la drogue du viol (en réalité un mélange d’anxiolytiques) mélangée à de la vodka, perdant progressivement conscience. Son équipe prend alors son corps en charge avec une douceur qui contraste avec la violence du propos, dansé, diffusé et projeté sur écran, offrant aux spectateur·rices un voyage trash mais essentiel à travers cette même violence. Le spectacle sera à Bruxelles les 21 et 22 septembre au KVS

Le poids des mots

Tiago Rodrigues est attentif aux mots, lui le premier directeur non-francophone de l’histoire du festival. Dans sa pratique théâtrale, il « cherche activement à transformer sans toucher physiquement. Il y a quelque chose de souterrain, une envie de transformer physiquement (le spectateur) à travers l’invisible. » Une expérience qu’on pouvait ressentir dans son spectacle Dans la mesure de l’impossible, récits éclatés et documentés d’humanitaires en mission dans l’ »impossible ». Percutant. Tout aussi percutant, Baldwin and Buckley at Cambridge d’Elevator Repair Service reprend à l’identique le discours prononcé à Cambridge en 1965 par l’auteur James Baldwin invité à débattre avec le conservateur américain William F. Buckley Jr. Dans une mise en scène épurée (deux pupitres, et spectateurs en trifrontal autour d’un espace de scène réduit), deux comédiens aux accents anglophones savoureux (l’anglais est langue invitée du festival cette année, NDLR) retracent un échange rhétorique sur la question: « Le rêve américain n’existe-t-il qu’aux dépens du Noir Américain »? Brillant dans la forme et dans le fond. 

Baldwin and Buckley at Cambridge – © Christophe Raynaud de Lage

Des mots encore, dans la prestation contée, fantastique et mémorielle de notre compatriote Patrick Corillon, comme une recherche de sensations d’enfance liées aux objets et à l’abstrait. Portrait de l’artiste en ermite ornemental est d’une douceur sublime et essentielle. Là où Welfare, mise en scène de Julie Deliquet présentée en Cour d’Honneur, nous a déçue. Se basant sur le documentaire éponyme de Frederick Wiseman (1973), qui retrace les journées de décalés de la société au guichet d’un service social. Hélas le spectacle s’est avéré long et sans rebond, sans doute pour coller au mieux à sa source. Convenons tout de même que la scénographie, gymnase converti en guichet social de fortune, s’adaptait parfaitement aux contours impressionnants, et parfois étouffants, du palais des Papes. Autre déception: Écrire sa vie, de Pauline Bayle d’après l’œuvre de Virginia Woolf, en particulier Les Vagues. Un rassemblement d’amis, autour de la fête de retour d’un des leurs qui ne viendra jamais: il est mort. Ce banquet aux accents esthétiques -table au centre, nourriture à foison- s’avère sublime dans ses moments corporels évoquant les élans d’enfance et d’adolescence de ces amis, mais en emphase et trop verbeux dans ses (nombreux) passages parlés. 

Portrait de l’artiste en ermite ornemental – © Christophe Raynaud de Lage

Sans oublier la danse

Mais les corps ne sont pas oubliés: le festival proposant Exit Above, la dernière création très hip-hop d’Anne Teresa de Keersmaeker, fidèle néanmoins à sa géométrie. La chorégraphe belge reprenait, dans le même souffle, mais en silence, En attendant, sur le lieu de sa création en 2010, le cloître des Célestins « pour un festival où le spectateur rencontre la beauté« , nous souffle Tiago Rodrigues. Une beauté dansée présente aussi dans la création suisse de L’Œil Nu de Maud Blandel, avec ses corps spiralés évoluant poétiquement, les yeux dans les yeux, dans l’ancien cimetière de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, de l’autre côté du Rhône. Et le festival d’être destiné à se décentraliser plus que jamais, pour s’ouvrir à d’autres publics, volonté ancrée de son directeur. En témoignait cet été L’Addition, performance pensée par Tim Echells, proposée dans différentes villes et village en extra-muros.

L’Œil nu – © Christophe Raynaud de Lage

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Avignon s’est encore une fois est un festival riche, engagé, sensible, et parfois trash. Vivement l’année prochaine!

Accents belges dans le festival Off

Dans les plus de 1500 spectacles proposés dans le festival Off d’Avignon qui se poursuit jusqu’au 29 juillet, les proposition belges se sont montrées particulièrement engagées. Le féminin flamboyant et combatif était à l’honneur aux Doms, théâtre de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans la capitale théâtrale estivale. Les reprises des punchy Méduse·s (en tournée en Belgique dès le 5 octobre) du collectif La Gang, de l’incroyable et poignant Je crois que dehors c’est le printemps de Gaia Saita et Giorgio Barberio Corsetti ou encore de Dominique toute seule (spectacle jeune public de la compagnie Au détour du Cairn, en tournée également), délicat voyage solitaire et accompagné en forêt faisaient salle comble. Alors qu’aux heures matinales In English please divertissait les spectateurs dans le jardin des Garden Party du lieu. Au Théâtre Episcène, mené de main de maître par la généreuse et passionnée hervienne Jeanine Horrion, on a pu applaudir l’excellent seule en scène, documenté et non dénué d’humour, admirablement interprété par Geneviève Voisin, Les Variations silencieuses, spectacle sur l’intersexuation. Nous vous en reparlerons.

Citons ensuite le11, salle à deux pas de la gare, qui accueillait en matinée Iphigénie à Splott, reprise du spectacle du Théâtre de Poche bruxellois. La mise en scène de Georges Lini a fait sa salle comble et Le Monde a publié une critique élogieuse de sa comédienne Gwendoline Gauthier. Le soir, dans le même lieu, Le Songe d’une nuit d’été, de Shakespeare, par les déjantées marionnettes et drag de la compagnie Point Zéro faisait lui aussi salle comble. Tout comme À cheval sur le dos des oiseaux, texte intime et poétique de la sensible Céline Delbecq. Pour ces spectacles, Avignon s’est avéré une belle vitrine pour une diffusion hexagonale à venir.

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