Le monde a un problème (et un seul): il manque d’imagination!

Découvert en 2019 avec ses Chroniques d'une station-service, l'écrivain français Alexandre Labruffe fait paraître ce 7 mars Cold case aux éditions Verticales. © Francesca Mantovani/gallimard

Pour son édito de cette semaine, Focus Vif donne carte blanche à Alexandre Labruffe. Découvert en 2019 avec ses Chroniques d’une station-service, l’écrivain français fait paraître ce 7 mars Cold case aux éditions Verticales.

Le monde a un problème (et un seul): il manque d’imagination!

Bon c’est vrai, j’aurais pu commencer comme ça, par un cri. Mais après tout, on ne se connaît pas. Laissez-moi me présenter.

Qui suis-je? Doté d’un nom étrange, Labruffe (non, c’est pas un pseudo), écrivain (c’est-à-dire chômeur), j’ai l’ADN d’un sorcier: Labruffe, en béarnais las broishas, signifie “sorcier, sourcier”. Malheureusement, je ne contrôle pas mes pouvoirs de sorcier. Avec moi, toutes les machines se dérèglent, toutes les villes déraillent. Exemple? Fin 2019, j’ai été affecté à Wuhan pour bosser (oui, ça m’arrive) trois mois avant la pandémie. Malheureusement (bis), je ne contrôle pas non plus mes pouvoirs de sourcier. Avec moi, tout fuit. En avant. (Je suis un so(u)rcier dysfonctionnel.) Où en étais-je? Ah oui: en tant qu’écrivain, si je me mets dans la catégorie clown et kamikaze (minimaliste caustique, si vous préférez), je suis surtout un haïkunaute: Frankenstein de la nano-fiction et des microbes-poèmes, fanatique du fragment, de la fermentation du roman en confettis poétiques. En tant qu’auteur, je milite pour la fin de la fiction, ah non je veux dire la fin du genre.

Voilà donc ce que je propose: un écrivain·e dans chaque classe, chaque entreprise, usine, supermarché, ferme, bar, kebab, chaque gouvernement ou station-service.

D’ailleurs, imaginez l’horreur, une nation où la fiction aurait été décrétée hors-la-loi car nuisible à la santé mentale. Imaginez un pays qui traquerait la création comme on traque le fentanyl ou les punaises de lit ou un attaché culturel. Créer deviendrait un crime. Les récalcitrants seraient enfermés, réarmés, rééduqués pour ne rien imaginer. Travailler plus serait LE dogme. Il y aurait un ministère de la Productivité, une police des Oisifs, etc. Vous allez me dire, ce pays s’appelle la France? N’exagérons rien!

Flic alcoolique dépressif, chargé de traquer les factieux, sous-fifre du Service de l’Imagination Nocive (le SIN), le héros de notre dystopie enquêterait sur un meurtre dans les bas-fonds (d’Ostende? de Dubaï?) où un homme aurait été retrouvé assassiné, un livre planté dans le dos. Mais je m’égare, et vous allez me dire: cette fiction existe déjà, elle s’appelle notre avenir, ah non: Fahrenheit 451. Zut, vous avez raison.

Revenons en arrière: c’est-à-dire au point de départ. Oui, je pense réellement qu’il faudrait généraliser les cours d’imagination: coachés par des écrivain·e·s, des cours de création littéraire devraient être mis en place dans le monde entier, dans les collèges, lycées, universités, sur toute l’année.

1. Ça sortirait les écrivain·e·s de leur précarité. (Concernant le salaire des écrivain·e·s, je propose, ici, de ponctionner celui des footballeurs de 33%. Oui, Mbappé devrait courir pour la littérature. Il gagne 8 219 euros par heure; moi, 2 euros. Scandale! Serais-je en train, par hasard, de me comparer à Mbappé? Oui.)

2. Généraliser les ateliers d’écriture dès le plus jeune âge, ça désacraliserait l’écriture, la langue, le rapport à l’écrit, au livre. Ça ouvrirait des esprits, renverserait des valeurs, des tables, des destins tout tracés.

Invité récemment par des festivals à animer des ateliers de création littéraire auprès de migrants, d’enfants handicapés ou maltraités, de collégiens ou lycéens, j’ai pu me rendre compte de l’enthousiasme que ça générait, de la beauté à créer des univers à la mesure de chacun·e et de l’effet désinhibant. Moment hors du temps, de l’espace, du sordide, parenthèse enchantée, l’atelier “haïkus”: d’une utilité folle pour les enfants issus de foyers. Désinhibant, disais-je? Dans un collège, durant un atelier, la prof, étonnée, me révélait que les plus actifs étaient celles et ceux qui avaient le plus de difficultés en classe, qui ne participaient jamais en cours.

Voilà donc ce que je propose: un écrivain·e dans chaque classe, chaque entreprise, usine, supermarché, ferme, bar, kebab, chaque gouvernement ou station-service. Pour recueillir, écrire, libérer les énergies & les esprits + élargir l’infini.

Car oui il y a mieux que les psys, il y a les écrivain·e·s. Il y a mieux que les psychotropes, il y a les livres & les haïkus.

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