Pages en émoi: 40 romans et récits qui font la rentrée littéraire

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Lancée à la mi-août, la rentrée littéraire reste un événement éditorial d’importance. Notre sélection de quarante romans et récits vient à point pour guider votre regard sur les tables des librairies.

La rentrée littéraire commence généralement avec un nombre: 521 nouveautés littéraires atterriront sur les tables des libraires d’ici à la fin octobre. Pas un record, mais une moyenne honorable dans un secteur culturel qui aura moins souffert que d’autres de la crise sanitaire, la lecture étant devenue un refuge – voire une révélation – pour nombre d’entre nous pendant les confinements successifs. Si les ventes de livres en 2020 n’ont pas démérité, les problèmes pourraient toutefois poindre à l’horizon avec la pénurie de papier que d’aucuns craignent. La faute à un climat économique tendu aux implications multiples. Et les éditeurs de commencer à serrer les dents alors que l’automne rime avec les prix littéraires, synonymes de sursaut des ventes. C’est donc peut-être en format dématérialisé que vous lirez le futur Goncourt (dévoilé le 3 novembre prochain).

D’ici là, pour vous aider à vous frayer un chemin dans les dizaines de romans et récits de cette fin d’été, nous avons réuni nos premières impressions sur une quarantaine d’ouvrages, coups de coeur ou immanquables, francophones et internationaux. Parmi les lignes de force de la mêlée, il semble que la figure paternelle soit au centre de nombre de livres. Hommage pour Amélie Nothomb et Marc Dugain. Récit de rapports tendus pour Sorj Chalandon et Christine Angot. On y trouvera certains indices d’une masculinité toxique que Jean-Baptiste Del Amo, déjà unanimement salué, décortique dans Le Fils de l’homme. Les inquiétudes écologiques viennent, quant à elles, se joindre à l’envie chez beaucoup de jouer de plus en plus avec les frontières du réel et de l’histoire pour mieux appréhender le monde contemporain. Bon voyage!

Pages en émoi: 40 romans et récits qui font la rentrée littéraire
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1 Avant que le monde ne se ferme

Premier roman Par Alain Mascaro, Autrement, 256 p.

Jusqu’ici auteur de nouvelles et voyageur confirmé, Alain Mascaro livre dans ce premier roman un hommage particulièrement touchant au funeste destin des Tziganes durant la Seconde Guerre mondiale. Liant son lecteur aux basques poétiques d’Anton, dresseur de chevaux émanant de la steppe kirghize, il l’entraîne sur les traces contrariées de ce fils du vent meurtri par l’histoire – d’Europe centrale en Amérique puis Orient, après un cauchemar éveillé entre ghetto et camp. Un coup de maître, au souffle ensorcelant.

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2 Sur les toits

Par Frédéric Verger, Gallimard, 400 p.

Célébré pour Arden, Goncourt du Premier roman 2014, et après Rêveuses sorti plus discrètement en 2017, Frédéric Verger confirme dans ce Sur les toits, dont le titre contient déjà une promesse de fuite, son art d’injecter au coeur du drame de 39-45 une forme aboutie de poésie de la marge: les aventures bohémiennes de ces deux enfants, perdus en plein conflit sur les tuiles fragiles, au milieu des voleurs, bohémiens, vagabonds et artistes de cabaret, sauront convaincre même les plus rétifs au sujet.

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3 Soleil amer

Par Lilia Hassaine, Gallimard, 160 p.

Après L’OEil du paon en 2019, la journaliste Lilia Hassaine, découverte un an plus tôt dans l’émission Quotidien, revient cette fois sous un angle plus réaliste avec Soleil amer sur une thématique qui lui tient à coeur: l’intégration, en France tout particulièrement, de femmes (issues à l’époque de Croatie, désormais d’Algérie) dans une société qui ne les tolère que du bout des lèvres, tout en leur offrant à la marge de nouvelles perspectives. Un bref ouvrage très personnel, à défaut de briller d’originalité.

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4 Au printemps des monstres

Par Philippe Jaenada, Mialet-Barrault, 752 p.

Réussir à passionner son lecteur en exhumant des faits divers souvent sordides, c’est le pari ambitieux que s’est lancé Philippe Jaenada en 2013 – s’offrant le luxe de plonger toujours plus profondément dans chaque dossier pour tenter d’en lever l’énigme. Son obsession, après Pauline Dubuisson (La Petite Femelle) puis Henri Girard (La Serpe, Prix Femina 2017), l’a cette fois projeté sur la piste de Lucien Léger, surnommé l’Etrangleur dans les années 1960. Résultat: une somme folle, passionnante et sombre, aussi copieuse que succulente.

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5 Et pourtant ils existent

Par Thierry Froger, Actes Sud, 336 p.

Ecrivain, poète, plasticien, auteur notamment de Retards légendaires de la photographie (Flammarion, 2013) ou Les Nuits d’Ava (Actes Sud, 2018), Thierry Froger démontre une fois de plus dans ce nouveau roman, au titre emprunté aux Anarchistes de Ferré, à quel point tout son travail joue à dissoudre les frontières entre fiction et réalité. En multipliant les chapitres courts portés par autant de voix dissonantes mais complémentaires, il esquisse le portrait croisé d’un anar ambigu et de l’assassin de Jaurès, dans un charivari carnavalesque très stimulant.

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6 La Porte du voyage sans retour

Par David Diop, Seuil, 256 p.

Son deuxième roman, Frère d’âme, lui avait valu en 2017 le Goncourt des lycéens. S’intéressant alors au vécu d’un tirailleur sénégalais, il faisait montre, comme aujourd’hui avec ce nouveau roman, d’une capacité impressionnante à s’emparer d’un sujet fort (les soldats « colonisés » alors, le commerce triangulaire ici) pour l’aborder de façon aussi humaine que docte, crue que pédagogique. S’il prend ici son temps pour entrer dans le vif du sujet, si une certaine naïveté teinte la narration, l’importance de ce type de texte, en nos temps assombris, ne devrait pas faire débat.

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7 Delta blues

Par Julien Delmaire, Grasset, 496 p.

Venu du spoken word, Julien Delmaire injecte dans ses textes, depuis son Georgia paru en 2013, une musicalité rare, qui en fait une voix originale de l’édition française. Et c’est cette fois dans le Mississippi terriblement raciste des années 1930 qu’il propulse son lecteur sans ronds de jambe, lui présentant une galerie de personnages hauts en couleur. Cela pour tenter de lui faire ressentir, entre tutelle faulknérienne et envolées magico-réalistes, l’âpreté d’une terre rude qui permit aussi l’émergence du blues.

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8 Farouches

Par Fanny Taillandier, Seuil, 288 p.

Son texte hybride de 2016, Les Etats et empires du lotissement grand siècle, édité aux PUF comme un pied de nez aux classifications littéraires, avait écopé d’un plébiscite bien mérité, que son roman plus bancal Par les écrans du monde (2018) était venu contrarier en partie. Avec Farouches, la romancière et performeuse Fanny Taillandier, qui fut récemment pensionnaire de la Villa Médicis, redonne du souffle à sa créativité d’autrice en injectant des bulles d’étrangeté dans un monde de carte postale, pour une atmosphère bien plus emballante d’inquiétudes existentielles.

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9 Le Fils de l’homme

Par Jean-Baptiste Del Amo, Gallimard, 240 p.

Une femme et son fils de 9 ans sont emmenés aux Roches – une cabane de famille, très à l’écart dans la montagne – par l’homme qui a fait son retour dans leur vie quelques semaines plus tôt. Il leur faudra désormais suivre ses règles. Après Règne animal, Del Amo sonde plus en profondeur les arcanes du mal qui se transmet au fil des générations. David Vann ou Gabriel Tallent ne sont pas si loin et il y a, entre masculinité toxique, confrontation à la nature et folie croissante, de quoi frémir.

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10 Shuggie Bain

Premier roman Par Douglas Stuart, Globe, 496 p.

Dans une Glasgow des années 1980 en plein déclin économique, Agnes, épouse jadis feu follet de chaque soirée, sombre inéluctablement dans l’alcool. Progressivement abandonnée de tous – à commencer par Big Shug, mari volage et brutal – il ne lui reste que son fils comme soutien. Mais comment apprivoiser sa propre identité d’homme en question quand tout autour est chaotique? Leçon de résilience âpre et inoubliable, Shuggie Bain croit à la dernière goutte d’espoir dans un verre d’où la violence déborde.

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11 Dans la maison rêvée

Par Carmen Maria Machado, Bourgois, 384 p.

Carmen Maria Machado rencontre une femme avec qui le courant passe et elles emménagent ensemble. Mais le rêve sera de courte durée… S’il y avait de l’emprise dans les nouvelles de Son corps et autres célébrations, la toxicité relationnelle est ici d’autant plus frontale qu’il s’agit d’une histoire vécue. Avec autant d’acuité que Maggie Nelson, l’autrice trouve une forme fragmentaire et multifocale pour dire chaque couche de la douleur. Nul doute que ce livre puissant sur les violences conjugales queer fera date.

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12 Hors gel

Par Emmanuelle Salasc, P.O.L, 416 p.

En 2056, dans un village d’altitude jadis touché par une catastrophe et, depuis lors, pétri par la peur et régi strictement, Lucie se voit contrainte d’accueillir sa soeur jumelle Clémence, jugée invivable et évoluant en marge de sa famille. Mais soudain, la cloche de détresse résonne et toute la communauté se doit de réagir… En nouant au plus serré les tensions intimes et les craintes écologiques d’hier et d’aujourd’hui, Emmanuelle Salasc propose un roman aux résonances très contemporaines qu’on n’a guère envie de lâcher.

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13 Sidérations

Par Richard Powers, Actes Sud, 400 p. Parution le 22 septembre.

Theo, astrobiologiste et veuf, fait de son mieux pour élever seul son fils Robin. S’il peut se montrer tendre, introverti et curieux de l’univers, l’enfant pique parfois des colères extrêmes qui déstabilisent tout son entourage. Après son exclusion de l’école, son père n’a d’autre choix que de se tourner vers une thérapie expérimentale pour tenter de l’apaiser. Une fois encore, Richard Powers rend la science diablement humaine et témoigne d’une empathie sans bornes envers ses personnages. On en redemande!

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14 L’Echo du lac

Par Kapka Kassabova, Marchialy, 480 p.

Après Lisière, l’autrice bulgare déploie une autre fresque intime et historique impressionnante. Elle s’intéresse cette fois à la région des lacs de Prespa et d’Ohrid (d’où est originaire sa grand-mère maternelle), à cheval sur l’Albanie, la Macédoine du Nord et la Grèce, guère avare en trépidations et conflits. D’une anecdote récoltée sur place à l’autre, Kassabova nous parle de déchirements mais aussi d’amour. C’est d’autant plus passionnant que le récit éclaire un pan des Balkans terra incognita ou presque.

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15 Furies

Premier roman Par Julie Ruocco, Actes Sud, 288 p.

Bérénice, archéologue française, est devenue pilleuse d’antiquités pour le compte d’une receleuse russe. Asim était pompier puis fossoyeur en Syrie, avant son exil en Turquie où il fabrique des faux passeports. Désireux de faire perdurer le combat pacifiste de sa soeur Taym, il ressuscite les morts à travers leur nom. Sa collision avec Bérénice les entraînera jusqu’au fief des peshmergas. Entre résurgence des mythes et tragédies actuelles de la guerre, Julie Ruocco signe un beau premier roman épris de liberté.

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16 Notre part de nuit

Par Mariana Enriquez, Sous-sol, 768 p. Parution le 18 septembre.

Gaspar est destiné, comme son père Juan, à devenir médium pour le compte d’une société secrète qui cherche les secrets de l’éternité. Tous les deux en fuite, ils s’apprêtent à faire un voyage halluciné, entre réalité et métamorphoses. Connue jusque-là pour ses nouvelles avec déjà un pied dans l’abîme horrifique (Ce que nous avons perdu dans le feu), Mariana Enriquez conjugue avec habileté et profondeur atmosphère gothique et arrière-fond politique (ici la dictature argentine). Retenez son nom!

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17 Le Créateur de poupées

Par Nina Allan, Tristram, 404 p.

Andrew Garvie, fabricant de poupées atteint de nanisme, répond à la petite annonce de la collectionneuse Bramber Winters, occupante d’un institut psychiatrique des Cornouailles. Une correspondance s’échafaude entre ces deux marginaux sans véritable attache, qui trouvent refuge dans leur passion mal comprise. Entre récits enchâssés et narrateurs non fiables, Nina Allan, en magicienne lettrée et retorse, brouille à nouveau les cartes dans un roman qui explore avec délicatesse l’altérité.

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17© Fred

18 Un corps tropical

Premier roman Par Philippe Marczewski, Inculte, 400 p.

Quidam moyen, le narrateur végète entre une relation de couple sans considération mutuelle et un travail sans ambition. A l’occasion d’une livraison chez Rovelli, une énigmatique cliente, le voilà happé par l’exotisme accessible du parc aquatique voisin et de sa piscine à vagues. Serait-ce l’aventure qui commence à lui entrer par les pores? Mais où va-t-elle s’arrêter? Philippe Marczewski signe ici un premier roman rocambolesque qui ne se départit jamais d’un sens du tragi-comique indéniable.

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19 Mort aux girafes

Par Pierre Demarty, Le Tripode, 200 p.

Le 9 janvier 2011, Frédéric Berthet se pend dans la chambre numéro 16 de l’Hôtel de Trêve à Bar-le-Duc: voilà ce qu’on apprend dès la première page d’une phrase unique qui va courir sur près de 199 autres. Mais qu’est-ce qui a suscité ce geste fatal chez cet homme ordinaire? Avec un art acrobatique de la digression emboîtée, Pierre Demarty conduit tambour battant une enquête échevelée que n’aurait sans doute pas reniée Eric Chevillard. Accrochez-vous et musclez vos zygomatiques!

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20 La Plus Secrète Mémoire des hommes

Par Mohammed Mbougar Sarr, éd. Philippe Rey-Jimsaan, 448 p.

Jeune écrivain sénégalais dans un Paris contemporain, Diégane Latyr Faye y découvre un texte de 1938, Le Labyrinthe de l’inhumain, entouré de scandale. Aspiré sur les traces de T. C. Elimane (considéré comme le « Rimbaud noir » et disparu), il fera la connaissance d’autres lecteurs comme lui obsédés par ce roman maudit. Il cherchera à comprendre la vie de celui qui fut victime de malentendus, tant il est fréquent, aujourd’hui comme hier, d’enfermer les auteurs africains dans des cases.

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21 Rêver debout

Par Lydie Salvayre, Seuil, 208 p.

Dans ce roman épistolaire, authentique plaidoyer pour l’idéalisme et le rêve, l’autrice, (récipiendaire du Goncourt pour Pas Pleurer) s’adresse férocement à Miguel Cervantès qu’elle juge cruel envers son protagoniste. Elle nous offre, en même temps qu’à lui, une nouvelle lecture du célèbre Don Quichotte. Là où certains avanceraient que le héros hidalgo est à côté de la plaque, elle argue en sa faveur, exposant en quoi il regarde probablement une autre plaque que la nôtre, en véritable poète. C’est ardent et argumenté!

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22 Mahmoud ou la montée des eaux

Par Antoine Wauters, Verdier, 144 p.

Syrie, lac el-Assad, une petite embarcation. Un vieil homme plonge sur les traces des vestiges de son village, inondé par le barrage. En immersion dans les eaux troubles de la mémoire, il y revoit sa femme, ses enfants, le temps des poèmes et des gâteaux aux prunes, quand la guerre n’avait pas encore fait mourir les histoires d’amour et d’enfance. Si la tendresse et la douceur avaient un refuge, ce serait celui de la barque des mots d’Antoine Wauters. Une apnée poétique, un roman puissant.

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23 Etreins-toi

Par Kae Tempest, L’Arche, 224 p.

Kae Tempest revisite le mythe de Tirésias, né aveugle, voyant transformé en femme après avoir brisé l’union de deux serpents. Dans cette fable poétique non binaire, mêlant les anciens et les modernes, sa voix mord et sublime les étapes de la vie dans des corps traversés par la violence de l’époque. Un voyage charnel et initiatique, un chant de la renaissance pour se tenir debout. L’édition bilingue offre la puissance de sa langue, teintée de slam, de spoken word et de hip-hop.

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24 Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes

Par Lionel Shriver, Belfond, 384 p.

Remington Alabaster vient de se faire licencier. A 64 ans, il décide de se mettre au marathon. Son épouse, Serenata Terpsichore, 60 ans et quarante-sept années de course à pied stoppées net par un genou récalcitrant, n’en revient pas. A travers ce couple en crise croqué avec sagacité, l’autrice américaine Lionel Schriver s’amuse à dézinguer les faux-semblants d’une société obnubilée par le culte du corps et de la performance. Une satire sociale réjouissante… et effrayante.

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25 Satires

Par Edgar Hilsenrath, Le Tripode, 144 p.

Parution le 23 septembre.

Les éditions Le Tripode clôturent avec Satires leur cycle de publication de l’oeuvre complète d’Edgar Hilsenrath. Le génial auteur allemand, rescapé de la Shoah, signe ici une suite de textes absurdes et féroces comme il en a l’art. Autant de tableaux dialogués mettant en scène un(e) certain(e) Zibulsky, tour à tour septuagénaire veuve de nazi, travailleur immigré, ou encore fonctionnaire des finances sur son lit de mort. Un chef-d’oeuvre d’humour noir et d’intelligence.

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26 Le Voyage dans l’Est

Par Christine Angot, Flammarion, 224 p.

Chacune de ses sorties fait événement et divise le monde littéraire. Celle qui refuse d’être catégorisée dans le rayon de l’autofiction signe un roman des retrouvailles, alors qu’elle a 14 ans, avec un paternel absent. De sa plume aussi concise qu’incisive, Christine Angot, que l’on dit toujours en colère malgré un récit plus apaisé, creuse depuis L’Inceste et Une semaine de vacances le sillon d’une relation père-fille que l’intéressé n’a pas souhaité  » normale ». « Pour écrire un livre, il faut vivre dedans », confiait-elle récemment.

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27 Memorial Drive

Par Natasha Trethewey, L’Olivier, 224 p.

Pendant trente ans, qui l’ont vue s’épanouir comme écrivaine et poétesse de premier plan aux Etats-Unis, Natasha Trethewey a soigneusement évité de parler du drame qui lui a arraché le coeur en 1985: l’assassinat de sa mère par son beau-père. Un « évitement muet » de ce passé douloureux qu’elle brise aujourd’hui dans un récit intime en clair-obscur retissant par petites touches, entre souvenirs effilochés, rêves et extraits glaçants du dossier judiciaire, la figure de cette femme libre à l’étroit dans une Amérique profondément raciste. A la fois formidable réflexion sur la mémoire, lettre d’amour déchirante et entreprise délicate de réconciliation de l’auteure avec elle-même.

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28 Wonder Landes

Par Alexandre Labruffe, Verticales, 288 p.

Il nous avait bluffés avec ses chroniques azimutées d’une station-service, épicentre de la banalité post-moderne. Son nouveau livre fait le plein d’un autre genre de carburant: la biographie. A coups de fragments – méli-mélo de pensées minutes, d’anecdotes, de dialogues surréalistes -, il tente de percer la personnalité instable du frère mythomane qui se retrouve en prison après un coup tordu de trop. Partagé entre sens du devoir et envie de fuir cette « déflagration » qui menace de l’aspirer psychiquement, l’auteur passe à la moulinette l’histoire familiale, non sans ausculter ses propres névroses. Burlesque, touchant et déjanté.

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29 Climax

Par Thomas B. Reverdy, Flammarion, 336 p.

Thomas B. Reverdy aime nous faire voyager sur les lignes de faille du monde. Dans Il était une ville, il épinglait les ravages du capitalisme à travers le déclin de Détroit. Changement de décor et d’échelle: c’est au réchauffement climatique qu’il s’attaque ici, illustré par le sort d’un petit village de pêcheurs du nord de la Norvège menacé par un glacier. L’Arctique comme théâtre des impasses de la mondialisation, les forages pétroliers qui ont enrichi la ville précipitant sa perte, au grand dam d’Ana, enfant du pays. Un parfum d’apocalypse porté par une langue sensible et puissante, poreuse aux légendes nordiques, derniers vestiges d’une sagesse elle aussi en sursis.

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30 Rien à déclarer

Par Richard Ford, L’Olivier, 384 p.

Ce recueil de nouvelles est peuplé d’hommes et de femmes au mitan de la vie, issus de la classe moyenne, qui réalisent que la vie ne suit pas un scénario rectiligne. Ils sont veufs ou divorcés et tentent de colmater le vide affectif de leur existence en multipliant les rencontres insatisfaisantes. L’auteur de la géniale trilogie dite de « Frank Bascombe » est en terrain connu: il observe ses contemporains se débattre avec les regrets, un doigt sur la gâchette de l’ironie. Efficace même si on a connu Ford plus inspiré et moins caricatural, notamment quand il dépeint les femmes. Comme si la nostalgie qui transpire du livre avait fini par déteindre sur son auteur.

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31 Son empire

Par Claire Castillon, Gallimard, 160 p.

Les sujets tièdes, convenables, bien peignés, très peu pour elle. Depuis vingt ans, Claire Castillon en pince pour les comportements dérangeants, les tabous, qu’elle dépèce dans un style détonnant et viscéral. Comme dans Marche blanche sur le thème de l’infanticide, ou comme ici avec cette histoire d’emprise toxique d’un homme manipulateur et pervers sur une femme aveuglée par l’attention qu’on lui porte. Le tout vu à travers les yeux, le ressenti et l’imaginaire débridé de la fille de 7 ans de la victime. Encore une fois, cette approche à l’os des relations humaines, macédoine vénéneuse de délicatesse et de crudité, fait mouche.

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32 Rabalaïre

Par Alain Guiraudie, P.O.L, 1 040 p.

Chômage et quarantaine bien tassés, Jacques enfourche sa bicyclette et découvre un paysage singulier à quelques kilomètres de chez lui. Entre vertiges existentiels, enquête qui patine et rasades de Brigoule, une gnôle qui donne la gaule et des éclairs d’hyperlucidité, une folle épopée dans le triangle des Bermudes aveyronnais. Confirmant un talent d’écrivain hors norme, le réalisateur Alain Guiraudie signe une fresque bandante sur le terroir, la rencontre avec l’autre et le beau bordel de l’engagement d’une vie.

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33 Premier sang

Par Amélie Nothomb, Albin Michel, 180 p.

Sans doute l’un des romans les plus intimes de la star belge de chaque rentrée littéraire. Elle rend ici un hommage, aux allures de conte, à son père décédé en 2020. Orphelin de père très jeune, Patrick, futur diplomate acteur de la prise d’otages de Kisangani en 1964, fait son entrée dans le clan Nothomb dominé par un grand-père poète et fantasque, entre vacances bénies de l’enfance en Gaume et quotidien plus rangé à Bruxelles. Sa fille Amélie a de la ressource pour rendre le portrait d’une famille désargentée croustillant et tendre.

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34 Enfant de salaud

Par Sorj Chalandon, Grasset, 336 p.

« Ton père, il était du mauvais côté. » Lorsqu’il se fait traiter d' »enfant de salaud » par son grand-père, Sorj Chalandon comprend le trouble qui entoure la vie de son paternel pendant la guerre. Résistant ou collabo? C’est en l’amenant au procès de Klaus Barbie, qu’il couvre pour Libération, que se révèle sous ses yeux un personnage aussi mythomane que dictatorial. Depuis Profession du père et Mon traître, on savait que le thème de la trahison paternelle hantait le journaliste et romancier. Elle est ici confirmée. Fascinant.

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35 Cave

Par Thomas Clerc, L’Arbalète/Gallimard, 288 p.

Après la description méthodique de son appartement (Intérieur), Thomas Clerc descend à la cave. Débouchant dans une salle de spectacle où se déverse un flux d’images, l’écrivain se soumet tel Alex d’ Orange mécanique, les yeux grands ouverts sur son secret: « Je souffre de pénurie. […] je me retiens du sexe, mais le sexe me taraude. » Sur le désir et les pulsions sexuelles, le simulacre du coït, l’autofiction comme une forme de porno mental, une mise en scène conceptuelle au verbe bien en chair.

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36 Double Nelson

Par Philippe Djian, Flammarion, 240 p.

Edith exerce une poigne de fer au sein des forces spéciales d’intervention, Luc est écrivain. Si le livre s’ouvre sur leur séparation, les deux « ex » se retrouvent après une mission qui a mal tourné. Empruntant son titre à une prise de soumission au catch, Djian observe les gesticulations de ces anciens amants contraints de revivre sous le même toit. Par son jeu de jambes et la prise du serpent de ses dialogues, la tragi-comédie tentera de faire valdinguer ses lecteurs par-dessus la troisième corde.

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37 La Volonté

Par Marc Dugain, Gallimard, 288 p.

Pour convaincre un interne de mettre fin aux souffrances de son père, atteint d’un cancer en phase terminale, Marc Dugain retrace le parcours de cette figure autoritaire. Avec pour toile de fond l’histoire politique de la France, il détaille la carrière de ce brillant intellectuel, mu par une force de caractère remarquable, qui surmonta le handicap de la polio notamment dans l’administration scientifique coloniale. Portrait admiratif d’un fils sur le destin d’un homme droit et susceptible, un récit autobiographique inspiré.

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38 Mon business modèle

Par Julien Gangnet, Le Dilettante, 224 p.

Doté d’un flair énorme pour la déveine, Joseph Haquim rejoint Exclusiv’News, fournisseur B to B pour journalistes en mal de contenu anxiogène. Bientôt à la tête de sa petite entreprise, surfant sur les replis populistes de l’époque, Jo n’en démord pas: « Le glauque ne remonte pas tout seul, il faut aller le chercher avec les dents. » Dans le monde du fait divers qui tache et de l’info en continu, Julien Gangnet frappe fort et dégaine le C’est arrivé près de chez vous du roman noir français. Méchamment drôle.

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39 Ne t’arrête pas de courir

Par Mathieu Palain, L’Iconoclaste, 432 p.

22 février 2015, après avoir remporté le titre de champion de France du 400 mètres, Toumany Coulibaly ne sabre pas le champagne. Il pose sa médaille, attrape une cagoule et part cambrioler une boutique de téléphones portables. Adepte des portraits XXL pour la revue XXI, Mathieu Palain (Sale gosse) confirme son goût pour le récit-reportage. Sympathisant avec l’athlète récidiviste, il interroge le « banlieusard syndrome »: « Le truc qui fait qu’on a beau chercher à s’enfuir, le quartier nous rattrape. » Captivant.

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40 L’Anarchiste qui s’appelait comme moi

Par Pablo Martin Sánchez, Zulma/La Contre-Allée, 608 p.

Le grand roman populaire est une valeur qui se perd ; raison de plus pour ne pas manquer cet Anarchiste qui s’appelait comme son auteur, lequel a transformé une homonymie découverte sur le Net en un très grand roman épique, picaresque et émouvant pour tous ceux qui aiment l’histoire, la grande aventure, l’amour et le souffle comme seuls les latins sont capables d’en produire avec des mots. La vie de Pablo Martin Sánchez, condamné à mort en 1924 pour avoir participé à une tentative de coup d’Etat anarchiste, vous transportera ainsi de Madrid à Paris, et des premières projections des frères Lumière à l’invention des feux de circulation, quand les idéologies signifiaient encore quelque chose.

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