Critique | Musique

Warhaus : « J’ai eu en moi ce truc, sombre, d’avoir voulu être un gamin rebelle »

4 / 5
Maarten Devoldere en introspection palermitaine. © TITUS SIMOENS
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Album - Ha Ha Heartbreak

Artiste - Warhaus

Genre - Rock

Label - Pias

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Sur le troisième album de Warhaus, Maarten Delvoldere calme les douleurs de son cœur multi-brisé via des chansons luxuriantes, sous un indolent soleil funky.

Je suis allé écrire les chansons de Ha Ha Heartbreak dans un hôtel de Palerme, pendant trois semaines. Moi, ma guitare et un enregistreur, dans un truc complètement introspectif. Comme tu l’as sans doute pigé, rien que par le titre (sourire), on doit comprendre le propos… J’étais là, avec toutes ces idées en tête et puis dans la chambre à côté de la mienne, un jeune couple faisait l’amour. Beaucoup, et pas en silence. Ce n’était pas évident à supporter. Mais bon, le vide d’être dans cet endroit, a fait ressortir le processus créatif.” Trente-cinq ans, grand, plutôt beau gosse, Maarten Devoldere est venu de Gand en train pour un podcast Studio Brussel. Et puis une causerie avec Focus, square Plasky, à deux pas du 140, qu’il ne connaît pas. Autre monde, autres références.

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Pour rappel, Maarten est un des deux compositeurs de Balthazar, l’un des groupes flamands les plus talentueux, et porte en solo Warhaus. La conversation démarre sur le choix de Palerme pour maquetter ce nouvel opus: “Un ami m’en avait parlé, pensant que j’aimerais la ville. Quand j’y suis allé écrire il y a deux ans, je ne sortais de ma chambre que pour aller chercher à manger, rien d’autre. Et puis en y revenant une année plus tard, pour tourner des clips et y prendre des photos, j’ai enfin visité la ville et j’ai compris l’analogie avec mon album. Extérieurement, Palerme exprime une certaine splendeur, une grandeur romantique sans doute passée. Mais la peinture des murs se détache et le dépérissement urbain de cette capitale de la Sicile, ses contrastes ne sont pas étrangers aux humeurs brisées du disque.” Et quel disque! Sorte de rencontre entre Leonard Cohen qui berce Maarten de façon intime, et des paysages frôlant la possible décadence viscontienne de Mort à Venise.

Lorsqu’on lui demande de préciser l’apport autobiographique de ces moments de rupture, Maarten botte en touche émotionnelle: “Non, il ne s’agit pas précisément d’évoquer ma relation avec Sylvie Kreusch (ex-amoureuse et comparse dans Warhaus). Je ne crois pas important de savoir s’il s’agit d’elle ou d’une autre relation (silence). L’idée, c’est qu’il s’agit de moi, de la façon dont je sens les choses. Je suppose que ça remonte au placenta de ma propre mère, et à la façon, dont j’ai longtemps été un “homme-enfant”. Pendant très longtemps, j’ai vécu sous différentes ombres, dont celles de l’addiction. Mais je ne voulais pas devenir une caricature de moi-même. Je suis un mec d’extrêmes: en devenant sobre, j’ai l’impression de vivre une aventure extraordinaire parce que tout ce qui arrive semble clair et intense. Peut-être aussi via la méditation, que je pratique depuis quelques années.

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Plus si affinités

Maarten (1987) a grandit dans la classe moyenne de Courtrai, et en pleine lumière de décembre bruxelloise, il parle des souterrains charbonneux d’ex-nuits sans fin, loin du Perrier. “J’ai eu en moi ce truc, sombre, d’avoir voulu être un gamin rebelle, d’avoir eu des désirs hypnotiques, vaudous, quelque peu schizophréniques. Je pense qu’on a tous en nous des choses extrêmement contradictoires. Je parle de la condition humaine, de l’échec de la communication entre les diverses parties de nous-mêmes. C’est aussi ce dont il est question dans cet album. Comme si ma propre personne devait résoudre la contradiction entre le capitalisme et le communisme: amour ou politique, je crois qu’il s’agit de la même chose.

Maarten reparle d’une chanson du premier album de Warhaus où il maudissait la richesse. Entre-temps, il admet qu’avoir pu se payer un single malt de qualité pouvait l’avoir fait changer d’avis. Demi-plaisanterie puisque l’alcool nocturne -ou plus si affinités- n’est plus vraiment de mise. N’empêche, ce qui accroche dans Ha Ha Heartbreak, c’est le sentiment lascif qui fait ondoyer les chansons. Ce truc gluglu funky, lentissime, dans une autre époque, possiblement proche de Boz Scaggs -au ralenti-, voire de Robert Palmer, lui aussi en moins de BPM. Pas totalement étanche au fait que Maarten s’est glissé, au fil du temps, dans le répertoire des classiques Marvin Gaye ou Gloria Gaynor. Sur cet album, la soul ricaine agit comme un réceptacle lointain mais actif. Accepté à l’examen d’entrée du Conservatoire de Gand, essentiellement pour ses qualités reconnues de compositeur précoce -il a 17 ans-, Maarten admet qu’il reste un instrumentiste moyen. Même si sur Ha Ha Heartbreak, il a bien cornaqué ses partenaires de studios, aux Dada et ICP bruxellois. On en revient à la matrice mentalo-créatrice de la musique belgo-flamande. L’héritage. Lui, Maarten, avoue avoir été épaté par le corpus du jeune dEUS, diagonale flamboyante des années 90, “entre pop et avant-garde”. “Comme TC Matic dans la décennie 80. Notre avantage belge est de ne pas avoir ce truc nationaliste et chauvin, ce qui veut dire qu’on reste largement ouvert aux autres cultures. Là, j’ai bien conscience d’avoir “commercialisé” le produit de mes peines de cœur. Mais c’est OK (rires)”.

Warhaus

Le Ha Ha, ce n’est pas de l’ironie titrée, mais quelque chose qui tient de la rythmique catchy. Avec l’intention d’amener des chansons qui, bien sûr, expriment la colère et la vulnérabilté, mais sont aussi d’une couleur et d’une intensité miel…” Ce troisième album extrêmement agréable donne l’impression d’être protégé sous moustiquaire d’une patrouille de bestioles piquantes. Il tente une combinaison de textes fissurés d’amour en péril -ou simplement foutus- sous des arrangements glorieux et enrobants. Sans pour autant négliger ce qui, musicalement parlant, peut incarner le malaise. Les dissonances bruitistes de It Had to Be You mais aussi l’excellent travail des guitares (Shadow Play) et du piano, formidable. Celui-ci atterrit, à l’instar d’un Mike Garson sur Bowie grande époque, sur le plus brillant moment de l’album, Time Bomb.

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