Promenade de synthé pour Soulwax: « C’est un privilège d’avoir pu passer du temps sur une machine pareille »

Les frères Dewaele sont parvenus à dompter la bête qu'est le Synthi 100, un synthé exceptionnel et rare. © KURT AUGUSTYNS
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Alors que les machines vintage n’ont jamais été autant prisées, Stephen et David Dewaele (Soulwax) sortent un album entièrement composé sur le très rare EMS Synthi 100, synthé seventies XXL aussi mythique que délicat à manipuler. Retour vers le futur

Stephen et David Dewaele ne sont pas seulement les moteurs du groupe Soulwax, ou les deux cerveaux hyperactifs de 2ManyDJ’s -le projet qui leur a permis de rejoindre le gratin de l’électronique mondial-, ce sont aussi deux fameux geeks. Des obsédés de musique, capables d’imaginer 24 mix d’une heure, accompagnés à chaque fois d’un moyen métrage (Radio Soulwax); ou de concevoir un sound system haut de gamme pour clubbers audiophiles -Despacio- en compagnie de James Murphy. Aujourd’hui, c’est une autre lubie qu’ils viennent de réaliser: un disque entièrement composé avec l’EMS Synthi 100, un synthétiseur modulaire extrêmement rare.

Le matériel vintage a la cote chez les musiciens, en particulier les vieux synthés analogiques -des nappes ambient du Belge Jéronimo/Jérôme Mardaga et son projet Thamel aux rêveries new age de l’Américaine Kaitlyn Aurelia Smith. En l’occurrence, avec l’EMS Synthi 100, les frères Dewaele ont mis la main sur une machine assez exceptionnelle. Un beau « bestiau » de 2 mètres de large sur 1,8 mètre de haut. Produit à une trentaine d’exemplaires seulement, il constitue pour beaucoup d’amateurs une sorte de Graal.

Cela faisait des années qu’un modèle végétait dans les caves de l’IPEM, l’Institute for Psychoacoustics and Electronic Music, rattaché à l’Université de Gand. Stephen et David Dewaele le savaient. Quand l’IPEM a dû investir un nouveau bâtiment, ils ont sauté sur l’occasion pour proposer d’accueillir le « mastodonte » dans leur studio Deewee, le temps du déménagement… Il y restera près d’un an. « C’est vraiment un privilège d’avoir pu passer du temps sur une machine pareille », expliquent les musiciens, dans leur présentation du projet -36 minutes de musique électronique instrumentale rétrofuturiste, découpée en six mouvements.

À son arrivée, l’instrument était toutefois mal en point. Technicien autodidacte, Constantin Papageorgiadis avait commencé à se pencher sur sa rénovation. Mais il restait du boulot. « Quand l’IPEM me l’a confié, il était opérationnel à seulement 50%. » En 2014 déjà, lors d’une soirée à l’Ancienne Belgique, Papageorgiadis avait pu constater que le fonctionnement de la machine était bancal. « Après le concert, j’ai été voir Ivan Schepers, un vieux de la vieille de l’IPEM. Je connaissais le matériel, j’avais les contacts, je pensais être capable de donner une nouvelle vie à l’instrument. Il m’a directement dit qu’il n’y avait pas d’argent. » Bassiste rock, Constantin Papageorgiadis est tombé dans les synthés sur le tard. Mais il est mordu et adore mettre les mains dans le cambouis: il décide alors d’offrir ses services gratuitement, « à condition que l’IPEM s’engage à payer les grosses pièces nécessaires à la restauration, et promette de laisser ensuite le Synthi 100 à disposition des musiciens intéressés ».

Promenade de synthé pour Soulwax:

Le nain et le colosse

Dès le départ de l’aventure EMS, l’argent est le nerf de la guerre. Ce fut même la raison d’être de la firme, fondée par Peter Zinovieff. Au milieu des années 60, ce fils d’aristocrates russes ayant fui la révolution bolchévique, né à Londres en 1933, a une idée fixe: mettre l’informatique au service de la musique. Grâce à sa femme, qui n’a pas hésité à revendre sa tiare de mariage, il réussit à s’offrir non pas un, mais bien deux ordinateurs -le premier particulier au monde à se permettre ce luxe. Il les installe dans l’abri qu’il a construit dans le fond de son jardin, et commence ses expériences, bientôt rejoint par le brillant ingénieur David Cockerell. Leurs recherches attirent vite pas mal de monde. Mais sans que cela ne rapporte grand-chose. Le duo se met alors en tête de commercialiser un synthé pour renflouer les caisses et fonde EMS, pour Electronic Music Studios. L’idée est de concevoir une machine simple et abordable. Afin de garder les prix plancher, ils font même les magasins de surplus de l’armée, récupérant notamment des petits joysticks d’avions téléguidés. Résultat: dès sa sortie, le VCS3 est un immense succès. Il sera utilisé par Brian Eno, Pink Floyd, les Who (sur Won’t Get Fooled Again) ou encore le jeune Jean-Michel Jarre qui, pour acquérir ce qui sera son tout premier synthé, fera le trajet jusqu’à Londres, chez Zinovieff. Comme il l’explique dans sa récente autobiographie, celui-ci « construisait le fameux instrument fer à souder en main dans sa salle à manger, pendant que sa femme, aussi hippie que lui, laissait leurs deux enfants infernaux s’envoyer de vraies fléchettes à travers la pièce ».

Deux ans plus tard, EMS sortira le Synthi 100, d’un tout autre calibre. Assemblage de trois VCS3, c’est un colosse, destiné surtout aux institutions. En 1979, l’IPEM acquiert l’un des derniers exemplaires pour 1,5 million de francs belges. L’institut n’en fera cependant jamais grand-chose. Quand Constantin Papageorgiadis le récupère, l’instrument végète dans un local. « Il était entreposé à côté d’une pièce où étaient stockés des hectolitres d’eau de mer. Au point que les connecteurs se sont retrouvés complètement encrassés, la tête recouverte d’une croûte de sel. Il a fallu tous les nettoyer. »

Aujourd’hui, le Synthi 100 a retrouvé une nouvelle jeunesse. Il reste un objet rare, objet de fantasmes pour beaucoup, toujours aussi compliqué à manoeuvrer. En 2017, en duo avec le Japonais Yoshio Machida, Constantin Papageorgiadis a sorti un disque de musique improvisée avec le synthé XXL. « Mais ce n’est pas forcément le modèle d’EMS que je préfère. Il reste énorme, pas très pratique. Quand on tourne un bouton d’un côté, c’est compliqué d’atteindre celui qui se trouve à l’opposé. » Le monstre est capricieux. Les frères Dewaele sont les premiers à le reconnaître. Certains des morceaux sont ainsi nés « en laissant la machine jouer par elle-même, nous donnant l’inspiration pour construire quelque chose à partir de son chaos. » Le chant de la machine…

EMS Synthi 100, Deewee Sessions Vol. 01, distribué par Deewee. ***(*)

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