Top modèles: l’histoire derrière cinq synthés de légende

TRAUTONIUM (1929)
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Alors que la célèbre marque Moog explique s’être inspirée de machines des années 30 pour son dernier synthé, retour sur cinq « claviers » légendaires.

TRAUTONIUM (1929)

C’est un peu le cousin allemand du thérémine russe ou des ondes Martenot françaises. Il est l’oeuvre de Friedrich Trautwein. Né en 1888, ce licencié en physique est fasciné par les ondes. Officier radio pendant la guerre de 14-18, il participe au lancement de la Vox-Haus, où s’installera la première radio allemande. En 1929, il imagine son Trautonium, sorte de gros secrétaire rempli de boutons, avec en guise de clavier, un fil tendu au-dessus d’une réglette. Dès que l’un touche l’autre, un son est produit. Commercialisé alors que l’Allemagne est laminée par la crise, l’instrument fait un flop. Il faudra qu’Oskar Sala, jeune étudiant au conservatoire de Berlin, se penche dessus pour qu’il acquière une certaine notoriété, grâce à des oeuvres qui seront jouées dans toute l’Europe.

Entendu dans: Les Oiseaux. Après avoir « pimpé » son instrument fétiche, rebaptisé Mixturtrautonium, Sala compose de nombreuses BO de films. Comme celle des célèbres Oiseaux d’Hitchcock, dont les cris seront reproduits par les glissando de la machine.

RCA MARK II SOUND SYNTH aka Victor (1957)
RCA MARK II SOUND SYNTH aka Victor (1957)

RCA MARK II SOUND SYNTH aka Victor (1957)

A priori, l’engin ressemble davantage au tableau de commande d’une centrale nucléaire qu’à un synthétiseur. Considéré comme le premier synthé programmable, Victor de son petit nom a été conçu par deux ingénieurs de la puissante RCA (Radio Corporation of America). Au début des années 50, Harry Olson et Herbert Belar réussissent à convaincre leur patron de financer le projet d’un ordinateur qui jouerait tout seul de la musique. Plus intéressé par le boum de la télé, et effrayé par les réactions des syndicats de musiciens, la RCA refile cependant vite le bébé à l’Université de Columbia. Ancêtre du séquenceur, la machine restera lourde à piloter, fonctionnant avec des cartes à perforer qui demandent de longs calculs. Elle titillera malgré tout l’imagination de nombreux compositeurs, a fortiori ceux évoluant dans la musique concrète et sérielle.

Entendu dans: Edgar Varèse sera l’un des nombreux visiteurs du studio de Columbia, dans lequel il viendra réenregistrer une seconde version de Déserts.

MINIMOOG (1969)
MINIMOOG (1969)

MINIMOOG (1969)

C’est probablement le synthétiseur le plus iconique de l’Histoire, celui qui va sortir l’instrument de la case expérimentale pour le propager dans le grand public. Jusque-là, le synthétiseur, coûtant une fortune et compliqué à manipuler, était en effet réservé à des blouses blanches ou des musiciens geek. Avec son fonctionnement simplifié, le Minimoog est au contraire accessible à tous -il est d’ailleurs vendu dans les magasins d’instruments, et plus seulement sur catalogue.

Robert Moog le conçoit comme une version simplifiée de son modèle-phare, qu’ont notamment popularisé les Beatles ou Wendy Carlos en 1968, avec ses reprises de Bach (Switched-On Bach). Fort de ce succès, le patron imagine un synthé plus maniable, quitte à ce qu’il soit en grande partie préprogrammé. Comme l’explique Laurent de Wilde dans Les Fous du son (éditions Folio), « (Les musiciens) veulent un instrument qu’on peut jouer tout de suite et si ça veut dire abandonner un peu de leur liberté en ingénierie sonore, ça ne semble pas très grave. » Et d’ajouter: « C’est comme passer d’un PC à un Mac: de l’ouvert au fermé, mais du laborieux à l’intuitif. » De fait, dès sa sortie en 1969, le Minimoog sera plébiscité, et plus seulement dans les milieux expérimentaux, mais bien dans la musique pop dont il participe à l’explosion.

Entendu dans: De Parliament (entre autres le morceau Flashlight) à Frank Zappa, de Sun Ra à Kraftwerk (Autobahn), ou encore de Michael Jackson (Thriller) à Pink Floyd, qui n’a pas utilisé le Minimoog?

ELECTRONIUM (1969)
ELECTRONIUM (1969)

ELECTRONIUM (1969)

Impossible de passer à côté de Raymond Scott. Musicien, compositeur, producteur, ce fils d’émigrants juifs russes, né en 1908 à Brooklyn, est un cas unique. Pianiste capable d’officier aussi bien dans le classique qu’à la tête d’un orchestre swing, de créer des jingles de pubs ou des bruitages pour Bugs Bunny, il fourmille d’idées. Précurseur de l’ambient -la série Soothings Sounds for Baby-, il passera sa vie à concevoir une machine capable de composer seule: l’Electronium. Piégé par son obsession, Scott ne réussira cependant jamais à y mettre la touche finale.

Entendu dans: officiellement, l’Electronium n’a produit aucun hit. À moins que? En 1969, Berry Gordy, patron de la Motown, découvre l’instrument. Fasciné, il propose à Scott de rejoindre ses troupes, avec un objectif clair: prolonger le règne du label qui, des Supremes à Marvin Gaye, a produit des tubes à la chaîne. Si les recherches de Scott épuiseront la patience de Gordy, elles intrigueront pendant longtemps les artistes maison, en particulier un certain Michael Jackson.

ARP ODYSSEY (1972)
ARP ODYSSEY (1972)

ARP ODYSSEY (1972)

Dans les années 50, Alan Robert Pearlman est ingénieur à la Nasa. Vingt ans plus tard, son premier synthé, l’ARP 2500, permet à François Truffaut d’établir la connexion musicale avec les extraterrestres dans Rencontres du troisième type… Entre-temps, Pearlman a lancé sa société et fabriqué plusieurs modèles fameux, dont le 2600 (qui sera notamment utilisé pour créer la voix de R2-D2 dans Star Wars). Développé dans la foulée, l’Odyssey, plus petit et compact, se présente comme le concurrent du Minimoog. En outre, il est vendu comme le premier synthé duophonique -capable de jouer deux notes à la fois. Certes, il ne peut compter que sur deux oscillateurs (contre trois sur le Moog), et le filtre ARP est souvent considéré comme moins performant par les spécialistes. Cela n’empêchera pas l’Odyssey de devenir le best-seller de la marque.

Entendu dans: la ligne mélodique de Gimme Gimme (A Man After Midnight) d’Abba. L’intro de Chameleon d’Herbie Hancock, aussi.

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