Premier album pour ascendant vierge, duo techno pop: « On travaille encore à l’ancienne »

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Techno sous speed, voix acrobatiques et mélodies pop criardes: avec son premier album, le duo ascendant vierge imagine une pop comme on pratique un sport extrême. Explications avec ses deux instigateurs, Mathilde Fernandez et Paul Seul.

À en croire la plupart des spécialistes, les Vierges seraient: précises, méthodiques, scrupuleuses. Discrètes aussi, voire réservées. Pour le coup, pas certain que cela colle au duo formé par Mathilde Fernandez et Paul Seul. Ou à leur musique. Précis, on veut encore bien. Mais timides, les morceaux d’ascendant vierge?

Prenez Influenceur, le titre qui reste encore à ce jour le plus écouté du binôme sur les plateformes. Il démarre par une voix monocorde -celle de Mathilde Fernandez- qui semble narguer le beat martial, avant de déraper vers les aigus et vriller sur la montée de synthés trance, façon La Callas transformée en diva happy hardcore... Publié en 2022, au moment précis où la pandémie avait tué toute idée de bamboche collective, Influenceur a servi en quelque sorte de cheval de Troie à ascendant vierge. Il a ouvert la voie à un “culte”. Quand ascendant vierge le joue pour la première fois sur scène, entre deux confinements, le duo est saisi: devant lui, le public saute dans tous les sens, hurlant par cœur les paroles

Cet emballement se concrétise aujourd’hui dans un premier album, Une nouvelle chance, et une tournée conséquente. Après un concert sold out le 24 mai dernier à l’Ancienne Belgique, Mathilde Fernandez et Paul Seul joueront au prestigieux festival Primavera à Barcelone et au Pukkelpop le 18 août prochain. La hype est là, le courant est porteur. Dans les faits, le succès du duo résulte toutefois moins d’un plan malicieusement établi, que d’un parfait alignement des… astres. Puisque cela fait un moment que les deux esprits agités ruminent leurs obsessions musicales. D’abord chacun dans son coin, avant une première collaboration il y a maintenant cinq ans.

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Vie rapide

En 2018, Mathilde Fernandez a déjà à son actif un projet de “yaourt indie” (sic), baptisé Bollyogurt, mélangeant hébreu, hindi et allemand, et des collaborations avec le groupe La Femme, pour qui elle a chanté aux côtés de Clara Luciani. Sous son nom, elle a également sorti un premier EP, Live à Las Vegas. Autoproduit, il a réussi à taper dans l’oreille de Christophe, intrigué par les élans lyriques de la chanteuse/musicienne/productrice.

Au moment de publier son EP suivant, Hyperstition, la Française basée à Bruxelles cherche à remixer l’un de ses morceaux. “Ça a toujours été l’une de mes grandes envies: faire danser. J’avais déjà essayé sur l’un ou l’autre titre. Mais sans vraiment avoir les compétences. À un moment, c’est d’abord une question de mix, de son, de fréquences, etc.” Un peu avant, elle est tombée sur un article qui parle de la compilation Inutile de fuir. Une collection de titres électroniques hardcore, concoctée par un collectif baptisé Casual Gabberz. “Je me suis intéressée au crew, avec tous ces artistes aux noms mystérieux.” Dans le tas, elle flashe sur Paul Seul, “le plus mélancolique d’entre eux”. Elle lui envoie alors un mail pour lui proposer de retravailler son morceau Oubliette. “Vingt-quatre heures plus tard, je recevais une proposition. Quelle efficacité incroyable, non?” Paul Seul: “À l’époque, je ne connaissais pas le projet de Mathilde. J’ai été tout écouter. Je l’ai découverte en même temps que je travaillais le remix.

Paul Orzoni, le producteur appose la griffe qu’il a mise au point avec Casual Gabberz. Fondé il y a précisément dix ans, le collectif parisien est, comme son nom l’indique, fasciné par l’esthétique gabber. Une techno hystérique made in Pays-Bas, tournant la plupart du temps autour des 150-160 BPM, voire davantage pour les plus tapageurs. “Gamin, j’avais un cousin qui en écoutait pas mal. Et puis on voyait souvent passer des pubs à la télé pour les compilations Thunderdome. Dans ma tête, j’associais ça aux films d’horreur, au metal, etc.” Plus tard, Paul Seul déménage aux Pays-Bas. “Par hasard, je me retrouve à bosser pour ID&T, qui est à l’origine de Thunderdome. Ils venaient de se faire racheter par (les Américains de) SFX, c’était un peu en train de péricliter. J’en ai profité pour leur demander si je ne pouvais pas monter une expo/soirée avec leurs archives, à Paris.” Il rentre donc en France. Et, en se lançant dans l’organisation de l’événement, découvre qu’il n’est pas le seul à être fasciné par le son hollandais: Casual Gabberz est né…

Art total

Résumons: ascendant vierge est donc le fruit de la rencontre entre le chant d’opéra de l’une et les rythmes convulsifs de l’autre. “On nous dit souvent, relève Mathilde Fernandez, que les deux univers sont très éloignés, mais pas tant que ça en fait. On a tous les deux cette appréciation des musiques dites “dures”. À 14 ans, je jouais par exemple du synthé dans un groupe de black metal. J’ai aussi toujours aimé les sonorités électroniques industrielles. Je le dis souvent, mais je suis une grande fan de Rammstein. Et puis, j’aime les voix très explosées, multifréquentielles, qui transpercent. Mes parents écoutaient beaucoup Lisa Gerrard de Dead Can Dance. Puis des artistes commé Kate Bush, Nina Hagen, Klaus Nomi, etc. Des projets avec des voix puissantes.

Pour présenter ascendant vierge, l’émission d’Arte, feu Tracks, a parlé de “Castafiore gabber” (Mathilde grince). Plus récemment, Libération décrivait: “Ascendant vierge a prélevé des organes sur Mylène Farmer pendant son sommeil et se déplace en gyropode, alimenté par l’énergie 100% renouvelable d’une compilation Mega Tuning exhumée tout au fond d’une crypte par des centaures mi-camions mi-Ace of Base.” Gloups. Le fait est que la description est à peine exagérée. C’est vrai que les morceaux du duo ressemblent souvent à des mutants, des créatures aussi plastiques que viscérales, comme constituées par un algorithme qui aurait tourné fou. À quoi carburent-ils? Reprenons dans l’ordre, pour validation par les intéressés.

ascendant vierge, à la recherche de la boite noire de la pop 2023.
ascendant vierge, à la recherche de la boîte noire de la pop 2023. © PAUL MARIQUE

Il y a d’abord la référence Mylène Farmer. Mathilde Fernandez toujours: “Je vois qu’elle est à nouveau très à la mode dans la presse… Je n’ai aucun de mal à en parler parce que je suis fan. Mais comme je le suis de Marilyn Manson, par exemple. En fait, j’adore son écriture, très poétique. Il y a tout le côté visuel également, ses clips sont envisagés comme des films. Et puis c’est aussi une très grande Vierge, très pointilleuse…

D’aucuns ont aussi rapproché ascendant vierge du courant hyperpop. Une étiquette que l’on retrouve moins ces derniers temps. “Tant mieux!, se réjouit Paul Seul. On se bat encore pour en enlever 15 par jour!” Même si, en bonus de leur album Une nouvelle chance, ils ont glissé leur remix d’On a Mountain de Danny L Harle, l’un des producteurs les plus emblématiques du genre. Un style avec qui ils partagent à tout le moins un goût pour pousser les curseurs au maximum… “Si en effet l’idée est de ne pas avoir peur de refrains entêtants, de constructions chargées, pourquoi pas… Mais j’ai l’impression que c’est une démarche qui est commune à beaucoup d’artistes, bien au-delà de l’hyperpop, qui reste, pour moi, liée à une scène très précise. S’en revendiquer, c’est comme si on s’incrustait dans une bande de potes à laquelle on n’appartient pas vraiment.” Mathilde Fernandez continue: “Et puis, dans leur volonté de pousser la parodie de la pop radio de ces 20, 30 dernières années, il y a une manière de tout rendre très artificiel, très synthétique, notamment dans le traitement de la voix. Or, chez nous, il n’y a aucun effet, elle reste complètement organique. Quelque part, on travaille encore à l’ancienne.

De fait, la voix d’ascendant vierge se passe de tout autotune ou autre traficotage vocal. Mathilde Fernandez n’a pas besoin de cela pour rendre ses arabesques spectaculaires, quelque part entre la Kate Bush de The Kick Inside et Armande Altaï. Elle a d’ailleurs appris le chant lyrique. “Je voulais acquérir la technique. J’avais l’impression que si je réussissais à chanter des opéras, je pourrais tout chanter. Ce qui est évidemment faux. Cela étant dit, ce qui m’intéresse aussi dans l’opéra, c’est que c’est un art total. Il y a des acteurs, des costumes, des lumières, etc. Au départ, je voulais être metteuse en scène. C’est d’ailleurs pour ça que je suis arrivée à Bruxelles, pour me rapprocher de compagnies dont j’étais fan, comme Peeping Tom.

Finalement, la musique va prendre le dessus. Mais la volonté d’imaginer tout un univers global est restée. L’autre jour, on nous a dit qu’on était AV.” Non pas pour ascendant vierge, mais “pour audio-visuel”. “Et c’est très vrai. On a une culture de l’image très importante. J’ai suivi des études d’arts visuels aux Beaux-Arts, Paul a fait les arts appliqués, a une formation de graphiste. Donc oui, rien n’est laissé au hasard. Y compris dans les réseaux sociaux, où l’on essaie de rester créatifs.

La grande catharsis

Enfin, il reste la référence gabber -et ses différentes déclinaisons plus ou moins voisines, du hardstyle à la trance. Longtemps, le genre a été dénigré, considéré comme une musique pour “ploucs”. Par un retournement dont la culture post-ironique du Web a le secret, le gabber est devenu ces dernières années nettement plus branché. Peu soupçonnable d’opportunisme, Paul Seul constate aussi: “C’est vrai qu’il y a eu beaucoup de changement dans la scène hardcore. Elle a été réévaluée par le monde de la techno. Et ce qui était choquant il y a dix ans passe mieux aujourd’hui. Le public s’est élargi. Mais ce n’est pas forcément plus mal. Je reste fasciné par le mouvement originel, qui était tellement fort, à l’avant-garde. Mais je ne veux pas faire non plus d’angélisme, notamment par rapport à certaines dérives politiques (identitaires, NDLR). Aujourd’hui, c’est plus ouvert. Des jeunes sont arrivés, avec de nouvelles approches, etc. Qui ont aussi permis des projets comme ascendant vierge.

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Un duo qui s’inspire donc de l’esthétique hardcore, mais sans s’y restreindre. On le sent, ascendant vierge est arrivé au point où le succès grandissant pourrait le réduire à une équation simple. En gros, un montage “monstrueux”, alliant voix lyrique et défoulement techno, alors que le binôme se revendique simplement pop. Paul: “Une grille d’interprétation qui me semble en tout cas dépassée, c’est de croire qu’on cherche à choquer en faisant des morceaux très durs. Alors que ce sont des musiques qui rassemblent énormément de gens. Et puis, c’est aussi nous dénier notre sincérité, que d’envisager ça comme une formule. Bien sûr, on reprend des codes. Mais comme ça se fait depuis toujours dans la musique.

C’est sans doute pour cela aussi que, pour leur premier album, ascendant vierge a tenu à élargir le spectre. Par petites touches, certes. Mais à la couleur dominante sont venues s’ajouter de nouvelles nuances. Il ne faut pas gratter non plus très loin pour voir que, sous les kicks cathartiques, ça grince sévère. “Notre premier EP, Vierge, rappelle Mathilde, s’ouvrait déjà avec Impossible mais vrai, qui est assez désenchanté. Que voulez-vous, c’est inévitable quand deux mélancoliques se rencontrent!” (rires) Si, comme le présentent certains, ascendant vierge est bien une icône de la génération Z, il s’agit alors moins des vingtenaires auto-entrepreneurs décomplexés que de ceux qui voient le grand effondrement se rapprocher, entre anxiété écologique et précarité économique. On danse, certes, mais au bord du chaos. “Franchement, qui est super bien dans sa tête en 2023?”, sourit malicieusement Mathilde. Une nouvelle chance donc? Dans le morceau éponyme, Mathilde chante: “Répare, sans regain d’espoir. Tandis que plus loin, sur Juvénile, elle évoque l’anesthésie générale: “Tout m’est égal en général.” Ou, comme dirait l’autre, Nevermind

Notre critique d’Une nouvelle chance, premier album d’ascendant vierge

Aussi catchy que clivante, la musique-commando d’ascendant vierge reste probablement à expérimenter en priorité sur scène –In real life, IRL, pour reprendre le titre qui ouvre l’album. Le duo en est conscient. Sur disque, il en profite donc pour expérimenter d’autres saveurs. Comme par exemple sur les orchestrations psyche trance d’Au top, les rondeurs pop de Slowlita, voire les humeurs reggae-dub d’Aimer sur le long terme. Dans tous les cas, ascendant vierge a du mal à ne pas cacher ses angoisses, B.O. d’une époque aussi hystérique que paumée -“au travers de la grille, je me sens libre virtuellement/tant pis pour le monde et pour son réchauffement”, sur Juvénile

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