Girls in Hawaii, la vie après la mort

Girls in Hawaii © Olivier Donnet
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Trois ans après le décès de leur batteur Denis Wielemans, les Girls in Hawaii renaissent avec Everest, un album aérien, lumineux et enneigé. Grand comme une montagne.

Printemps 2010. Lionel Vancauwenberghe est revenu d’Islande. Il s’en est allé écrire dans un hôtel vide, sur un fjord, en plein hiver nordique. Les Girls in Hawaii pensent rapidement entrer en prémaquettage et repartir en studio quand la mort frappe à la porte. Elle l’enfonce même dans toute son inéluctable cruauté. À 27 ans, leur batteur, le rayonnant Denis Wielemans, s’éteint dans un accident de la route. L’avenir des Girls est en suspens. Incertain. Presque anecdotique.

Comme toujours dans ces cas-là, chacun tente comme il le peut de se reconstruire. De faire son deuil. Lionel, Daniel et Brice continuent de se voir. De jouer ensemble. D’enregistrer quelques morceaux… « Un peu l’acte désespéré pour garder le truc à flots, raconte Lio. Ça a duré quelques mois. Mais dans la tête de tout le monde, c’était fini. Assez vite, j’ai eu le réflexe de me demander ce que représentait la musique quand tu traverses un drame pareil. Ton ami n’est plus là, et du coup ton beau jouet est cassé… Perso, j’ai essayé de renouer avec mes premières amours, de continuer à écrire. Je me suis retrouvé avec des chansons très joyeuses, très lumineuses, très courtes, très pop… Le genre de choses que je faisais au début du groupe. J’ai opéré un retour à ce qui m’était essentiel. Vécu ce qu’on peut appeler une réappropriation de soi. »

Le frère de Denis, Antoine, chanteur et guitariste, cherche du réconfort ailleurs. « Se voir en groupe, se retrouver au local m’était vraiment douloureux, se souvient-il. Tu as envie de jouer ensemble, de voir ce que tes idées donnent et il te manque un batteur. Ça faisait vraiment: tout le monde est là sauf Denis. On a répété avec Daniel (Offermann, le bassiste des Girls, ndlr) derrière les fûts mais c’était déprimant. Du coup, on jouait une heure. On buvait des cafés. L’ambiance était hyper plombée. »

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Acte thérapeutique

Antoine comprend que ce n’est pas ce qu’il lui faut. Qu’il a besoin de temps. De recueillement. « De vivre de mon côté. Loin. Dans une tristesse et une pensée quotidiennes à mon petit frère. J’avais monté sa batterie et tous les jours, je passais une heure à en jouer en pensant à lui. Je devais vivre ça intensément. Je n’avais pas envie de me confronter aux gens. De rester à Bruxelles et de devoir me forcer à être de bonne humeur ou un peu positif. J’avais aussi peur de traîner dans les cafés à me saouler la gueule tous les soirs. »

Antoine décide de s’enfuir dans les Ardennes. En pleine nature. Au grand air. Il se promène. Se perd dans ses pensées. S’adonne à la lutherie. « Je me suis installé dans une petite maison, avec des amis qui habitaient juste à côté. J’ai vécu plus ou moins avec eux au rythme de la campagne. » Deux ou trois heures par jour, il s’installe dans son petit studio, joue un peu de musique. « Ça a commencé à revenir après quelques mois. Il y a eu quelques instants, quatre ou cinq, d’intense joie et de véritable excitation. Pendant un an, je n’ai rien foutu. Et à force de ne rien faire, j’ai senti qu’il était temps que je mette quelque chose en place. Il est compliqué de se dire qu’on va changer de vie. Que c’en est fini de la musique. Il y avait un truc pas résolu. Et je savais que tant que je n’essaierais pas vraiment, je resterais sans réponse. »

Les deux hommes s’encouragent à distance. « J’étais dans les Ardennes, Lio à Bruxelles, mais grâce à Skype, le matin, on se buvait un café et on se grillait une clope comme on l’aurait fait à Saint-Gilles. On essayait un peu de se motiver: « Qu’est-ce qu’on va faire aujourd’hui? » On se lançait des petits défis: « Ok, pour demain, on écrit une chanson sur un endroit géographique qu’on aime bien et qui évoque Denis. » C’est ainsi qu’est né Switzerland. Lio l’a écrite en regardant une photo que notre ami Olivier Cornil avait prise sur une aire d’autoroute en Suisse. Avec les neiges éternelles derrière. »

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La matière s’accumule. Antoine enregistre une petite dizaine de titres dont il ne sait pas trop quoi faire. « Sortir ça en solo? Ou avec le groupe? Je n’avais pas envie de concessions. Certaines chansons étaient trop importantes. Elles avaient participé à un acte un peu thérapeutique. Je n’avais pas envie de tomber dans une espèce de compétition musicale, dans un pur intérêt d’arrangement ou d’idée. Elles avaient une valeur de témoignage. Si le groupe était touché, c’était le bon point de départ pour un disque, si pas, je voulais les exploiter de mon côté. »

Parmi elles, il y a déjà Changes Will Be Lost, Here I Belong, Not Dead, Head On ou encore Mallory’s Heights (l’histoire de deux alpinistes qui, en juin 1924, furent vus pour la dernière fois à 300 mètres du sommet de l’Everest, ndlr) qui figurent aujourd’hui sur l’album. Toutes sont d’une manière ou d’une autre liées à Denis. « Chaque titre que j’écrivais y faisait écho. Etait inspiré par sa disparition. Même quand ils étaient assez vagues ou écrits de manière automatique. Je tenais forcément à ce que l’album y soit attaché. Je n’aurais pas compris qu’on puisse enregistrer un disque sans en parler. Par contre, on en a pas mal discuté après, Lio se sentait moins légitime à évoquer le sujet. »

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« J’avais peur qu’on se retrouve avec deux albums solos, confirme Lio. Parce que les textes d’Antoine étaient très personnels. Que je n’étais pas le frère de Denis. Je n’arrivais pas à me positionner. Je n’avais pas envie de gâcher tout son travail. Que notre disque ressemble à un building mal fait. Avec le temps, je ne sais pas comment on y est parvenu mais on est arrivé à assembler un beau puzzle, à tisser un joli motif. »

Lionel a amené des moments plus dynamiques, lumineux, qui allègent le propos du disque. « On n’avait pas non plus envie d’un album plombé, lourd, qui ne parle que de ça. D’un album déprimant, note Antoine. On a d’ailleurs essayé de le transcender dans la production. D’ouvrir jusqu’aux chansons plombées. »

« On ne peut pas dire qu’on a pensé à Denis pendant tout l’enregistrement mais ce qu’on a donné, c’est peut-être aussi une réflexion sur ce qu’il était. On se souvient de quelqu’un de lumineux, de solaire. Et on voulait que le disque le reflète. »

L’Everest, la montagne, l’aérien, c’est aussi ce que les Girls ont essayé de traduire dans les ambiances et les arrangements de leur troisième album. « Avoir moins de guitares et de choses très boisées mais énormément de synthés, de nappes… Quitter le sol et les bois pour s’élever. »

Electro-Shock Blues

De manière générale, l’idée d’Everest (lire la critique du disque) a plutôt été d’effleurer le deuil, la disparition, la mort, que d’en faire le tour. Un sujet ambigu, complexe… « Il faudrait écrire des bouquins et des bouquins sur la question, juste pour décrire les émotions par lesquelles tu passes, reprend Antoine. Ce que ça provoque en toi de négatif, de positif. Ce que ça te pousse à faire de ta vie. C’est juste impossible à résumer dans un disque. »

Si le décès d’un proche et le deuil, sujets on ne peut plus universels, ont profondément marqué l’histoire de la musique, et ce depuis la nuit de temps, les Girls ont surtout été profondément touchés par Eels, son album Electro-Shock Blues et son leader Mark Oliver Everett.

« C’est le seul disque de deuil que je trouve vraiment super, s’emballe Lionel. La première chanson, Elizabeth On The Bathroom Floor, dans laquelle il raconte qu’il retrouve sa soeur suicidée dans la salle de bains, est incroyable. Toute calme. Quelle pudeur, quelle beauté de revenir avec une musique si douce, si légère, si féérique. C’est quelque chose qui m’a marqué même si le disque est un peu rêche. E, c’est typiquement le mec du deuil. Il a construit sa vie là-dessus. »

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Ils ont aussi lu son bouquin Tais-toi ou meurs, il y a deux ans et demi. « Au moment où on envisageait d’écrire pour voir ce que ça donnerait, précise Antoine. Où on recommençait doucement à imaginer qu’on avait peut-être envie d’enregistrer un disque. C’est une période pendant laquelle on a été confronté à beaucoup de découragement. Quand tu essaies et que tu te rends compte de l’ambiance, des difficultés que ça génère. Un jour, tu y crois. Le lendemain plus. C’est vraiment une période compliquée et son livre nous a donné la pêche. On l’a dévoré en trois heures chacun. Quand tu le refermes, tu n’as qu’une envie: empoigner ta gratte. »

A la fin des années 90, Everett a connu une sale série noire. Sa soeur s’est suicidée. Sa mère a été emportée par un cancer du poumon… Sa tante est ensuite morte dans les attentats du 11 septembre.

« Ce mec a vécu un tas d’expériences douloureuses et il a toujours réussi à en faire quelque chose musicalement. A s’exprimer comme ça. Parce que ça l’a vraiment aidé. Parce qu’il s’est retrouvé tout seul comme un con à être triste. Et que finalement, il a pris une guitare. L’a un peu chanté. Et que ça a créé des albums. »

Après avoir enregistré leurs deux premiers disques dans des maisons converties en studio, les Girls s’en sont allés mettre Everest en boîte à La Frette, un grand manoir aux portes de Paris en compagnie de Luuk Cox, le leader de Shameboy. « Il nous a demandé d’être ouverts à ses idées. De ne pas rester figés sur les nôtres. Pas parce qu’on pense qu’elles seraient meilleures mais parce que nous y sommes habitués. Plusieurs fois, il nous a dit:« Je suis producteur de disque. Allez travailler ou faire un tour. Je vais aller au bout de mon idée. Et revenez en fin de journée. » Ses interventions, ses essais ont laissé pas mal de place à Daniel, Brice et François (Gustin, qui a remplacé Christophe Léonard aux claviers, ndlr). Luuk nous a ouvert l’esprit. »

Dans un premier temps, les Girls espéraient se faire produire par Tchad Blake (Elvis Costello, Al Green, Pearl Jam, les Black Keys…). « Notre éditeur, Thomas, a vite perçu et compris que nous avions besoin d’aide. Nous avons posé une série de noms sur papier. Genre inaccessibles, comme Nigel Godrich. Il nous a dit: « Moi je vois un truc envisageable qui vous irait bien: Tchad Blake. »« 

« Ça fait des années que je le suis. Que ce soit à travers les disques de Lisa Germano ou l’album Black Rider de Tom Waits que j’adore, se réjouit Lio. Blake est un touche-à-tout. Il a un son puissant et sait construire des cathédrales. Très rêveur. Très éthéré. Un peu brouillé. Il a une patte de dingo. »

Le bonhomme est toutefois impayable. « Il nous a un peu dégagés. Par contre, il nous a dit que mixer l’intéressait et qu’il était beaucoup plus raisonnable au niveau des prix. Il n’a plus envie d’être un mois et demi en studio avec des groupes. Il habite à la campagne. S’occupe pendant la moitié de sa vie de chevaux malades qu’il accueille chez lui. Il est américain et vit en Angleterre. Il a le côté texan, propriétaire terrien… Vraiment un ancien cowboy. »

Jusque dans ses méthodes. « Il ne répondait jamais à nos mails. Même pas un accusé de réception pour confirmer qu’il avait reçu nos morceaux. Il a fini par dire à notre éditeur:« J’ai reçu des trucs de plein de gens différents. Ça me fait chier. Je ne sais pas qui est qui. Je n’ai pas envie de parler à 10.000 kets différents. » Il nous a backés comme des vieilles merdes. Après, il a envoyé ses tarifs: les mixs, c’est autant. Vous pouvez envoyer trois remarques. Là, je le fais gratuit. Mais après, vous payez. 600 dollars la journée. Au final, il n’était pas si dur que ça. Mais il se protège à mort. Pour s’assurer, je pense, que tu es prêt à le laisser libre de ses mouvements. »

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Après une mini-tournée en Chine, quelques dates en France et en Suisse, les Girls ont brillamment renoué avec la scène belge au Pukkelpop et s’apprêtent, avec Boris Gronemberger (VO) derrière les fûts, à embarquer pour une longue tournée belge et européenne. Prêts à soulever des montagnes.

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