Feeërieën: Harry Smith, le collectionneur

Harry Smith à Greenwich Village, en 1965. © DAVID GAHR/GETTY IMAGES
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Aux Feeërieën, The Golden Glows présenteront leur réinvention de l’Anthology of American Folk Music dans un cycle rendant hommage à l’excentrique collectionneur Harry Smith.

Il a collecté les avions en papier, les oeufs de Pâques ukrainiens et les textiles des Séminoles, ce peuple amérindien d’Amérique du Nord. Né le 29 mai 1923 à Portland et mort à New York, au mythique Chelsea Hotel, le 27 novembre 1991, l’artiste d’avant-garde et cinéaste expérimental Harry Everett Smith était un rassembleur obsessionnel et compulsif. Un connaisseur amoureux qui sortit en 1952 une compilation depuis devenue culte de ses 78 tours. Considérée comme la bible de la musique folk américaine, Anthology of American Folk Music est entièrement composée de morceaux enregistrés entre 1927 et 1932. Plus de 80 titres de folk, de blues, de country dans lesquels The Golden Glows puisent la matière première de leur résidence live mensuelle à l’Ancienne Belgique. Après leur concert du 27 août dans le parc de Bruxelles, les Anversois se produiront tous les mois à l’AB Salon (comme ils l’ont fait en mai et juin) jusqu’en mars 2019 et un grand final dans la salle principale du 110 boulevard Anspach.

« Ce projet me trottait dans la tête depuis dix ans, explique Kurt Overbergh, directeur artistique des lieux. Je suis un grand fan d’Harry Smith. Surtout de sa compilation. C’est un panthéon du folk, du blues, de la country, du jazz. Des chansons qui sont devenues des standards, ont été reprises par Nick Cave ou encore les White Stripes… C’est aussi une collection qui, fait notable pour l’époque, mélangeait des Blancs et des nNoirs. Je voulais vraiment présenter ça à notre public. C’est aussi une réaction à notre monde de hipsters où la star d’aujourd’hui est déjà le has-been de demain. »

Portés sur l’époque, les Golden Glows étaient les ambassadeurs parfaits. Cela fait quinze ans maintenant que le trio se penche sur les racines de la musique populaire américaine (A Songbook from the 20’s) et les chansons pénitentiaires (A Prison Songbook)… Avant de plancher sur son hommage à Harry Smith, le groupe de Bram Van Moorhem avait d’ailleurs déjà monté une tournée autour du travail d’Alan Lomax. « Il y a une grande différence entre les deux, explique-t-il. Lomax faisait du field recording. Il enregistrait les gens chez eux, dans les champs. Harry Smith, lui, collectionnait. Il s’intéressait aux disques à une époque où tout le monde s’en foutait. Dans les années 50, personne n’avait de collection de 78 tours. Ils étaient trois, des mecs à Brooklyn avec des pipes et des barbes. La période allant de 1927 à 1935 représente l’âge d’or de l’American Folk Music mais avec la Grande Dépression, les gens n’ont plus eu assez d’argent pour en acheter… Par ailleurs, beaucoup de disques ont disparu. L’État réquisitionnant à des fins militaires la gomme-laque Shellac utilisée pour la production de vinyles… »

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Petit par la taille, Smith, qui pouvait se glisser partout, nettoie à l’époque des avions pour l’US Air Force et utilise son salaire pour s’acheter des disques. « Alan Lomax est le grand-père du folk américain. Harry Smith, lui, a fait une proposition artistique, suggestive… Sa compilation s’appelle Anthology mais c’est une sélection. Un point de vue. De la musique sortie commercialement. »

On y trouve du folk, des ballades anglaises, d’Écosse, d’Irlande transmises de génération en génération. Les débuts du jazz, un peu de blues… Smith s’est notamment inspiré d’une liste d’une centaine de références établie par son glorieux aîné. « Lomax était tombé sur une compagnie de disques qui avait fait faillite. Avec ses assistants, il avait tout écouté et jeté ce qui ne l’intéressait pas par la fenêtre (rires). Smith a puisé certains titres dans cette sélection et a eu recours à la numérologie et aux sciences obscures dont il était fan pour établir sa compilation. »

Leurs influences respectives? Compliquées à comparer, avoue Bram. « Lomax a découvert des artistes comme Muddy Waters. Sans lui, on n’aurait sans doute jamais eu les Stones par exemple. L’influence d’Harry Smith est plus difficile à quantifier, déjà parce que son travail a pris beaucoup de temps à être reconnu. Disons qu’elle s’est déclinée en deux temps. L’anthologie a reçu des Grammy Awards en 1997 à l’occasion de sa réédition en CD. Elle a marqué des artistes comme Beck et Jeff Tweedy. Et si elle ne s’était pas bien vendue au moment de sa sortie en 1952, elle avait déjà touché les musiciens du Greenwich Village. Notre génération a Internet et peut trouver tout ce qu’elle veut sur YouTube. Mais Bob Dylan et Joan Baez n’avaient pas accès à tout ça. Smith les a mis en contact avec leur héritage musical. »

En attendant Sam Amidon

Pour leur work in progress à l’Ancienne Belgique, les Golden Glows ont donc puisé çà et là parmi les titres de Dick Justice, Mississippi John Hurt, Charley Patton et autre Jilson Setters… « Ce ne sont pas tout à fait des reprises. On essaie d’amener quelque chose d’original. On a trois voix, des harmonies, des arrangements. On a repris une murder ballad plutôt joyeuse de la Carter Family par exemple. On l’a adaptée en mode mineur et lent pour en faire une chanson plus triste et dramatique. »

Toujours très méthodique et réfléchi dans sa douce folie, Kurt Overbergh a établi une liste de dix principes pour sa série d’événements. Histoire d’élargir le spectre tout en fixant les règles du jeu. « Je permets par exemple aux artistes d’incorporer des morceaux de leurs propres chansons que l’Anthology aurait influencés. Ou de prendre des B-sides des titres compilés par Harry Smith. Une des règles dit qu’il ne faut pas copier les morceaux mais en toucher l’essence. » Les Glows se servent de leurs concerts comme d’un laboratoire. Ils font évoluer les titres et en proposent au moins un nouveau chaque mois… La suite du projet est déjà en préparation. « Chaque année, à mon avis pendant six ou sept ans, nous allons demander à un artiste de puiser dans l’anthologie les morceaux qu’il désire et l’inviter à les présenter chez nous, achève le directeur artistique. Nous avons confirmé Sam Amidon pour l’an prochain. Et j’en ai notamment déjà parlé à Bill Callahan, Billy Bragg, Jeff Tweedy de Wilco, Guy Garvey d’Elbow et Phil Elverum de Mount Eerie. Ils se sont tous montrés très intéressés. »

The Golden Glows Presents The Anthology of American Folk Music, le 27/08 au Parc de Bruxelles (Feeërieën). Entrée gratuite.

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