Crimes dans la discothèque (6/6) : Euronymous, petit meurtre entre amis

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Euronymous a prévu de me paralyser avec un pistolet à impulsion électrique, de m’attacher et de me torturer à mort en filmant la scène. S’il en avait parlé à tout le monde, je ne l’aurais pas pris au sérieux mais il ne s’en est vanté qu’à un petit groupe d’amis. L’un d’ eux, Samoth, le guitariste du groupe de black metal Emperor, m’a prévenu. Je ne veux pas crever comme ça. Encore moins laisser le plaisir à Aarseth de revivre ma lente et douloureuse agonie quand bon lui semble. Il a prétexté un contrat à signer qui nous permettrait de rompre tout contact pour organiser une rencontre et me tendre un piège. Je prends les devants. Je suis nerveux. On est le 10 août 1993. C’est la nuit. Avec Blackthorn, on vient de se taper en bagnole les sept heures qui séparent Bergen d’Oslo.

Je ne veux pas crever comme ça. Encore moins laisser le plaisir à Aarseth de revivre ma lente et douloureuse agonie quand bon lui semble.

Je m’appelle Kristian Varg Vikernes. Mon père est ingénieur en électronique. Ma mère bosse dans une entreprise pétrolière. En 1990, alors que je n’avais que 17 ans, j’ai rejoint la capitale et toute la clique qui gravitait autour de Mayhem. Death, thrash… Le métal était mort. Vidé. Usé. Cramé. Et nous, on voulait tout bazarder. Pas juste démolir le rock dur, détruire aussi cette saloperie de société. Quand le pays dans lequel vous grandissez n’est pas celui que vous voudriez, il faut en changer, non? Mais pour ça, il vous faut commencer par effacer ce qui existe.

Avant que je débarque, Dead se scarifiait devant le public et le groupe jetait parfois du sang de porc dans la foule. Mais c’est moi qui ai transformé cette bande de métalleux un peu excessifs en groupuscule idéologique. Je crache sur le modèle chrétien et l’Eglise d’Etat à la norvégienne. Je vomis les flics, les Juifs, plus généralement les immigrés. Pour moi, être qualifié de raciste n’est pas une insulte mais un titre honorifique. Ce que je déteste voir par-dessus tout, c’est cet imbécile de petit homo, jadis membre des jeunesses communistes, s’ériger en maître de l’extrême et du black metal scandinave. Tout ça pour quoi? Parce qu’il a son propre label et parce qu’avec le fric de ses parents, il a ouvert un magasin de disques en bordure du parc Grønland? On vient d’enregistrer ensemble un album de Mayhem sur lequel je joue de la basse et lui de la guitare: De Mysteriis Dom Sathanas. Je ris jaune en voyant toute sa petite cour se prosterner.

J’ai été relâché après deux mois faute de preuves tangibles, mais j’ai joué un rôle déterminant dans l’incendie de l’église en bois de Fantoft, monument national de 1150, symbole de la christianisation. Mes premiers albums en solo, sous le nom de Burzum, m’ont offert le trône. D’ailleurs, Euronymous me doit encore du pognon. Il ne m’a pas versé les revenus générés par la vente de mes disques.

Me voilà donc en bas de chez lui. Necrobutcher, l’ancien bassiste de Mayhem, dont il a été très proche pendant dix ans, avait l’intention de le buter mais il a changé d’avis. Jorn – parce qu’en Norvège les parents te trouvent pas des prénoms aussi cool que Necrobutcher – lui en voulait pour une sale histoire. Une histoire que même moi je trouve pathétique et glauque. A la mort de Dead qui s’était fait exploser la cervelle à coup de fusil, Euronymous avait pris des photos. Il s’est ensuite vanté d’avoir ramassé des morceaux de son crâne et de les avoir envoyés à des membres du fan-club. Jorn, ça l’avait sacrément foutu en rogne. Mais comme d’habitude, il s’est laissé amadouer.

Blackthorn fume une clope. Je sonne. Euronymous vit au quatrième étage. Un tas de trucs me passent par la tête. Comment en est-on arrivé là? Il est surpris. Je lui demande ce qu’il trame et il panique. Je comprends. Si tu prévois de buter quelqu’un et qu’il débarque chez toi à 3 heures du matin, t’es pas forcément à l’aise. Et la meilleure défense, c’est l’attaque. Du coup, il me balance son pied dans l’estomac. J’aurais dû m’y attendre. J’ai mal. Je suis sonné. Il est en caleçon. Je l’attire au sol. Une lampe s’est fracassée par terre et les éclats de verre tailladent son corps, faisant couler son sang sur le parquet et teintant de rouge encore chaud mes vêtements. Quand il parvient à se dégager et fonce chercher un couteau dans la cuisine, je sors le mien et je le poignarde. Il essaie de se saisir d’un fusil, celui avec lequel Dead s’est fait péter le caisson. Mais j’arrive encore à le rattraper. Je fais pénétrer ma lame dans sa chair. Encore. Et encore. Certains, j’en suis sûr, mettront en doute la thèse de l’autodéfense. On a un pote qui est resté à la maison et qui a gardé ma carte de crédit pour aller louer une cassette vidéo. Mais c’est pour avoir un alibi au cas où les choses tourneraient mal. Faut mettre toutes les chances de son côté. D’ailleurs, j’ai 150 kilos d’explosifs et trois mille cartouches à la maison. Je les ai reçus pour défendre la Norvège, comme on ne peut pas faire confiance au gouvernement, à la famille royale et à l’armée. Je ne suis pas cinglé. Je ne serais pas allé me débarrasser d’un type avec un Opinel… En parlant de se débarrasser, il faut que je balance mes fringues souillées de son sang impur de poseur. «Blackthorn, arrêtons-nous là près du lac.»

De facto

22 mars 1968: naissance d’Øystein Aarseth, alias Euronymous, à Surnadal.

11 février 1973: naissance de Kristian Larsson Vikernes, à Bergen.

10 août 1993: Vikernes tue Aarseth de 23 coups de couteau, chez lui, à Oslo.

16 mai 1994: Vikernes est condamné à vingt-et-un ans de prison pour homicide volontaire et incendie d’églises.

24 mai 1994: sortie de l’album de Mayhem De Mysteriis Dom Sathanas, auquel les deux hommes ont participé.

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