Crimes dans la discothèque (5/6): Helen Hagnes, meurtre à l’opéra

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Acte 1. Elle ne s’y fait toujours pas. Elle, ici, dans ce temple de la musique classique qu’est le Metropolitan Opera de New York! Helen Hagnes a 30 ans, de longs cheveux blonds qui trahissent ses origines scandinaves. Elle est la fille de fermiers canadiens – des immigrés suédois venus élever des poulets du côté d’Aldergrove. Elle le sait, elle n’aurait jamais dû se retrouver ici, à intégrer l’un des opéras les plus prestigieux du monde. Pas que ses parents l’ont freinée dans sa passion pour la musique. Au contraire, ils se sont toujours saignés pour que la plus jeune de leurs trois filles puisse assouvir sa soif de musique – les trajets, une heure aller, une heure retour, pour la conduire en camion jusqu’à Vancouver pour ses leçons de solfège… Par la suite, Helen avait intégré la Juilliard School, étudié aux côtés du virtuose Nathan Milstein…

Il proposa à Helen Hagnes de l’emmener jusque-là, l’ascensceur était juste à côté, cela ne prendrait que quelques minutes…

Malgré cela, elle devait toujours se pincer pour y croire, chaque fois qu’elle allait s’asseoir dans la fosse. Ce soir encore. Ce 23 juillet 1980, le Met accueille le Staatsballett Berlin, avec ses invités stars: Rudolf Noureev, Valery Panov et sa femme Galina. Découpé en trois parties, le programme démarre avec LOiseau de feu de Stravinsky. Juste après, il est prévu d’enchaîner avec Les Cinq Tangos d’Astor Piazzolla. Sa présence n’étant pas requise, Helen en profite pour aller faire une pause en coulisses…

Acte 2. Combien en avait-il bu? Il ne s’en rappelait plus trop. Peut-être une dizaine? Peu importe. Le résultat était que les bières siphonnées par Craig Crimmins ne l’avait toujours pas allégé. Même le joint crapoté dans un local technique l’avait à peine détendu. Il sentait toujours autant la pesanteur des choses. Cette morsure d’une vie sans relief, il la supportait d’autant moins qu’il n’arrivait que difficilement à l’exprimer. A l’école, ses professeurs s’en étaient inquiétés – le kid ne disait rien, réservé à l’extrême. Ils avaient même proposé aux parents une rencontre avec le psychologue des services sociaux.

A 21 ans, le gamin du Bronx avait pourtant fini par s’en sortir. Ses parents avaient divorcé, il avait quitté l’école avant d’avoir pu décrocher le moindre diplôme. Mais il avait trouvé ce boulot de technicien à l’opéra. Ce soir-là, on y jouait LOiseau de feu de Stravinsky. L’histoire d’un oiseau d’or et de flammes, un être magique qui apporte tant la bénédiction que la malédiction pour celui qui le capture… Du moins s’il avait bien compris. En réalité, la musique classique n’était pas trop son truc. Il n’en écoutait jamais. Pas vraiment son monde. Sauf que son père travaille au Met comme électricien. Alors quand il lui a dégoté ce job, il n’a pas vraiment dit oui, mais il n’a pas pu dire davantage non. Toujours cette foutue incapacité à mettre les mots sur ce qu’il ressentait. Et, au fond, à savoir ce qu’il ressentait.

Qu’avait-il cru, par exemple, quand cette musicienne à la longue chevelure dorée s’est approchée de lui? C’était l’entracte. La jeune femme voulait savoir où se trouvait la loge de Valery Panov. Craig Crimmins n’en savait foutre rien, pas plus qu’il ne savait qui était le chorégraphe en question. Mais il proposa quand même à Helen Hagnes de l’emmener jusque-là, l’ascenseur était juste à côté, cela ne prendrait que quelques minutes…

Acte 3. L’inspecteur Jerry Giorgio avait fini par reprendre l’enquête. Plus d’un mois que le crime avait eu lieu et la police piétinait toujours. Du moins à en croire les journaux. Les gazettes de la ville suivaient de très près les développements de l’affaire. Faute d’éléments neufs, elles en étaient réduites à répéter en boucle l’histoire: après LOiseau de feu, Helen Hagnes avait quitté son siège pour gagner les coulisses. Trois quarts d’heure plus tard, au moment de reprendre avec l’orchestre, sa chaise était restée vide. A la fin de la soirée, la violoniste n’avait toujours pas réapparu. Son instrument était pourtant toujours là et son casier contenait encore ses vêtements de ville. On commença alors à fouiller le bâtiment. A 8 h 30, le lendemain matin, la police retrouva le corps d’Helen Hagnes, coincé dans une bouche d’aération extérieure, au sixième étage. Morte quelques heures plus tôt, la musicienne était nue, bâillonnée, ligotée…

Des crimes sordides, la ville n’en manquait pas. Les statistiques avaient même tendance à exploser en ce début de décennie. Mais que la plaie s’étende jusqu’à des lieux aussi renommés que le Met choquait tout le monde. Jerry Giorgio avait donc la pression. Mais aussi une série d’indices. A commencer par le nœud utilisé pour attacher Helen Hagnes, identique à l’un de ceux utilisés couramment par les techniciens de l’opéra.

Dans la liste des suspects, il y a justement un jeune employé de la maison. Avec sa tête de poupon, il n’a pas l’air bien méchant. Mais on a retrouvé ses empreintes sur le toit du sixième étage. Alors, ce matin-là, Jerry Giorgio est décidé à mettre le paquet. Le gamin du Bronx a déjà été interrogé précédemment, mais cette fois, face au travail de sape de l’inspecteur, il craque. Et raconte: comment, dans l’ascenseur, il a fait des avances à la violoniste ; «l’arrogance» avec laquelle celle-ci a refusé, comme s’«il n’était pas assez bien pour elle» ; jusqu’à quel point son attitude l’a fait vriller. A l’étage, il a essayé de la violer, elle s’est débattue. Il lui a ligoté les mains, scotché la bouche. Parce qu’elle continuait de résister, il a fini par la pousser une douzaine de mètres plus bas. L’aveu fut fait d’une traite. A vrai dire, Crimmins eut l’air plus surpris que l’officier de s’entendre raconter toute l’histoire, comme dépassé par ses propres mots. Là, dans le bureau de l’inspecteur, le fantôme de l’opéra découvrait qu’il avait aussi la parole…

De facto

23 juillet 1980: la violoniste Helen Hagnes, 30 ans, disparaît durant une représentation au Metropolitan Opera de New York. Son corps est retrouvé le lendemain matin, dans une bouche d’aération.

29 août 1980: Craig Crimmins, 21 ans, est inculpé de meurtre.

5 juin 1981: le jeune technicien est condamné à perpétuité, avec une peine minimale de vingt ans.

2022: après plusieurs refus, Crimmins peut à nouveau faire une demande de remise en liberté conditionnelle.

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