A l’aube revenant, le nouvel album de Francis Cabrel: « un regard sur les décennies qui galopent »

© Claude Gassian
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Cabrel sort A l’aube revenant, où son initial paradigme folk-rock prend d’autres couleurs. En visitant aussi la bio d’un fils d’ouvrier en phase de mélancolie ouverte.

Automne 2020 et que reste-t-il des classiques de la chanson franco-française des années 1960-1970? Christophe, Bashung et Hallyday ayant tiré leur révérence, résistent donc l’inoxydable Julien Clerc, l’exotique Lavilliers et, à temps très partiel, les vintage Dutronc et Eddy Mitchell. Tous septuagénaires. Et puis, toujours présent au temps filant, se pose Francis Cabrel, éternel gros vendeur de disques et de tickets de concerts. Un peu plus jeune que les précités (il est né en 1952), l’ex-moustachu du Sud-Ouest revient avec treize titres d’un album baptisé A l’aube revenant (1). Cabrel y rappelle bien qui sont ses héros tutélaires: dans J’écoutais Sweet Baby, il rend hommage à l’américain James Taylor, grand cardinal américain du folk-rock détendu du bulbe.

Au fil du temps, l’auteur-compositeur a affiné son provincialisme dans une sorte d’universalité biographique.

Mais contrairement à James, échalas hippie sorti du giron wasp d’une bonne famille de la côte Est, Francis est d’un tout autre milieu social. « T’as jamais eu mon âge/T’as travaillé trop dur toutes les heures/Du jour, à l’usine […] Et tout cela, pour que tes enfants mangent/Je le sais bien, j’étais là. » Dès la seconde chanson, Te ressembler, l’artiste évoque pleinement son chemin familial. Celui d’un père, ouvrier dans une biscuiterie, qui n’aura pas eu le temps de vieillir. Et d’une enfance en cluster – comme on ne le dit pas encore – dans une localité de 2.000 habitants du Lot-et-Garonne, Astaffort. Où il vit toujours avec femme et (trois) enfants. D’où un goût jamais démenti pour les sensations de la terre de France, proches et contagieuses dans les chansons. De plus en plus, puisque l’auteur-compositeur qui a vendu 25 millions de disques a, au fil du temps, affiné son provincialisme dans une sorte d’universalité biographique.

(1) A l'aube revenant, chez Sony Music.
(1) A l’aube revenant, chez Sony Music.

Choeurs laiteux

A l’aube revenant fait partie de ces disques où le chanteur d’un certain âge jette forcément un regard sur les décennies qui galopent. En particulier, les siennes. Tradition narrative d’ailleurs plutôt anglo-saxonne que française. Dans Les Bougies fondues s’installe le constat: « La poésie où il n’y en a jamais eu/Une barre d’immeubles me barre l’horizon/Ceux qui l’ont dessinée/Toujours pas en prison. » Pas que le sujet de l’amour ait disparu de l’horizon cabrelien, avec un scénario un rien retors où une rencontre charnelle croise le sort actuel des librairies et des livres, dans le finaud Difficile à croire. Quitte aussi à placer un thème semblable dans un autre siècle via un titre à l’intitulé un rien foireux, Fort Alamour, qui fait partie des quelques semi-ratés sémantiques du disque. Petits dysfonctionnements (il y a aussi ce bruit bizarre sur la plage titulaire qui ressemble un peu trop à un reniflement de vocaliste enrhumé) qui s’effacent devant la qualité globale des chansons et le soin que Cabrel y apporte: choeurs laiteux, diversités rythmiques, sensations organiques, arrangements parfaitement tricotés.

Comme si depuis la parution de son dernier album studio, In extremis, au printemps 2015, Cabrel avait décidé d’accorder plus d’espace non seulement aux musiques qui habillent ses morceaux mais aussi à son propre profil. Pas une fuite en avant mais plutôt une radiographie talentueuse qui fait penser, spirituellement, à A mon âge et à l’heure qu’il est, l’un des meilleurs albums de Julien Clerc, paru en 1976. Ou quatre décennies à l’avance, les chansons se regardaient dans cet effrayant miroir qui file sur l’autoroute de la vie.

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