Matthieu Thibault: “L’influence de Radiohead est musicale, artistique et commerciale”

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Certains en parlent et revendiquent leur filiation. D’autres les pompent, les samplent et les imitent… Ces 30 dernières années, les Anglais de Radiohead n’ont pas seulement conquis le grand public, ils ont infléchi le cours de la musique. Musicologue, enseignant et musicien, Matthieu Thibault vient de leur consacrer un ouvrage sobrement intitulé Radiohead, paru chez Le Mot et le Reste. Un ouvrage parfait pour se préparer au concert de The Smile, groupe de Jonny Greenwood, ce vendredi 15 mars à Forest National.

En quoi Radiohead qui n’a plus sorti d’album depuis 2016 a-t-il marqué à ce point la musique moderne?

L’influence de Radiohead est à la fois musicale, artistique et commerciale. Le groupe se distingue par sa mélancolie, sa voix en falsetto. Le mélange d’instruments acoustiques, électriques et électroniques. Mais son influence la plus marquante sur les 20 dernières années reste à mon avis le passage d’OK Computer à Kid A. Aujourd’hui, dans le phénomène musical pop, il y a cette idée qu’à un moment donné, quand on veut se renouveler, on intègre des éléments électroniques et on s’ouvre à d’autres musiques, à l’expérimentation. C’est quelque chose qui date des Beatles, de Revolver et de Sgt. Pepper. S’immerger en studio pour utiliser toutes les techniques d’enregistrements, tous les effets sonores afin de transformer sa musique. Et finalement en créer une qui n’est pas calibrée pour la scène. Bowie a fait la même chose avec Tony Visconti et Brian Eno sur Low et Heroes. Pour la jeune génération, ce modèle de renouvellement artistique, de virage à 90 degrés en studio, c’est Kid A. Le fait qu’Idles ait embauché Nigel Godrich, le producteur attitré de Radiohead, pour son nouvel album n’est pas anodin.

Leur influence ne se manifeste pas que dans le domaine du rock…

Dans notre époque postmoderne, on mélange tout. L’ADN est multiple. Même dans le r’n’b. Frank Ocean samplait Radiohead dès sa première mixtape. Et dans son falsetto, il n’y a pas que du Marvin Gaye et des musiques afro-américaines. Il y a aussi une appétence pour les mélodies de Thom Yorke. Il déclare qu’il a à la fois grandi avec D’Angelo et Radiohead. Pour toute une jeunesse née dans les années 90, ça ne pose aucun problème de mélanger les styles et les chapelles. Du coup, Radiohead fait partie des influences de musiciens rap et r’n’b. Kendrick Lamar notamment. Dans l’album To Pimp a Butterfly, sur le morceau How Much a Dollar Cost, il y a une extrapolation de Pyramid Song. Et l’usage du piano un peu jazzy et mystérieux vient clairement de Radiohead. Il l’assume.

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Pourquoi ce groupe de rock mutant a-t-il tant parlé aux gens?

Le parcours de Radiohead est parsemé de succès qui s’additionnent. Creep est un hit single à l’ancienne. Mais ils ont tout de suite voulu se détacher de la ballade grunge un peu simpliste et proposer une musique plus subtile, plus lyrique, plus sombre. The Bends et OK Computer sortent alors que la britpop commence à décliner. C’est le moment où Björk publie Homogenic. Portishead et Massive Attack rencontrent du succès. Il y avait une ouverture vers des sons plus science-fiction, plus électroniques… Ça résonnait en cette fin de siècle. En termes de paroles, Radiohead a parlé à une nouvelle adolescence. Aux jeunes adultes qui étaient passés de Kurt Cobain, la génération X, la haine de soi, à quelque chose de plus universel dans le monde occidental: la peur du futur et des nouvelles technologies. La peur d’être désocialisé. Et ça, c’était super en avance sur son temps. OK Computer parle d’être entouré mais seul. D’être éloigné par les nouvelles technologies et en même temps constamment relié. Après, il y a la voix de Thom Yorke, qui est quand même un élément émotionnel hyper fort. Arriver comme un Jeff Buckley à transmettre des émotions de manière fragile en étant un garçon.

In Rainbows nous renvoie davantage au marketing.

En effet. Ce sont mine de rien eux qui, en 2007, ont initié le dropping d’album, le disque qu’on sort un peu par surprise. Et c’est devenu un standard de l’industrie. Ça n’a l’air de rien aujourd’hui. Mais à l’époque, on préparait la sortie d’un disque avec des singles. On était dans une époque pré-Spotify, pré-Deezer, pré-streaming… Ils l’avaient fabriqué en secret. Leur contrat avec EMI avait pris fin. L’idée était de repartir au plus proche du public. Dès que le produit est fini, on le met sur Internet et on touche directement les fans. Des débutants le faisaient déjà sur feu MySpace. Mais là, ça émanait d’un groupe connu et installé.

Leurs clips ont également joué un rôle prépondérant, non?

L’aspect visuel de manière générale, je crois. Un de mes premiers souvenirs de Radiohead, c’est d’être tombé sur un reportage où Pascal Obispo parlait de ses clips préférés et évoquait Karma Police. C’est un vrai petit film réalisé par Jonathan Glazer (Under the Skin). Les derniers clips de Radiohead et projets associés sont souvent l’œuvre de Paul Thomas Anderson. Mais Stanley Donwood a aussi créé une identité avec les pochettes.

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Est-ce que tu vois Radiohead comme les Beatles du XXIe siècle?

Les médias anglais présentaient déjà Kid A comme l’album de rock le plus attendu depuis Sgt. Pepper. Mais les Beatles ont enregistré treize albums en sept ans. C’était les premiers. Ils ont été vite. Et ils ont tout révolutionné. On peut quasiment tout relier à eux dans la musique pop rock blanche occidentale. Radiohead a toujours essayé d’élargir le cadre, que ce soit en intégrant des éléments de jazz, des musiques électroniques, des musiques savantes et classiques. Mais aussi des instruments du monde entier, le sampling, l’apport du trip-hop et de la culture hip-hop. Ils font partie de ces artistes dans l’Histoire de la pop qui ne se contentent pas de rester dans leur monde mais essaient constamment de l’agrandir.

On peut aussi parler de bonnes causes…

Radiohead commence à s’engager en 1995. R.E.M., pour qui le groupe britannique ouvre, invite sur sa tournée des ONG à présenter leur travail. Plutôt que de vanner les autres groupes, Thom Yorke se dit qu’il peut utiliser la plateforme de la célébrité pour parler humanitaire. Radiohead lève des fonds pour les enfants de Bosnie-Herzégovine et Amnesty International, participe à Free Tibet. Le questionnement environnemental arrive avec Kid A et In Rainbows. Les Anglais commandent alors un rapport sur l’empreinte carbone de leurs tournées. Le plus gros impact étant les déplacements des fans en voiture, ils ont retravaillé leur itinéraire pour jouer dans davantage de pays. Ils ont aussi acheté deux systèmes complets de lumière et de sonorisation: l’un pour le continent européen, l’autre pour le continent américain. Je ne sais pas si ça a énormément influencé mais ça a sensibilisé. Depuis quinze ans, la vague d’artistes avec une conscience écologique a explosé.

Matthieu Thibault – Bio express

1988 Naissance à Fontainebleau.

2011 Obtient son master en musicologie à Évry.

2013 Publie David Bowie, l’avant-garde pop (éditions Le Mot Et Le Reste).

2023 Sortie de À distance, le dernier album en date de son groupe, The Snobs.

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