Matthias Schoenaerts impressionne dans The Regime: « C’est comme si je me fabriquais des silhouettes » (interview)

Matthias Schoenaerts, serviteur (et amant) fidèle de la dictatrice en devenir qu'incarne Kate Winslet. © Miya Mizuno/HBO
Nicolas Bogaerts Journaliste

Écrite par Will Tracy, une des plumes acides de Succession, réalisée par Stephen Frears,The Regime où brille Matthias Schoenaerts est une satire politique dystopique sombre et drôle, qui scelle l’alliance malsaine entre pouvoir et folie.

Dans l’univers dystopique, absurde et menaçant de The Regime (à découvrir sur Be 1 à partir du lundi 4 mars, lire la critique ici), l’acteur belge Matthias Schoenaerts est impressionnant de présence physique dans le rôle de Zubak, confident, amoureux et aide de camp de la chancelière Elena Vernham (Kate Winslet), aux portes de l’autocratie. Ses alternances de colères noires, de violence expulsée et de souffrances encryptées construisent un personnage fascinant de grand blessé.

Zubak est un personnage intense, complexe, effrayant. Y compris pour lui-même, car il s’automutile. Comment l’avez-vous abordé?

Matthias Schoenaerts: C’est un véritable voyage. Un voyage très intime qui encourage à aller dans sa propre psyché d’une certaine façon, dans ses retranchements. Mais l’écriture de Will Tracy est si riche qu’elle peut sous-tendre et nourrir tant de choses à la fois et qu’il est difficile pour un acteur de se dire qu’il va tout explorer et contrôler de son personnage. Que faire d’autre, alors sinon amener de la sincérité? Pour être franc, ça a été un sacré truc. Et c’est très délicat de révéler des secrets de fabrication. Ce serait trop personnel, je pense (rires).

Restons-en alors à son passé de militaire… Le massacre de grévistes qu’on lui attribue pèse sur sa conscience et ses choix. Comment avez-vous intégré ces éléments du hors champ pour qu’ils deviennent tangibles?

Matthias Schoenaerts: On tient là la source de tout ce qui forge ce personnage, ce qui conditionne sa trajectoire. Il fallait que dès le début de l’histoire, on le sente rempli, habité par ce passé qui le ronge. On doit le sentir. J’ai pris beaucoup de temps pour l’imaginer et pour le mettre en œuvre. C’est ce qui le définit, ce qui nourrit ses motivations. La façon avec laquelle il peut apprendre à évoluer dans sa relation à son passé va être déterminante.

La relation amoureuse entre Elena et Zubak rappelle combien le pouvoir sous toutes ses formes peut être attirant, y compris dans la désillusion et la souffrance…

Matthias Schoenaerts: Le pouvoir peut être très érotique, pour certains. Qu’il soit artistique, financier, intellectuel, c’est un champ magnétique qui attire, et pas toujours avec de bonnes intentions. C’est un concept très délicat. Concernant la série, ça peut fait partie de l’attraction mutuelle entre Elena et Zubak deux personnes de pouvoir, chacun à sa façon. Mais surtout, il y a le fait que Zubak reconnaît une forme de pureté d’âme chez elle. Une pureté qui lui a probablement manqué dans son passé troublé. Il est convaincu qu’elle peut réveiller l’humain en lui, le sortir de l’autodestruction, l’aider à diminuer la culpabilité qu’il ressent, et trouver la rédemption.

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L’alchimie entre vos deux personnages est aussi étrange que puissante. Avoir déjà joué auprès de Kate Winslet dans A Little Chaos a-t-il rendu les choses plus faciles?

Matthias Schoenaerts: Oui, ce furent des très belles retrouvailles, des années après cette première expérience ensemble. Je vais oser une drôle d’analogie, mais on était un peu comme deux enfants qui se retrouvent sur leur plaine de jeux préférée. C’est exactement ça: on s’amuse, on se surprend, on laisse nos peurs de côtés. J’adore ça chez elle. Elle est téméraire, audacieuse, gaie, intelligente. Sur un tournage elle est toujours ouverte, réceptive, elle vous apporte beaucoup de confiance. C’est comme une danse à deux. Avec elle, la joie est toujours au rendez-vous.

S’il se montre fort avec Elena et les occupants du palais, c’est une tout autre relation que Zubak entretient avec Agnes (Andrea Riseborough), l’intendante. Pourquoi?

Matthias Schoenaerts: Agnes reconnaît immédiatement ce qui se joue à l’intérieur de Zubak. Dès l’instant où ses yeux se posent sur lui, il y a sans doute un effet miroir inconscient. C’est sans doute la seule personne avec qui Zubak se sent en sécurité, à qui il peut montrer ses cicatrices, physiques ou intérieures, sa fatigue. Il peut être menaçant, violent, protecteur avec n’importe qui d’autre mais avec elle, il se montre tel qu’il est.

La relation entre physique et émotion est au cœur du travail des comédiens. Chez vous, le dialogue entre ces deux pôles est souvent intense et ici tout particulièrement. Comment concilier ces deux énergies?

Matthias Schoenaerts: Justement en évitant de faire la distinction. Personnellement, c’est comme si je me fabriquais des silhouettes. Il y a une silhouette émotionnelle et une autre qui est physique. Les deux doivent s’accorder en se superposant progressivement. De mon point de vue, elles restent indissociables. Comme on ne peut dissocier l’arbre du sol dans lequel il est enraciné.

Zubak est potentiellement un ultra vilain, mais son passé de victime est palpable. Quelle finalité et quelle noblesse peut avoir sa quête?

Matthias Schoenaerts: Il résume à lui seul la dimension tragique de la condition humaine. Quand de belles personnes se font abuser, sont traumatisées, comme lui l’a été, la peine se transforme en douleur et la douleur se mue en mécanique violente, dans un cycle qui se répète à l’infini. C’est à la fois fascinant et tragique. Moi ça m’a vraiment travaillé en tout cas, comme personnage: un vilain ultime qui en réalité se révèle tout le contraire de ce qu’on pensait.

La dimension puissamment satirique de la série vous a-t-elle permis d’explorer d’autres territoires?

Matthias Schoenaerts: La satire, c’est un très bon lubrifiant. C’est le cheval de Troie. Une fois à l’intérieur, elle fait exploser tous les cadres. On grandit toujours avec ce type de rôles, ce type de récits. De certains, on sort plus triste, d’autres plus gai. Ici je me sens sincèrement vraiment très heureux. J’ai réappris quelque chose que j’avais senti il y a longtemps, presque à mes débuts: ce sentiment d’être en pleine explosion créative, en constante réinvention dans les formes, l’expression artistique. Ce sont les raisons essentielles pour lesquelles on fait ce travail. Lorsque j’ai eu ma première audition avec Stephen Frears, c’était par Zoom. En cinq minutes, c’était plié. Il m’a dit: “Prépare tes affaires, je te fais venir à Londres”. C’est une personne extraordinaire de savoir-faire, de drôlerie, de curiosité et de générosité. Et qui sait s’entourer: tous les gens de cette prod étaient aussi généreux. Pas seulement professionnellement, mais humainement. Cette faculté à travailler la matière humaine, dans toutes ses dimensions, a été ce qu’il m’a le plus frappé dans ce projet.

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